Chapitre 13 - Alice

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois du printemps, Kol Sak, Mor Avi.

Nos bagages sur les épaules, Soraya et moi remontions doucement le chemin de gravillons qui menait à l’entrée du Sanctuaire. Comme je les avais fréquentés moins d’une semaine, je ne pouvais pas prétendre m’être durement attachée à Kol Zou et Kol Our, mais notre départ imminent jetait un poids dans mes semelles. Bien que familière des adieux, habituée depuis longtemps à recevoir des Nobles, la perspective de ne pas les revoir avant des années m’étreignait le cœur de regrets. De retour à Oneiris, je retrouverais ma famille et mon foyer et, avec eux, les nombreuses occupations qui allaient m’incomber. Le Kol Sak serait alors un souvenir empli de découvertes et de soulagement, mais sans doute pas la première destination de voyage vers laquelle je me tournerais.

— Alors, lança Kol Our derrière nous avec son sourire mutin d’enfant, direction Jen Si ?

À ses côtés, Kol Zou gardait les bras croisés sur la poitrine et les lèvres plissées. Même si c’était son humeur habituelle, j’étais un peu déçue qu’elle ne témoignât pas plus de chaleur à notre égard. Elle nous regardait à peine dans les yeux, chassant de temps à autre une mèche noire qui venait chatouiller son nez.

— Direction Jen Si, approuva Soraya d’une voix enthousiaste avant de préciser : nous allons prendre le chemin le plus direct jusqu’à la cité. Comme nous n’avons plus assez d’argent pour nous payer des chevaux, nous ferons le trajet à pied.

— Une dizaine de jours suffira, en effet, ajouta Kol Our en hochant la tête. Vous visiterez le Sanctuaire du Ciel ? je crois que Kol Zou vous l’a conseillé.

Cette dernière daigna lever le nez à la mention de son nom. Elle esquissa une ébauche de sourire comme Soraya et moi acquiescions.

— Je ne sais pas si nous aurons le temps de le visiter, nuança Soraya avec une moue contrite, mais ce sera notre priorité si nous avons quelques heures devant nous.

Satisfaite, Kol Zou étira un peu plus les commissures de ses lèvres, laissant ses bras tomber le long de ses flancs.

— Faites attention à vous, souffla le Gardien en chef en nous couvant tour à tour d’un regard à la fois soucieux et rassuré. Même si vous êtes dotées de pouvoirs divins, nous restons tous des mortels.

— Bien sûr. Nous allons rester sur les routes principales et, si c’est nécessaire, nous en éloigner le moins longtemps possible.

Soraya réajusta la sangle de son bagage sur son épaule puis adressa un hochement de tête appréciateur à nos interlocuteurs. Elle fouilla sa poche quelques instants avant d’en tirer une pierre polie. D’une jolie couleur ambrée, elle scintillait dans la lumière matinale grâce à de minuscules éclats figés par le temps.

— Dans mes Terres, il est rare de quitter des connaissances sans offrir quelque chose. (Soraya déposa avec désinvolture le cristal dans la petite main de Kol Our.) Ce n’est pas grand-chose, mais je vous prierais d’accepter ce morceau de Crishaqq en échange de votre accueil et de votre aide.

— C’est magnifique, s’émerveilla Kol Our en levant la pierre à la lumière pour faire jouer les reflets jaunes, bruns et dorés. Je n’ai jamais entendu ce nom, Crishaqq… C’est spécifique à vos contrées ?

— Tout à fait, sourit Soraya sans masquer la fierté qui fit luire ses yeux de miel. Les Terres du Sud sont séparées de l’Est par une frontière naturelle, le gouffre du Shaqq. Mon peuple est parvenu à inventer des monte-charges capables d’atteindre le contrebas. La pierre Crishaqq provient des grottes que l’on a découvertes dans ce gouffre.

— Fascinant, murmura le Gardien en chef en plissant les yeux pour détailler les petits cristaux brillants qui semblaient s’être fondus dans la pierre.

