La Réserve

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Lorsque Sildo rentra enfin chez lui, l’après-midi était déjà bien entamée et les nuages envahissaient l’horizon brumeux.

La fatigue le submergea et ses jambes peinèrent à le porter à l’intérieur. D’un geste las, il retira son armure et sentit un peu d’énergie lui revenir. En la posant sur une chaise, il songea avec amertume au choix qu’il avait fait. Le choix de ne prendre qu’un équipement léger. Armure fine, glaive court et maniable, bottes de marche… Il n’aurait jamais pu imaginer prendre un attirail de combat pour une mission de formalité. Et pourtant…

Sa mission dans la forêt aurait dû se dérouler sans heurt. Sans accroc. C’était même la raison qui l’avait poussé à ne prendre avec lui que des soldats peu expérimentés, trop jeunes ou trop vieux. Des recrues en quête d’air pur, malgré la cruauté de leur tâche.

Quelle erreur. Quelle erreur

La culpabilité sauta à la gorge de Sildo et il n’eut d’autre choix que de se laisser tomber sur son fauteuil. Des larmes couvaient dans le fond de sa gorge et ses sanglots ne demandaient qu’à éclater. Pourtant, un aboiement aigu le tira de ses pensées et il se rappela soudain du sac qu’il avait posé près de son armure en entrant. Une horrible migraine tambourinant dans son crâne, il se releva, les jambes courbaturées, avant de risquer avec précaution la main au fond du sac. Il en sortit le petit être grognant au pelage brun et aux griffes minuscules .

Cette fois-ci, l’animal avait l'air de lutter contre le sommeil. Ses paupières tombaient lourdement et d’invisibles fils semblaient agiter ses pattes à sa place. Il ne se rebiffait plus que pour faire bonne mesure à présent.

Sildo prit l’animal par la peau du cou et l’installa sur la toile du sac qu'il plia près de la cheminée. Gardant un œil sur lui, l’homme fit couler de l’eau dans un bol et sortit d’une étagère un morceau de jambon sec enroulé dans un vieux torchon à carreaux noirs. Il déposa le bol et la viande près du louveteau qui se jeta dessus avec acharnement, ne sachant pas du bol ou de la viande ce qu'il devait goulument profiter d'abord. Il en résultat un incroyable chaos autour de lui, morceaux de viande et eau poisseuse mêlés. Sildo ne put s’empêcher de sourire tandis qu’il allumait le feu dans l’âtre. Le morceau de jambon ne résista pas longtemps au petit loup, malgré ses crocs de lait encore tendres.

- On dirait que tu trouves facilement tes marques toi… Voyons ce qu’il en est de ton frère.

A ces mots, Sildo s’agenouilla près du sac - qui servait maintenant au louveteau de coussin - et sortit avec précaution de l’intérieur de sa veste un minuscule paquet, glissé là quelques heures plus tôt dans la forêt. Il retira le tissu avec précaution pour découvrir un second louveteau, bien plus chétif que le premier. Le capitaine déposa l’animal au creux de sa main et entreprit de le faire boire en trempant son doigt dans l'eau du bol. L’animal lapa lentement le peu d’eau laissé par la tornade à la fourrure brune qui était passée par là. Sildo en profita pour l’examiner rapidement : ce louveteau, à cause de son état, était heureusement bien plus calme que son frère.

Au lieu de se débattre, il aboya faiblement, les yeux clos et les moustaches à peine frémissantes.

Sa respiration ténue était rauque et laborieuse et l’homme ne donnait pas cher de son avenir s’il ne faisait rien pour l’aider.

Déposant le louveteau près du feu, il pensa soudain à la caisse vide qu’il gardait depuis des lustres dans son armoire. Il trouva une vieille couverture et calfeutra la boite du mieux qu’il put. Le louveteau le plus robuste se mit aussitôt sur ses pattes, soulevant avec peine son petit ventre bien rempli, et renifla aussitôt le nouvel objet mis à sa disposition. Sildo l’attrapa par la peau du cou et le plaça au creux de la couverture.

Se débattant au début, le petit loup sembla vite apprécier la douceur et la chaleur de son nid de fortune : il cessa de s’agiter, se roulant en boule pour aplatir le tissu sous ses pattes. Le capitaine fit de même avec le second loup qui n’opposa, quant à lui, aucune résistance. Les deux louveteaux se roulèrent en boule, l’un contre l’autre, jusqu’à donner l’illusion qu’il n’y avait plus qu’une seule boule de poils.

