Les vieux

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Ben n'aimait pas les Chinois, les intelligences artificielles, les grosses personnes qui font déborder leurs fesses des vélos électriques, le rap du début du siècle et le chocolat. Bizarrement, c'est ce dernier point qui lui avait toujours attiré des ennuis. Il aimait l'odeur de la pelouse, être écouté, les petits culs sur les vélos et rigoler avec ses potes devant un de ces anciens jeux de football. Là aussi bizarrement, c'est le dernier point qui était à retenir, ça lui manquait.

C'était il y a cinq ans. Tellement de choses avaient changé en si peu de temps qu'il avait fallu être rapidement plus évolutif que le premier poisson à tenter une balade ensoleillée sur une plage primaire. Et lorsqu'il se souvenait du début, ce qui lui restait le plus frais dans sa mémoire était l'effet brûlant du jet d'eau sur sa peau. Il faut dire qu'il l'avait tellement appréciée cette douche d'après match, la chaleur calmant son genou en souffrance, les chants de ses coéquipiers louant son exploit dans le vestiaire et les murmures de la foule au loin faisant encore trembler les murs du stade et pétiller ses oreilles. Ils venaient de sortir le champion de France de la compétition, déjouant tous les pronostics des ghosts, ces intelligences artificielles sans consistance qui pullulaient dans leurs vies sans être nulle part à la fois, de véritables ectoplasmes de pensées humaines. A 200 contre un, s'était élevée la cote du match en fin d'après-midi, un véritable désaveu de leurs chances mais aussi de leur jeu, mais Ben avait été transcendé et c'était avec le point serré qu'il était entré sur la pelouse.

« Mais t'es où ?!!! Anna n'est toujours pas rentrée !! les flics sont en route »

Le message s'était affiché aussi personnel qu'inconnu sur l'écran de son ordiphone. Aucun sens, aucun contexte, comme un débri de plastique retrouvé sur une plage perdue de l'Antarctique. Une personne s'était vraisemblablement trompée, un mauvais chiffre du numéro ayant sournoisement pris la place d'un bon, comme cela pouvait arriver parfois. Mais en relevant la tête, il avait aperçu tous ses coéquipiers plongés dans leurs messageries, la plupart surpris mais certains effrayés. Est-ce qu'on y croit vraiment tout de suite ? Lui non, mais il avait bien fallu se rendre à l'évidence, ces messages semblaient provenir de moments pas forcément très éloignés dans l'espace, mais plutôt assez loin dans le temps. Les jours qui suivirent furent mémorables, le monde entier en parlait, de la télévision au café du coin, reléguant tout le reste au second plan ; toutes les guerres et toutes les querelles de puissants, les scandales et mêmes les matches de football somptueux. Quant aux réseaux sociaux, ils bouillonnaient et expulsaient en geyser d'annonces futuristes de toute part. On y partageait, décortiquait et interprétait les messages ensembles comme un gigantesque jeu de carte au trésor, c'était à celui qui reconstituerait le plus rapidement le puzzle de sa vie. Car là était la magie, tous ces messages étaient bien adressés à la bonne personne, ce n'était juste pas le bon moment.

Tout le monde se mit à avoir un vieux, surnom qui se voulait affectif, donné à son futur soi, mais qui laissait aussi transparaître une distance envers cette personne qui se permettait de téléguider leurs vies. Grâce aux vieux, tous en apprirent plus sur le phénomène, non anticipé, qui frapperait notre réseau mondial d'informations, Internet, dans quelques années. Sous la densité toujours plus grande des données digitales, l'équivalent virtuel d'un trou de verre se serait formé quelque part sur la toile créant une sorte d'aberration temporelle qui affecteraient toutes données numériques. Mais ils avaient petit à petit appris à maîtriser la singularité, à pouvoir intentionnellement envoyer des messages vers le passé, en tout cas c'est ce que le vieux de Ben lui avait dit. Résultat, des milliards de conseils, recommandations, ordres et menaces étaient reçus chaque jour, et gare à ceux qui s'en écartaient. Il arrivait quelquefois à Ben de trouver cela lourd à vivre, dans ce cas là, son premier conseil reçu lui revenait en mémoire : ne faire confiance qu'à lui-même.

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