Et puis merde ...

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« Je t'aime mon petit loup. Véro »

Ben regarda la luminosité de l'écran s'estomper lentement tout en se défroissant le visage avec sa main. A son mouvement pour se redresser dans son lit, les rideaux de sa chambre s'écartèrent pour faire entrer les faisceaux d'un soleil radieux.

« Alex et Alizée nous attendent au resto. Dépêche-toi ! Véro »

Il sentit des picotements tout au long de sa nuque en tombant sur ce message. Il ne connaissait aucune Véronique.

_ Bonjour Benjamin, il reste trois heures avant la Grande Connexion, le ciel sera clair toute la journée avec quelques nuages en début d'après-midi, la pluie ne durera pas. Que veux-tu prendre pour ton petit déjeuner ?

Ben resta assis sur son lit, les draps froissés sur ses jambes. Son regard passa sur l'espace droit de son matelas, vide. Ava n'était pas là, elle ne le serait plus. En revenant de la ruelle, hier soir, elle avait disparu, comme raflée par un coup de vent. Pour la première fois, il n'avait pas suivi les messages et la sanction était tombée. Mais pourquoi ?

Il finissait sa tartine de miel en silence, Lena lui contant les informations du jour sans que cela n'éveille la moindre réaction chez lui. Pour la première fois de sa vie il se mit à penser aux implications de ces messages. Que se passerait-il s'il en envoyait un ? Cela allait forcément changer quelque chose, modifier ce qu'il était hier et donc ce qu'il était devenu aujourd'hui. L'idée fit son chemin et Ava lui passa par la tête. Il allait tout simplement disparaître !

Mais au fond, peut être que tout vient du même endroit et que tu ne sais rien.

Qu'est-ce que cela pouvait bien dire ?

Cette fille l'avait complètement perdu. Ben regardait son dé laissant son café refroidir.

_ Lena, peux-tu me donner la définition d'un ordinateur cantique ? S'il te plait ?

_ Ordinateur quantique, ancienne technologie d'ordinateur à faible puissance de calcul utilisé principalement dans les montres, pour répondre à la question, quand?

Cela avait été léger, comme un regard à la dérobée au milieu d'une foule, peut être même une illusion, mais Ben avait eu la sensation que la réponse avait mis plus de temps que la normale pour arriver.

_ Hé ben ! Dire qu'elle se la pétait plus haut que son cul alors qu'elle travaillait sur des montres. Serveuse, c'est pas pire !

Les heures passèrent et tous les écrans de sa maison s'allumèrent pour afficher les dernières minutes du compte à rebours. Des chiffres rouges défilaient partout où son regard se portait. La grande connexion, elle était là à portée de main. Il alla chercher le colis en carton qui traînait depuis des jours dans son couloir, et l'ouvrit. Il en sortir un objet rectangulaire noire, laqué d'un côté, doté d'une surface en verre de l'autre. Le design du plus banal des ordiphones du marché. Il le posa délicatement sur sa table et l'observa dubitativement comme s'il manquait quelque chose d'extraordinaire à cet appareil pour le rendre plus réel. Il rechercha au fond du carton et en sortit le mode d'emploi. Celui-ci tenait sur une seule page et Ben le connaissait déjà par cœur par toutes les campagnes de sensibilisation lancées par le gouvernement. Allumer l'ordiphone, regarder l'écran pour se laisser scanner les iris, choisir une date et parler. Le compte à rebours était passé sous les dix minutes. Durant cinq années il avait ardemment attendu ce moment, et maintenant une peur irrationnelle commençait à lui tordre les boyaux. Cette serveuse l'avait déstabilisé, non pire ensorcelé, car il n'y était pour rien. Lui, il avait été sage, il avait respecté les consignes, alors pourquoi n'arrivait-il pas à embrasser l'évènement ?

_ Léna, ... est-ce que ... les "vieux" sont réels ?

Le compagnon numérique se mit en route et lui répondit de sa voix lascive si caractéristique.

_ D'après Wikipedia, "vieux" est le terme familier pour désigner un moi futur conversant avec son moi présent, suite à l'apparition du phénomène ...

_ Non, non, non ... non je le sais tout ça. Qu'est-ce qui prouve que ce sont des êtres vivants ?

_ Désolé Benjamin, je ne comprends pas la question.

_ Merde. Qu'est ce qui me prouve que les "vieux" ne sont pas des robots, comme toi ?

Cette fois-ci, le doute ne fut pas possible. L'intelligence artificielle resta silencieuse un temps s'apparentant à l'infini pour l'ère du numérique. D'une simple phrase elle mit fin à l'attente.

_ Benjamin, je peux te le jurer. Les "vieux" sont des personnes vivantes.

La manière, la réponse, le vocabulaire utilisée, tout paraissait étrange et dérangeant dans la réponse de Léna. Encore plus paniqué qu'auparavant, Benjamin la harcela de nouvelles questions mais il n'eut plus jamais l'occasion d'entendre la voix de sa compagne numérique.

Dernière minute. Le téléphone de l'ultime connexion se faisait lourd et humide dans sa main. Son autre ordiphone, le vrai, tinta.

"Ne lance pas ton dé. B02072026"

Trente secondes. Son pouce était toujours à quelques centimètre de l'écran tactil, hésitant, tremblant. Ava lui revint en tête,

Et puis merde, dit-il.

Le dé rebondit plusieurs sur la table de verre du salon et stoppa net. Paire!

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