Sildo attisa le feu qui crépitait dans l’âtre. Les flammes rougeoyantes projetaient des ombres difformes sur les murs de pierres.

Et maintenant ?

Le capitaine accrocha le tisonnier et regarda une dernière fois la caisse avant d’enfiler sa veste et d’en relever le col pour se protéger du brouillard épais qui s’était emparé de la ville. Il quitta la maison et s’enfonça dans le dédale de rues sombres du quartier nord, habité essentiellement par les gradés de l’armée dont il faisait partie. Une odeur boisée y régnait toujours à cause des arbres qui bordaient le mur d’enceinte. A cause de l’humidité, le parfum musqué donna la nausée au capitaine qui fut obligé de lever la tête pour trouver de l’air plus frais que celui qui stagnait dans les bas-fonds des rues.

Pourtant, pendant l’été, l’ombre apportée par les arbres était appréciable et rendait le quartier agréable mais à l’automne, ses parfums d’humus en décomposition le rendait vite insoutenable. Les premières pluies salissaient les pavés déjà jonchés de feuilles mortes et l’atmosphère brumeuse faisait vite oublier l’ambiance agréable des mois d’été…

Sans vraiment prêter attention au chemin tant celui-ci lui était familier, Sildo marcha jusqu’aux confins de la ville, au plus près des murs d’enceinte. L’après-midi tirant à sa fin, l’agitation de midi avait déserté les rues et seuls quelques rares aboiements résonnaient encore en rompant le silence.

Des images s’imprimèrent soudain devant ses yeux, remplaçant les bâtisses en bois et les charrettes de foin. Des cavernes, du sang, des hurlements… Après les images, vinrent les sons et son esprit se transforma en chaos.

Secouant la tête pour se débarrasser - en vain - de ses souvenirs et de la pluie qui s’insinuait dans son cou malgré son col, Sildo passa sous une arche en bois, construite dans le mur d’enceinte. Il n’était pas encore temps de pleurer. Il avait plus urgent à penser pour le moment.

Mais était-ce vraiment la raison de son absence de regret ? Pourquoi tenait-il tant à remettre son chagrin à plus tard ? Probablement parce que Sildo savait que jamais il ne parviendrait à s’en remettre…

Une fois l’arche traversée, Sildo reconnut les enclos construit le long d’un chemin en terre et sous les arbres qui avaient poussé librement ici.

- Que viens-tu faire ici ? le surprit alors une voix dans son dos.

Le capitaine fit volte-face. Un feu agréable se mit alors à crépiter dans son ventre et le chaos de son esprit cessa aussitôt. Face à lui, se tenait une silhouette élancée, qui pouvait sembler fragile au premier regard mais que les deux poignards accrochés à la ceinture rendaient immédiatement plus intimidante. Un bonnet de laine vert tentait de dompter une épaisse chevelure rousse et bouclée qui moussait jusqu’au-dessous de ses épaules. Quelques mèches rebelles dansaient autour de son visage fin à la peau aussi hâlée que l’écorce des pins. Des pommettes saillantes surmontaient des joues creusées qui encadraient un nez minuscule et une bouche encore plus minuscule, aussi épaisse qu’une brindille. Deux grands yeux noirs portèrent sur Sildo un regard plein de soulagement.

Le capitaine ne put empêcher son cœur de battre plus fort face à la beauté primale d’Ida. Dans ses pires cauchemars, et dans ceux qu’il n’allait pas tarder à faire, l’éclat flamboyant de ses cheveux suffisait à le sortir des ténèbres…

La jeune femme s’approcha de Sildo et lui saisit la main, comme une voyante s’apprêtant à déchiffrer les lignes de l’avenir. Au lieu de ça, Ida se contenta d’observer lentement les doigts osseux, encore sales du combat de la veille et écorchés par les ronces et les griffes.

- Regarde tes mains ! Tu dois absolument te reposer maintenant, dit-elle d’une voix faussement autoritaire en laissant retomber le bras de Sildo.

