Chapitre 3

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— Seema !

La jeune fille se retourna pour découvrir Jian qui accourait vers elle. Elle leva les yeux au ciel, fatiguée d’avance par leur rencontre.

— Qu’est-ce que tu veux ? soupira-t-elle.

— J’étais dans l’auberge.

Seema le fixa, attendant qu’il continue, mais Jian avait l’air d’avoir décidé de lui faire perdre patience.

— Et ? le relança-t-elle.

Le regard insolent, Jian esquissa un sourire et frotta sa lèvre inférieure de son pouce.

— Je connais un moyen de se faire de l’argent facilement.

La jeune femme l’observa, méfiante. Rien n’était jamais facile dans la vie. Elle l’avait appris de la plus dure des manières.

— Ça ne m’intéresse pas.

Sur ce, elle se détourna et reprit sa route, mais Jian semblait vraiment vouloir la pousser à bout, ce jour-là.

— Attends ! Je ne t’ai même pas encore dit combien tu pourrais te faire !

Comme Seema ne s’arrêtait pas, il trottina pour la rattraper.

— Après, si tu peux te permettre de cracher sur mille cinq cent mardacs, pas de soucis.

En entendant la somme, Seema ne put s’empêcher d’hésiter dans sa démarche. Jian le remarqua aussitôt et décida de plonger dans la faille qu’il avait créée.

— Tu sais très bien que tu ne peux pas te permettre de dire non à autant d’argent ! Encore moins quand Le Pouce ne t’a pas donné autant que ce qu’il t’avait promis.

— Tu parles beaucoup, Jian. Tu me fatigues.

Celui-ci passa devant elle, l’obligeant ainsi à arrêter de se déplacer. Il s’approcha d’elle, sans se départir de son air arrogant. Son visage plus qu’à quelques centimètres de celui de la jeune femme, elle pouvait sentir son souffle contre sa peau. Les poils de la nuque de Seema se redressèrent et elle décida qu’elle en avait marre de se montrer patiente. Elle lui attrapa le bras et le tordit en arrière, l’obligeant à se courber en deux.

— Jian, Jian, Jian… vraiment je vais finir par croire que tu le fais exprès.

— Je te l’ai dit, j’aime quand tu t’acharnes sur moi, rétorqua-t-il.

— T’es dégueulasse, t’arrives à m’enlever tout plaisir dans le fait de te torturer.

Le jeune homme esquissa un sourire, mais Seema resserra son emprise, lui soutirant une grimace de douleur.

— Tu vois, c’est pour ça que je sais que tu pourrais gagner ces mille cinq cent mardacs sans problème. Tu es douée pour te battre.

— De quoi tu parles ?

— Tu me lâches et je t’explique de quoi il en retourne.

À contre coeur, Seema fit comme demandé. Jian se redressa et la jeune femme eut aussitôt envie de lui faire ravaler son expression impertinente.

— Tu comptes cracher le morceau un jour ?

Trop content d’avoir le pouvoir, Jian attendit quelques instants avoir de reprendre la parole.

— Il y a un tournoi de combats organisés dans quelques jours. Celui qui arrive en premier gagne l’argent.

— Et qu’est-ce qui te dit que je pourrais y arriver ?

— Tu plaisantes ? Ça fait des années que tu fous une raclée à quiconque essaie de s’en prendre à toi. S’il y a bien quelqu’un sur qui je pourrais parier le peu de pièces que j’ai, c’est toi.

Seema haussa les épaules. Elle n’aimait pas quand on lui disait qu’elle était forte en combat. C’était une capacité qu’elle avait acquise au fil des années parce qu’elle n’en avait pas eu le choix. Elle aurait préféré ne pas avoir à l’apprendre.

— Ce n’est pas pour moi.

Elle contourna Jian pour continuer sa route.

— Par les esprits, Seema, ce que tu peux être têtue !

— Va te trouver une autre personne sur qui parier ton argent, Jian.

La jeune femme ne se retourna même pas, ayant décidé qu’elle avait perdu déjà assez de temps comme ça avec lui.

N’ayant rien à faire de la journée, elle décida de remonter dans la Cité du Haut et de se promener un peu. Quitte à ne rien faire, que ce soit au moins à l’air libre, avec la chaleur du soleil sur sa peau. En sortant du tunnel, elle entendit un croassement et releva la tête, les mains en visière, pour essayer de distinguer une forme noire dans le ciel.

— Kara !

La corneille virevoltait dans les airs en compagnie d’autres oiseaux. Seema adorait l’observer s’amuser dans le vent de cette manière. Dans ces moments, elle enviait presque son amie : elle aurait aimé connaître ce même sentiment de liberté.