Avec un sourire engageant, il tendit le cristal à sa compagne, qui le récupéra avec déférence.

— Voyagez bien, lança Kol Our en croisant les mains devant lui. Que Kol et vos Dieux veillent sur vous. N’oubliez pas que vous agissez pour la sauvegarde de vos divinités et de vos contrées. Vous pouvez être fières de ce que vous avez accompli, Alice, Soraya. Vous êtes de belles âmes, quelles que soient les failles qui vous font penser le contraire.

C’était si étrange d’entendre des paroles de cette nature de la bouche rieuse d’un enfant. Si le décalage avait de quoi étonner, le sens des mots n’en était pas terni. Touchée, reconnaissante et, quelque part, persuadée de ne pas mériter ces compliments, je détournai le regard. Je devais sûrement rougir bêtement, comme souvent lorsque j’étais embarrassée, mais je décidai finalement de m’en moquer.

— Merci pour tout, conclus-je d’un ton que j’affermis tant bien que mal. Même si nous ne revenons pas avant un moment, j’espère de tout cœur recroiser votre route un jour.

Un sourire qui portait autant de mystère que le Temps lui-même courba la bouche de Kol Our. Ses yeux cuivrés luisaient avec espièglerie lorsqu’il répondit :

— Je n’en ai aucun doute, reine Alice.


Alors que nous laissions le Kol Sak derrière nous, avec ses Gardiens songeurs, ses instruments de mesure et l’esprit de Kan en osmose avec son protecteur, je me tournai vers Soraya.

— Cette pierre… tu ne me l’as jamais montrée. Tu l’avais avec toi tout ce temps ?

Un sourire mi-figue mi-raisin gagna les lèvres généreuses de mon amie tandis que nous nous enfoncions sous la canopée des arbres, prenant soin de suivre le chemin tracé par des générations de pèlerins.

— Je l’avais déjà avec moi quand nous nous sommes rencontrées à Ma’an. C’est mon frère qui me l’a offerte quand j’ai accédé à la tête de l’Empire, à douze ans. (Je ne pus m’empêcher de grimacer en me rappelant l’âge qu’avait Soraya lorsqu’elle avait été propulsée à la tête de ses Terres.) Mais, tu dois t’en douter, je n’ai guère envie de conserver le moindre souvenir de Dastan.

Elle haussa les épaules avec une moue pincée.

— Je tenais sincèrement à remercier Kol Our, Kol Zou et les autres Gardiens. Offrir un bien à une personne lorsqu’on la quitte est une réelle tradition sudiste. Je ne veux pas te donner l’impression de m’être débarrassée de cette pierre, de mon fardeau, mais… je veux prendre un nouveau départ. Oublier qui j’étais et le mal que j’ai pu faire à mon peuple. (Elle me jeta un regard furtif dans lequel baignait une mer de culpabilité.) D’une certaine façon, je me comporte toujours en égoïste, à vouloir fuir et oublier ma vie antérieure. Je crois que je ne peux changer intrinsèquement qui je suis. Mais j’ai au moins le courage de le reconnaître.

Peinée par la honte qui plissait ses traits harmonieux et les remords évidents qui assombrissaient son regard habituellement lumineux, je lui touchai le bras avec douceur.

— Soraya, même si tu estimes que ton choix est égoïste, tu as toujours conscience des erreurs que tu as commises. C’est un bon départ pour agir différemment et rattraper les années que tu penses perdues. (À voir son expression maussade, je n’étais pas certaine de l’avoir réconfortée. Je m’évertuai pourtant à demander :) Tu voudrais prendre un nouveau chemin… mais tu sais déjà lequel ?

— Un chemin qui ne fait pas reposer le poids de milliers d’âmes sur mes épaules, répondit-elle du tac au tac. En même temps, je n’ai pas envie de tourner complètement le dos à mes Terres et à son peuple. Je ne veux pas les oublier, ou vivre loin d’eux.