Mais le capitaine savait que derrière ses recommandations quasi maternelles, se cachait l’indicible soulagement de pouvoir à nouveau lui tenir la main. Lui était rentré alors que tant d’autres n’avaient pas eu cette chance…

- Je te promets de prendre du repos, Ida. Mais j'ai d'abord besoin de ton avis. Mais pas ici, si tu vois ce que je veux dire…

Il n’en fallut pas plus à la jeune femme pour passer tout près de Sildo avant de le dépasser et de filer vers les enclos vides de la réserve. Ils passèrent sans bruit devant les derniers enclos, le long des réserves de foins et d’eau puis longèrent le mur d’enceinte, recouvert de lierre et de mousse. Arrivés entre deux arbres, Sildo reconnut avec plaisir la minuscule habitation adossée aux troncs. Une bougie éteinte était posée sur le rebord de l’unique fenêtre à la vitre brisée et quelques hérissons avaient trouvé refuge sur le seuil de la cabane à en juger par les multiples bols laissés à leur attention.

En entrant, le capitaine apprécia le parfum caractéristique de l’endroit qui lui avait tant manqué. Il n’avait pas de mot pour décrire à quel point chaque senteur avait sa place dans cette mosaïque de fragrances, toutes plus délicates les unes que les autres. Pavot séché, thym, mousse, miel… Les multiples bocaux, remplis des infusions confectionnées par Ida, avaient le pouvoir de guérir tous les maux et se bousculaient sur les étagères branlantes. Leur parfum l’enivra, tout comme celui des feuilles en train de sécher accrochées aux poutres qui soutenaient le toit bas de la cabane.

Comme à chaque fois, Sildo eut aussitôt envie de disparaître dans l’une des boîtes magiques installées un peu partout dans la pièce. Peu importe ce qu’il y trouverait, il ne demandait qu’à se fondre dans les mousses, dans les décoctions ou dans les châles parfumés de lavande rangés dans l’armoire imposante, seul véritable meuble de l’habitation.

Comme pour répondre aux souhaits silencieux de Sildo, Ida craqua une allumette dans la minuscule cheminée taillée directement dans un coin de la cabane. Aussitôt, les flammes naissantes vinrent lécher le dessous d’une vieille bouilloire cabossée accrochée dans l’âtre. Elle sortit 2 sachets de l'une de ses boîtes qu'elle déposa dans des tasses ébréchées abandonnées sur un minuscule bureau.

- Je t’écoute, Sildo. J’imagine que tu dois avoir une bonne raison d’être ici…

L’intéressé leva lentement les yeux du feu qui avait irrémédiablement attiré son regard. Ida en avait profité pour se couler sans bruit aux pieds du capitaine, agenouillée, tête baissée. Toujours en silence, elle lui prit à nouveau la main, sans cesser de le regarder, les yeux remplis d’étoiles.

Pour la première fois depuis la veille, le trou béant qui déchirait le cœur de Sildo se referma quelques instants. Il serra ses doigts calleux autour des siens et ne retint plus la larme qui coula sur sa joue. Au même instant, la bouilloire se mit à siffler dans l’âtre, ramenant aussitôt le capitaine à la dure réalité.

Des innocents étaient morts cette nuit par sa faute.

Il lui avait pourtant semblé dormir pendant plusieurs heures, éloigné du tumulte du monde qui était le sien et de ses sordides conventions. Libéré pendant un moment magique de ses responsabilités et de ses péchés. Aux côtés d’Ida à jamais.

Pendant que la jeune femme leur servait les infusions, il jeta un coup d’œil autour de lui. Depuis longtemps, il soupçonnait cet endroit d’être envahi par quelques maléfices étranges…

Le fumet de la tasse qu’Ida lui glissa dans les mains ramena pour de bon Sildo à la réalité. Il crut reconnaître entre les différents parfums la valériane, plante capable d’apaiser les maux mais aussi un peu de mélisse censée réchauffer le cœur. A force d’infusions, il était devenu novice dans l’art des remèdes…

- Alors, je t’écoute, l’encouragea-t-elle en reprenant sa place à ses genoux, près du feu.

En la regardant si petite et ramassée dans son long châle, Sildo se rappela les nombreuses fois où il lui avait demandé de prendre sa place sur un siège. Face à l’argument bien senti de la petitesse de la pièce et surtout de son impossibilité de la meubler dignement, le capitaine avait promis de lui fabriquer une chaise qui lui servirait également de table. Mais en attendant de tenir sa promesse, et pour ne pas accentuer le sentiment qui rongeait Sildo de ne jamais trouver du temps pour autre chose que l’armée, Ida lui avait toujours rabâché son besoin de rester en communion avec le terre.

Et quel meilleur moyen que de s'asseoir ainsi ?