La jeune femme s’assit et attendit que le corvidé ait fini de jouer et vienne la voir. Kara atterrit directement en face de la jeune fille, qui frotta son bec du revers de sa main.

— Salut, ma jolie ! Tu es partie tôt ce matin.

Kara passait la plupart de son temps avec Seema. Elle dormait dans son appartement, perchée sur une branche d’arbre accrochée entre deux murs. Mais il lui arrivait de remonter à la surface toute seule, pour aller se chercher à manger ou rendre visite à ses congénères.

— Je comptais aller me promener un petit peu, tu m’accompagnes ?

Un croassement en guise de réponse, Kara sauta sur son épaule, ravie du programme de la journée.

Quelques heures plus tard, alors qu’elle se trouvait sur le marché en train de dévorer une brochette de poulet laquée, Seema entendit une discussion qui attira son attention. Un marchand se ventait d’avoir vendu un cheval une fortune, prétendant qu’il avait tout juste cinq ans, alors qu’il en avait dix de plus.

— Quel nigaud ce type ! J’aurais pu lui dire que ce canasson savait voler qu’il m’aurait cru !

L’homme à ses côtés éclata de rire et Seema décida aussitôt qu’elle ne les aimait pas. Au bruit que faisait la bourse qu’il secouait sous le nez de son ami, la jeune femme devina qu’il avait dû en tirer une jolie petite somme. S’il y avait bien quelque chose qu’elle n’aimait pas, c’était les profiteurs.

Non, en réalité, il y avait plus d’une chose qu’elle n’aimait pas : les profiteurs, ne pas avoir la certitude que Tenja grandira sans connaître la même violence qu’elle, les esprits qui avaient des pouvoirs et se promenaient parmi eux, mais ne faisaient rien pour les aider. Les esprits étaient sans doute ce qu’elle aimait le moins. Mais les profiteurs venaient juste après.

Tout en continuant de mâcher sa viande, elle s’approcha du stand du marchand et chercha à trouver un indice sur l’endroit où se trouvait son écurie. Si elle avait su lire, elle aurait pu déchiffrer la pancarte accrochée au-dessus du stand. Mais on ne le lui avait jamais appris. Tant pis. Elle ferait autrement. Dissimulée dans l’ombre d’une ruelle, elle attendit que le marché se finisse et entreprit de suivre le vendeur. Elle dût traverser toute la ville en faisant toujours attention à ce qu’il ne l’aperçoive pas. Pour cela, elle avait donné l’ordre à Kara de s’envoler et la suivre depuis le ciel. Il y avait très peu de personnes ayant une corneille apprivoisée, ce serait un trop gros indice pour la retrouver en cas de soucis.

Quand elle découvrit où se trouvait le hara, Seema n’alla pas plus loin et retourna dans les Bas-Fonds.

Le soir, une fois que Tenja fut couchée et endormie, Seema ressortit de chez elle pour remonter dans la Cité du Haut. Maintenant qu’il faisait nuit, elle comptait bien mettre en place l’idée qu’elle avait eu le matin. Toute vêtue de noir, la jeune femme passait inaperçu dans l’obscurité. Elle courait dans la ville, aussi silencieuse qu’un fantôme. Ses pas léger foulaient la terre battue sans même laisser d’empreintes derrière elle. Au-dessus, Kara volait en effectuant des cercles dans le ciel, croassant pour prévenir la jeune femme qu’une personne arrivait dans sa direction et qu’elle devait se cacher.

Arrivée à destination, Seema fit le tour de la propriété et escalada un mur de briques de l’enceinte pour se retrouver de l’autre côté, sans jamais regarder en bas, rapport à son vertige.

Seema suivit ensuite les instructions de Kara pour trouver les écuries. Pas de croassement : toujours tout droit. Un : à gauche. Deux : À droite. L’oiseau était d’une vive intelligence et Seema était toujours plus étonnée de constater à quel point elle comprenait ce qu’elle lui disait. Mais grâce à elle, la jeune femme s’était sortie de situations épineuses à plus d’une reprise.

Quand Seema atteint les écuries, Kara vola jusqu’à elle pour se poser sur son épaule. Toujours silencieusement, Seema s’approcha des boxs et commença à les déverrouiller, les uns après les autres. Nullement habitués à ce qu’il y ait de l’agitation au beau milieu de la nuit, les chevaux ne réagirent d’abord pas. Mais Seema était têtue. Elle pénétra dans les stalles et les força à sortir, refermant les portes derrière elles. Petit à petit, les équidés se dirigèrent vers la sortie, contents de cet instant de liberté qui leur était offert. Seema courut alors vers la porte principale du hara et l’ouvrit en grand, afin que les chevaux puissent sortir. Ceux-ci commencèrent à s’exciter et certains, agacé d’être poussé, ruèrent pour s’imposer. Quelques bousculades plus tard, un ce fut un véritable vacarme empli de hennissements en tout genres.