Incertaine du chemin que pouvait constituer une telle vie, je soupirai en observant les fougères qui recouvraient partiellement le chemin.

— Alors, repris-je d’un ton prudent, tu ne souhaites pas que nous nous rendions dans les Terres du Sud en revenant à Oneiris ?

— Surtout pas en première destination ! s’exclama Soraya en s’arrêtant pour me dévisager avec de grands yeux sérieux. Alice, tu es la priorité.

— Pas plus que toi, répliquai-je d’une voix mi-amusée mi-lasse. Toi aussi, tu n’as plus vu tes amis ou ta famille depuis des mois.

Traits crispés et mâchoire contractée, mon amie secoua fermement la tête.

— Alice, tu as quitté ton foyer il y a plus de six mois. Ta propre mère ne sait pas si tu es encore en vie. Ton petit frère est peut-être monté sur un trône qui te revient de droit. Il est hors de question de faire un détour. Nous débarquerons à Vasilias puis nous nous hâterons au Château du Crépuscule. (Elle haussa ses sourcils sombres d’un air entendu, sourire en coin.) Alors tu reprendras ton royaume en main, petite Reine.

— Toi aussi, tu m’appelles comme ça ? grommelai-je en rougissant, toutefois touchée par la confiance qu’elle me portait.

— Il faut dire les choses, Alice : tu es vraiment petite.

Pour appuyer son propos, Soraya me tapota le dessus du crâne.


Une décade plus tard, nous nous laissâmes tomber sur un banc taillé à même une imposante roche, les jambes tremblotantes, la nuque et le front couverts de sueur. La chaleur de fin d’après-midi était amoindrie par les vents marins qui filaient entre les rues des faubourgs de Jen Si. Il était trop tard – et nous étions épuisées – pour nous enfoncer vers le cœur de la cité. Le village dans lequel nous étions arrivées était assez conséquent pour abriter des commerces et des auberges. Comme c’était exactement ce que nous recherchions en ce moment-même, Soraya et moi avions décidé de faire étape ici. À une dizaine de mètres de nous, quelques lettres en fer forgé indiquaient le nom de l’auberge : ruiz kiço, l’air ensoleillé. La bâtisse à deux étages donnait directement sur la rue et était encadrée de deux commerces : un tailleur ainsi qu’une boutique de bijoux et accessoires. Avec ses murs d’un orange chaleureux et ses volets rouges, l’auberge était difficile à manquer.

— Je ne sais pas ce que je souhaite le plus : un bon repas chaud ou un bon bain chaud, marmonna Soraya en se redressant du banc.

— Un repas, pour ma part, soupirai-je en passant une main sur mon ventre rempli de gargouillements. Je ne pense pas être très difficile après des mois sur la route, mais les rations de voyage commencent à me lasser.

Soraya me tendit la main pour m’aider à me relever. J’acceptai son aide avec un sourire puis la suivis le long des quelques mètres qui nous séparaient de l’auberge. Des rideaux d’un jaune fané masquaient les deux fenêtres qui donnaient sur la rue. Je percevais tout de même les éclats de voix et les raclements du mobilier et des couverts.

La porte en bois portait des traces de coups et d’usure, mais elle s’ouvrit sans résistance devant nous. L’odeur de bière et de choux s’accompagna d’un air moite de sueur. Des clients bruyants occupaient le comptoir et d’autres, plus discrets, s’étaient répartis dans la salle en petits groupes. Vraisemblablement, nous avions plus affaire à une taverne de village qu’à une auberge de voyageurs. Ce n’était pas très important, tant que Soraya avait droit à son bain et moi à mon repas.

Nous nous poussâmes contre un mur pour ne pas gêner les passants le temps qu’un aubergiste nous remarquât. Deux interminables minutes plus tard, un garçon blond aux taches de rousseur s’arrêta face à nous et demanda dans un avirien que je trouvai étrangement haché :

— Vous souhaitez le souper et le couchage ou simplement dîner ?