- En vérité, commença Sildo, je ne suis pas revenu seul de là-haut.

Son index noueux était levé vers le sommet de la montagne où le souvenir de l’embuscade lui noua la gorge une fois de plus.

– Vous avez quand même capturé des loups ? s’emporta-t-elle en se relevant d’un bond sur les genoux.

– Pas exactement…

Le capitaine Sildo ne savait par où commencer pour blesser le moins possible la femme assise à ses pieds. En observant ses traits anguleux et la couleur brune de sa peau, il pouvait presque encore y lire son histoire comme elle le faisait avec les lignes de sa main.

Ida venait du lointain village des Pierres, perdu dans les montagnes arides bien au-delà du lac. Tout comme les loups, elle avait été raflée quand elle était enfant pour être ramenée ici et, tout comme eux, elle n’avait eu d’autre choix que d’y demeurer prisonnière. Car les habitants du village des Pierres possédaient le pouvoir extraordinaire de communier avec loup et entretenaient avec eux une relation complexe et ancestrale, que les habitants de la cité ne pourraient jamais comprendre. Mais peu importait la beauté de cette connexion, seule comptait leur capacité à dompter les loups pour leur compte.

Les vieilles légendes parlaient d’un homme-loup, fondateur du village des Pierres, qui avait peu à peu enseigné à ses descendants l’art de la communion avec les loups. Il leur avait appris des techniques de chasse et les remèdes guérisseurs et, peu à peu, ce savoir était devenu un héritage culturel, transmis par le sang. Chaque nouveau-né dans le village des Pierres voyait le jour avec un gigantesque savoir dont se moquait bien les habitants de la cité.

A cette époque, les loups n'avaient pas encore été utilisés comme arme et, quand ce jour arriva et quand les hommes des villes décidèrent d’en faire des soldats assoiffés de sang, il leur fallut trouver un moyen de les discipliner. Les citadins ne tardèrent donc pas à asservir les habitants du village, tout comme les loups, pour leur permettre de les dresser comme bon leur semblait, sans se soucier de briser des siècles de connexion sacrée…

A chaque nouvelle génération, un enfant était arraché à son village pour devenir un soigneur, en échange de la paix. Ainsi, le village n’était pas attaqué et bénéficiait même de la protection d’une garnison, brisant ainsi toute tentative de rébellion face au lourd tribut à payer…

Ida avait donc été raflée enfant pour servir la cité contre son gré. Mais depuis son adolescence, elle s’était toujours révoltée contre les pratiques barbares de la cité. A chaque nouvel assaut visant à rafler les louveteaux dans les montagnes, Sildo l’avait toujours vu préparer vainement des sortilèges de force pour que les loups se défendent. Mais là encore, les habitants de la cité n’avaient pas choisi le village des Pierres si lointain par hasard : éloignés de leur racine, les enfants soigneurs perdaient leurs pouvoirs magiques et devenaient contraints de n’utiliser plus que les rudiments de leur savoir. C’est ainsi qu’il tuait à nouveau toute autre velléité de révolte. Sans pouvoir vivace, ils en étaient réduits à travailler auprès des loups, sans pour autant pouvoir retrouver la communion propre au reste de leur peuple…

C’est la raison pour laquelle la jeune femme avait souvent été emprisonnée loin de la réserve les soirs de rafles dans les montagnes. Même sans ses pouvoirs, Ida inspirait toujours une certaine crainte aux soldats qui ne la ménageaient pas lors de ses incarcérations forcées. Malgré tout, c’était au cours d’une de ses gardes qu’elle était tombée sur un jeune lieutenant beaucoup moins zélé que ses collègues et qui avait bien voulu desserrer ses liens…

– J’ai ramené un louveteau en pleine forme, reprit Sildo, la tête basse. L’Intendant tient à tout prix à le faire souffrir pour se venger de l’embuscade…

– Quoi ? s’emporta Ida. C’est impensable ! Quelques soldats, c’est peu cher payé face à des décennies de rafle et d’esclavage !

Le corps frêle de la jeune femme sembla convulser sous une décharge électrique. Elle tourna les yeux vers Sildo et regretta aussitôt la haine de ses paroles. Elle savait qu’il était différent des autres soldats et c’est la raison pour laquelle elle oubliait parfois qu’il participait, comme les autres, à toutes ces traditions barbares. Pourtant, elle savait qu’il la comprenait, tout comme elle le comprenait. Et cela depuis leur rencontre…

- Excuse-moi, Sildo, dit-elle en se rasseyant sur ses talons. Je ne voulais pas m’emporter comme ça. Je sais que tout ça est aussi difficile pour toi que pour moi. Continue, je ne te couperai plus. Tu as donc ramené un louveteau ? Pourquoi viens-tu m’en parler, n’est-ce pas la « tradition » ?

