Lena

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« Ne regarde pas la serveuse. B02062039»

Ben regarda la luminosité de l'écran s'estomper lentement tout en se grattant les poils de sa barbe naissante. À son mouvement pour se redresser sur son lit, les rideaux de sa chambre s'écartèrent pour faire entrer les faisceaux d'un soleil radieux.

« Mets ton pull-over en laine moulant, le bleu !! B11122029 »

Il esquissa un sourire en tombant sur ce message et jeta un œil satisfait sur ses pectoraux saillants. Il en avait eu l'idée aussi et d'une certaine manière cela le réconforta. Il s'extirpa lourdement de la couette de son lit en maugréant et navigua en automate rouillé dans son couloir, non sans se cogner la pointe de pied dans un paquet encore tout emballé. Quelques pas de danse à cloche pied et jurons plus tard, devant son miroir de la salle de bains, un rictus de complaisance lui barra le visage en contemplant de nouveau son torse et il prit partie de faire quelques pompes sur le carrelage de la salle de bain. Assis contre le mur chauffant, suintant légèrement, une vague d'excitation le fit frissonner. Les deux prochains jours allaient être les plus exaltants de toute sa vie et il se sentait vibrant et concentré comme avant un grand match.

_ Lena, un café bien serré avec miel et pain grillé sur la table ! lança t'il à l'espace vide de son appartement.

_ Est-ce une demande Benjamin ? Je m'excuse, je n'ai pas entendu l'intonation interrogative ?

La voix était claire et suave avec un timbre grave rempli de sensualité et les questions posées sur un ton d'innocence des plus adorables. Atroce ! Ben n'en pouvait plus. Il l'avait pourtant choisi, cette voix, parmi les milliers d'autres proposées en option dans le compagnon d'Imagine. Mais il avait fini par lui trouver ce petit côté agaçant que la routine et la répétition engendre. Il en était même arrivé à se demander si elle ne se foutait pas un peu de sa gueule. Foutu ghost !

_ C'est une commande ...s'il te plait !

« Bon t'as raison, parfois ça bouge et on ne sait pas pourquoi ... J'ai chopé un rendez-vous à la clinique des souvenirs pour une transplantation :) »

« Refuse l'offre de Pierre Ménard. C'est un piège ! B10022033 »

Par habitude, il continua quelques exercices physiques, pris sa douche en chantant un rap énervé et manqua de se fendre le crâne sur le carrelage. Encore dégoulinant, il commença son petit déjeuner comme un mort de faim. En face de lui, à travers l'épais vitrage de sa fenêtre, il voyait un ciel bleu sans nuage et des cimes de peupliers verts ondulant sous l'effet du vent. Il expira lentement, puis retint sa respiration, figeant son corps à l'écoute de ce qui l'entourait, comme s'il voulait saisir le temps, prendre chacune de ses secondes pour ce qu'elles sont de plus chers, des moments d'un présent déjà passé.

C'est quand même con, ce foutu temps qui passe.

Lentement, il vit un aéro-poubelle rentrer dans son champ de vision, trimballant son entrée béante comme une baleine devant un banc de plancton, et il en fut irrité. L'instant du petit déjeuner était gâché ? N'aurait-il pas dû profiter de cet instant cinq minutes avant afin de ne pas être perturbé dans sa contemplation par cet éboueur du ciel ?

_ Lena, note pour dans trois jours. « Benjamin, zappe la muscu pour profiter de la vue » ... s'il te plait.

_ Cette note est désormais dans ton Ego et te sera restituée dans trois jours.

Satisfait, il se leva et demanda à Lena de lui passer les principales nouvelles du jour. Celle-ci s'exécuta sur le champ.

_ Le ciel sera clair toute la journée avec un nuage qui passera entre 13 et 14 heures, la pluie ne durera que dix minutes, comme prévu le candidat Guillemin vient de se retirer de la course à la présidentielle, ses chances de gagner étant nulles pour cette fois-ci ...

Un rire saccadé et narquois se fit entendre entre deux bouchées de tartines.

... Les nouveaux chiffres de la population mondiale sont excellents et marquent de nouveau un recul pour la quatrième année consécutive, les hors-réseaux n'ont pas eu gain de cause dans leur jugement pour discrimination, le juge a clamé, je cite, « chaque personne est en droit d'assurer son futur et les décisions prises pour cela doivent être respectées. Il faut respecter la loi. » ...

_ OK, merci Lena, stop. Combien de nouveaux messages depuis tout à l'heure ?

_ Tu as trente nouveaux messages, zéro message vidéo et aucune tentative d'appel.

Ben se jeta sur sa messagerie et commença à faire du tri. Plusieurs couleurs étaient assignées, esquissant des catégories.

« Salut Benj. Ça fait un bail. Ça te dit un resto ce soir ? J'essayerais bien les nouveaux trucs rédemptions et on rattrapera le temps perdu. Mathieu »

« Bonne idée, bonhomme. Au cochon libéré, ça te dit ? ». Envoyé.

« Ne réponds jamais à l'émail de Hafid Amal. Il finira par prendre ta place sur le terrain. Benjamin. »

Jeté.

« Ta médiocre recherche à être aimé par tout le monde va nous mener en enfer. Ne cherche jamais à me connaître. Carole ».

Hmm, perturbant, jeté.

« Investissez dans votre futur, prenez des actions Camb... »

Jeté.

« Ne te précipite pas pour ton premier message demain soir. Prends ton temps. B12112048 »

Envoyé dans l'Ego, section « reçus ».

Benjamin resta devant ce dernier message de manière pensif, ses deux paumes de mains enfoncées dans ses joues. Il venait de si loin qu'il en avait le tournis. De plus, son manque de clarté était également inhabituel, surtout par rapport à ce qu'il s'était convenu de faire. Etait-ce un rebond ? Un de ses vieux messages perdus qui ne faisait que revenir sans cesse ?

_ Paire, je garde !

Il lança son dé sur la table en verre, provoquant une succession d'éclats sonores. Trois petits points noirs se présentèrent sur la surface supérieure. Il prit une mine abattue en regardant le petit cube puis valida oralement la sauvegarde dans son espace personnel crypté. Nul n'est censé ignorer l'avenir. Il s'activa pour sortir de son appartement et ordonna à Lena de se mettre en mode sécurité, entraînant la mise en veille de tous les écrans éparpillés chez lui et l'affichage d'un compte à rebours en chiffres rouges sur fond noir. - 26h 55min. Dehors, l'air tiède de ce début d'été le ravit. Tout était comme prévu et le cœur palpitant il commença la journée où il allait rencontrer la femme du reste de sa vie.

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