Il ne devait pas avoir plus de quinze ans. Le fils des taverniers ? Comme je ne répondais pas tout de suite, il releva les yeux des ongles qu’il se récurait pour nous dévisager. Ses yeux marron se troublèrent un instant tandis que nous échangions un long regard.

— Vous ne comprenez pas l’avirien ? soupira-t-il dans la langue en question avant de basculer aisément en oneirian : vous venez d’Oneiris ?

Cette fois-ci, ses mots étaient clairs, distingués et son accent… par les Dieux, son accent ressemblait beaucoup au mien. Stupéfaite, je clignai des yeux pour observer plus particulièrement son visage. Peau assez pâle pour un habitant d’une ville portuaire, cheveux blonds cendrés tandis que la plupart des Aviriens étaient bruns, des lobes d’oreille ronds comme les nôtres…

— Vous êtes Occidental ? soufflai-je avec hésitation alors que Soraya nous jetait un coup d’œil étonné. Vos parents ont émigré à Jen Si ?

L’air ennuyé et fatigué du serveur laissa rapidement place à la surprise puis au soulagement.

— Je… oui, je suis Occidental. Vous aussi ? Vous avez un bel accent, ma Dame.

Tandis que Soraya se retenait de pouffer face à l’air sérieux du garçon, je me figeai. Il n’y avait rien dans ma tenue qui me disait aristocrate. Avec le manque d’éclairage dans la grande salle commune, mes yeux indigo pouvaient très bien paraître bruns. Dans la mesure où le jeune homme possédait une intonation très similaire à la mienne…

— Êtes-vous Noble ? soufflai-je d’un air incertain en observant plus attentivement ses iris.

Malgré la semi-obscurité, ils me paraissaient bel et bien marron. Le serveur me coupa dans mon observation en expliquant d’une voix hachée par la précipitation :

— Ou-oui, je le suis ! En fait, ma mère l’était. Je n’ai pas hérité de ses pouvoirs, alors je devrai céder mes terres à un autre Noble, mais… (Il s’arrêta au milieu de sa phrase en secouant la tête.) Mais ça n’a aucune importance. J’ai besoin que vous m’aidiez, ma Dame !

— Que vous arrive-t-il ? m’enquis-je en serrant ses poignets avec mes mains, alarmée par la peur et la tristesse qui déformaient à présent ses traits juvéniles.

— Mes parents ont été assassinés par des bandits il y a un an, murmura-t-il d’une voix rocailleuse en baissant le nez, peut-être pour nous cacher d’éventuels yeux humides. Ma mère savait manier des éclairs, alors elle nous a protégés, papa et moi, mais… ça n’a pas suffi, ils l’ont abattue. Mon père m’a entraîné au loin, mais on s’est fait rattraper. Je ne sais pas pourquoi, mais ils ne m’ont pas suivi.

— Sûrement parce que les affaires que tes parents avaient laissées derrière ou portaient sur eux étaient les plus précieuses. Un enfant comme toi ne les intéressait pas, expliqua Soraya d’un ton si formel qu’il en était presque froid.

Le jeune homme lui jeta un regard vide, encore plongé dans ses souvenirs ensanglantés.

— J’ai erré pendant des jours et j’ai débarqué dans ce bourg. Je ne parlais pas l’avirien, je n’avais pas d’argent, mais… Yan Ruiz a accepté de m’engager en échange d’une chambre et de trois repas par jour. Il m’a appris l’avirien, le service en salle, la cuisine et la plonge et je…

Sa voix se fêla. À présent aussi raide que le mobilier en bois qui meublait la salle, il resta hagard pendant quelques secondes sans que Soraya et moi tentions de relancer la conversation. Je serrai plus fort ses poignets entre mes mains pour l’encourager à continuer. En clignant des paupières, il chassa une larme solitaire puis reprit d’un ton à peine audible au milieu du brouhaha et des cliquetis :

— Comme je reçois une paie, je mets de côté, mais en un an, je n’ai toujours pas acquis la somme nécessaire pour me payer une place au bord d’un navire appareillant pour Oneiris. Je veux juste rentrer chez moi.