– C’est un louveteau en pleine forme, j’ai rarement vu de petits aussi remuant que lui. Mais ce n’est pas pour lui que je suis là, c’est pour son frère. Je voudrais que tu l’examines, j’ai peur qu’il ne passe pas la nuit…

Sans mot dire, Ida se releva et se dirigea vers un petit guéridon sur lequel étaient entassées bien trop d’affaires par rapport à la taille du meuble. Lorsqu’elle fourra dans sa besace quelques fioles et son nécessaire de soins, Sildo ne put s’empêcher de contempler son profil souligné par la lueur orangée qui filtrait de la fenêtre. Ida fit alors volte-face, les mains tremblantes.

– Attends un peu… Pourquoi ne pas les avoir confiés à la pouponnière comme d’habitude ? réalisa-t-elle les yeux plissés. J’aurais pu les examiner dès leur arrivée…

– L’Intendant a complètement perdu la tête à notre retour. Il veut s’en prendre à tous les loups qu’il trouvera. Il déteste ces animaux, à la différence de notre roi, et il veut amplifier leur souffrance. C’est pour ça que j’ai préféré ne pas lui parler du second loup. D’autant plus qu’il ne veut même pas baptiser le premier…

– Quoi ?

Cette fois, les mains d’Ida tremblèrent plus fort et il en fallut de peu pour qu'un de ses flacons ne s'écrase à ses pieds.

– Je n’arrive pas à y croire… dit-elle en repoussant ses longs cheveux roux derrière ses épaules et en faisant tout son possible pour se calmer. Les dernières mesures semblaient prendre ce chemin mais jamais je n’aurais imaginé que cela puisse arriver si tôt. Il faut absolument faire quelque chose et faire entendre raison à cet affreux bonhomme. Il veut vraiment se débarrasser des vieilles coutumes ? Il faut lui faire comprendre qu’il n’y a qu’à cette condition qu’il n’y a pas plus d’accident. Les registres et les baptêmes sont les derniers garants d’un certain ordre dans cet odieux esclavage. S’il commence à en faire ce qu’il veut, autant rafler tout de suite une meute entière et tuer les moins vigoureux au lieu de les relâcher.

Des larmes perlaient au coin de ses yeux couleur de terre ambrée. Sildo s’approcha, n’osant pas la toucher de peur d’attiser sa colère. A ses yeux, il était ce qui ressemblait le plus à la figure militaire de l’Intendant. Et il avait encore sur les mains le sang de trop de loups…

– Je suis d’accord avec toi, Ida, vraiment. C’est pour ça que j’ai désobéi à l’Intendant. Il m’a demandé de confier le louveteau à Vlad et je sais que trop bien ce que ce boucher est capable d’infliger aux humains alors je n’ose imaginer ce qu’il aurait pu lui faire subir.

A la pensée du responsable de la caserne, d’atroces souvenirs de ses années d’écoles militaires jaillirent dans les pensées du capitaine. Des fouets, du sang, des larmes. Sa cuisse le picota, souvenir d’innombrables châtiments corporels.

– Tu as vraiment… désobéi ? répéta Ida en se tournant lentement vers le capitaine.

– Oui… J’ai ramené les deux louveteaux chez moi en prenant garde à ne pas être suivi. Pour l’instant, ils n’existent pas aux yeux du registre et j’ignore encore ce qu’il va advenir d’eux. Ida, tu es la seule personne en qui je peux avoir confiance maintenant…

– Je vais t’aider, je te le promets. Mais nous risquons gros tous les deux. Il ne faut pas que quiconque découvre ce que tu as fait, ni que je t’y ai aidé.

– Je le sais. Et si cela arrive, j’expliquerai que je suis seul à l’initiative de mon action. Dans mon malheur, je sais au moins que maintenant, aucun homme de ma troupe ne pourra plus me trahir…

Un sourire amer étira les lèvres fines d’Ida qui caressa furtivement la joue du capitaine. Les poils drus de sa barbe noire lui griffèrent les doigts.

– Allons-y, dit-elle d’une voix déterminée.

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