Sa déclaration, simple malgré un ton suintant de lassitude, me serra si fort le cœur que je relâchai la pression sur ses poignets. Je m’étais tant répété cette phrase durant les derniers mois que j’avais fini par en oublier le sens, la consistance. Et le jeune Occidental venait de replanter en moi la douleur et l’espoir amer associés à cette supplique. Rentrer chez soi.

— Où habites-tu ? lui demandai-je en le tutoyant à présent, presque certaine que nous avions moins de trois ans d’écart.

— Ma mère possédait des terres à une trentaine de lieues du Château du Crépuscule. Rien d’incroyable, ma Dame, quelques fermes et des champs.

— C’est ce qui nourrit notre peuple, le contredis-je doucement en souriant avant d’ajouter avec une certaine gêne : comment tu t’appelles ? je n’ai même pas pensé à te demander.

— Viktor Kellis, ma Dame, se présenta-t-il en recouvrant peu à peu la bonne humeur. Et vous ?

Soraya me jeta un regard de mise en garde. J’hésitai face à la moue implorante du jeune homme. C’était un Occidental orphelin à des centaines de lieues de chez lui, dont l’unique désir était de retrouver ses terres et, peut-être, la famille qui lui restait.

— Je suis la princesse Alice, me décidai-je enfin à souffler malgré l’appréhension qui venait de m’agripper la gorge.

Il y eut un silence de la part de Viktor. Ses yeux écarquillés glissèrent vers Soraya, comme pour s’assurer que je ne plaisantais pas. Puis, plus vite que je ne l’aurais cru, il se recomposa une façade polie. Décidément, c’était bien un fils de Noble.

— Je pensais bien vous avoir déjà vue quelque part, avoua Viktor avec une petite moue amusée. Je n’osais pas y croire, car… c’est invraisemblable ! Mais vous voilà en chair et en os, ma princesse.

Je m’étais tellement habituée au ton moqueur qu’employaient Achalmy et Soraya pour me désigner avec ce surnom que l’intonation grave, respectueuse, du jeune Noble me noua l’estomac. À force de côtoyer de hautes figures comme des empereurs, des Gardiens ou même des Dieux, j’en oubliais l’importance que je pouvais revêtir pour d’autres.


Viktor nous installa promptement à l’une des meilleures tables – éloignée du centre bruyant de la salle et près de l’un des foyers aux braises encore rougeoyantes – et nous servit le menu du soir. Soraya et moi nous contentâmes humblement de la soupe au choux accompagnée de pain aux noix, bien trop affamées et lassées par nos rations de survie des derniers jours.

— J’aimerais qu’on l’emmène avec nous, annonçai-je à Soraya après qu’un autre aubergiste eût débarrassé nos bols. Nos bourses ont encore de la réserve, comme les Sanctuaires ne nous ont presque rien fait payer. Viktor a dit qu’il avait commencé à économiser… nous devons avoir assez pour compléter ce qui lui manque.

Le visage de Soraya était fermé, ses yeux de miel assombris d’un trouble méfiant. J’étais déroutée par l’air dubitatif qu’elle ne se privait pas d’afficher. Pourquoi cette réserve ?

— Qui nous dit qu’il dit la vérité ? grommela alors Soraya devant mon expression inquisitrice. Ce garçon pourrait très bien profiter de notre argent pour s’offrir un voyage gratuit à Oneiris.

— Il a dit qu’il avait déjà des économies, répliquai-je en secouant la tête. Il n’est pas question de lui offrir l’entièreté du billet. D’ailleurs, nous n’avons pas assez d’argent pour en acheter trois.

Toujours circonspecte, Soraya croisa les bras sur sa poitrine en m’observant d’un air songeur. Mâchoires serrées, je lui rendis sans regard sans ciller. J’étais déterminée à sortir Viktor de ce faubourg de Jen Si et à le ramener chez lui. Si, en tant que princesse, je n’en étais pas capable, comment pourrais-je me prétendre reine ?

— Très bien, capitula Soraya avec un gros soupir qui affaissa sa poitrine. Tu as pris ton petit air buté, je ne te ferai pas changer d’avis. Mais, je te préviens, si la marge qui nous reste après l’achat de notre traversée ne suffit pas pour compléter les économies de Viktor, on le laisse ici.

— D’accord, acceptai-je à mon tour, bien que tourmentée par l’éventualité d’abandonner le jeune Occidental derrière moi.

Satisfaite de notre accord, Soraya m’adressa un sourire et un clin d’œil complice avant de héler Viktor qui passait à deux tables de nous.

— Jeune homme, il y a une baignoire dans la chambre que tu nous as réservée ?

— Une baignoire ? répéta le garçon d’un air éberlué en accourant vers nous. Eh bien, ma Dame, je regrette, mais seule la meilleure chambre de la taverne en possède une…

Une lueur espiègle éclaira les prunelles mordorées de mon amie. Je souris à la perspective de la négociation qui s’amorçait. Nous aurions pu nous rendre aux thermes de la ville, mais je devais reconnaître qu’une baignoire bien chaude me donnait plus envie.

— Tu accueilles dans ta petite taverne de faubourg un membre de la famille royale Occidentale et tu lui refuses la meilleure chambre de ton établissement ?

Viktor vira au cramoisi en moins de temps qu’il en fallut pour le dire. Il serra son plateau contre sa poitrine, bafouilla quelques secondes en nous dévisageant tour à tour, puis secoua la tête.

— Je vais prévenir Yan Ruiz. La chambre en question est vide pour ce soir, la réservation la plus proche ne commence que demain soir.

— En voilà une bonne nouvelle, roucoula Soraya d’une voix suave en couvant le serveur d’un regard intense. À présent, Viktor, si tu veux faire plaisir à ta princesse et à sa chère amie, nous te prierons de te hâter de remplir la baignoire d’eau bien chaude parfumée aux senteurs locales.

Intimidé par l’assurance déstabilisante que dégageait Soraya, le serveur me jeta un coup d’œil, hocha la tête puis s’éloigna d’un pas. Je le rattrapai par le bras avant qu’il s’en fût pour de bon et lui annonçai d’une voix claire :

— Viktor, nous nous rendons au port demain matin pour acheter notre traversée jusqu’à Vasilias. Si tu te sens de partir en si peu de temps, nous acceptons de payer ce qui te manque pour obtenir ton propre billet. Tu pourras nous accompagner sur le chemin du retour.

Un éclat que je connaissais bien étincela dans les iris hésitants du garçon. L’espoir. L’espoir de rentrer chez soi, de rentrer chez lui, de retrouver ses repères. Nous ne lui laissions pas beaucoup de temps pour se préparer et faire ses adieux au tavernier qui l’avait recueilli. Nous n’avions malheureusement pas plus d’heures à lui accorder, tant notre retour brûlait nos entrailles, à Soraya comme à moi.

— Je vais en parler à Yan Ruiz, acquiesça Viktor d’une voix tremblotante. Je veux m’assurer que je ne lui cause pas de tort en partant si vite. Mais vous aurez ma réponse demain matin, pour sûr.

— Très bien, souris-je en le relâchant, soulagée qu’il eût accepté d’y réfléchir. Nous attendons ta réponse.

Avec une expression troublée de reconnaissance, il hocha la tête puis fila à ses occupations. Soraya et moi quittâmes notre table une quinzaine de minutes plus tard puis entreprîmes de porter nos bagages jusque dans la plus grande chambre, dans une aile éloignée de la salle commune. Un bon bain chaud nous attendait.

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