Dans la maison principale, une lumière s’alluma. Kara le remarqua en premier et tira les cheveux de Seema pour attirer son attention.

— Mince ! Il va falloir partir d’ici au plus vite !

Les chevaux quittaient l’écurie, mais pas assez vite. Seema décida alors de grimper sur le dos de l’un d’entre eux, s’agrippa à sa crinière et le dirigea de sorte à encourager les autres à prendre la poudre d’escampette.

Des cris retentirent, mais Seema décida de ne pas y prêter attention. Elle continua à pousser les chevaux dans la direction souhaitée, telle une bergère. Alors que les cris se rapprochaient, il ne restait presque plus d’équidés dans l’enceinte. Heureuse de sa bonne action, Seema s’apprêtait à mettre pied à terre, mais changea vite d’avis.

— Petite morveuse ! Qu’est-ce que tu as fait ?! Mes chevaux… ils sont tous partis !

Seema jeta un coup d’oeil par dessus son épaule et aperçut le marchand qui n’était plus qu’à quelques pas d’elle. D’une pression de ses mollets, elle demanda à la jument sur laquelle elle se tenait de prendre le galop et suivit les autres chevaux qui s’éparpillaient dans les rues de la Cité du Haut. L’homme lui courut après, le visage bouffi et rouge de colère, mais n’arriva pas à tenir la distance. Cela faisait trop longtemps qu’il ne faisait plus d’efforts physique et courir était vite impossible pour lui.

Seema l’entendit l’insulter dans son dos, mais n’y prêta pas plus d’attention. Elle était entièrement concentrée sur ce qu’elle faisait, effrayée à l’idée de tomber. Mais, alors qu’elle continuait de s’accrocher à la crinière coûte que coûte, elle sentit une indicible joie s’emparer de son coeur et un rire remonta de sa gorge pour aller ricocher sur les murs de la Cité. À cet instant, Seema se sentait libre et heureuse et elle voulait savourer cet instant jusqu’au bout.

De nouveau cette même grotte. C’était étrange. Se souvenant du chemin, Seema se dirigea vers le fond d’un pas plus assuré que la fois précédente. Tout au bout, toujours derrière des barreaux, se trouvait le même garçon que dans son rêve précédent.

— Tu es revenue.

Ce n’était pas comme si elle avait eu le choix.

Suspicieuse, Seema s’assit à même le sol, sans lâcher le détenu des yeux.

— Pourquoi suis-je ici ?

— Parce que j’ai besoin de ton aide.

Elle l’observa longuement, sans rien dire. Finalement, ce fut lui qui rompit le silence.

— Je ne sais pas pourquoi, mais tu es la seule personne que j’arrive à joindre.

— Alors ce n’est pas un rêve ?

— Si. Pour toi ça l’est. Mais ce que tu vois est la réalité. Je suis vraiment emprisonné ici et j’ai vraiment besoin de toi.

— Je ne sais pas où vous êtes. Comment pourrais-je vous être utile ?

— Où vis-tu ?

Seema hésita. D’ordinaire, elle ne divulguerait pas cette information à un inconnu, mais elle n’était pas tout à fait persuadée que tout ça n’était pas juste son imagination qui lui jouait des tours.

— Dans les Bas-Fonds de la vile de Guza.

Le jeune homme acquiesça, le regard perdu dans le vide.

— C’est loin. Mais pas impossible.

— Pas impossible de quoi ?

— De me trouver.

Seema leva les yeux au ciel. Elle n’avait jamais dit qu’elle était d’accord.

— Je ne vois pas en quoi je pourrais vous aider. C’est ridicule. Et même si je le voulais, je ne pourrais pas quitter la ville. Il y a des gens qui comptent sur moi.

Tenja. Jamais elle ne pourrait la laisser toute seule pour partir à l’aventure. C’était tout simplement hors de question.

— Je comprends.

Le jeune homme s’assit à son tour et poussa un soupire.

— Je m’appelle Aravind et toi ?

Elle hésita, se mordilla la lèvre et fini par répondre :

—Seema.

— Enchanté, Seema. Même si tu ne peux rien faire pour moi, accepterais-tu de me tenir un peu compagnie, le temps que es là ?

Seema acquiesça lentement. Cela ne l’engageait à rien.

— Alors raconte-moi ta journée. Qu’as-tu fait de beau ?

Seema n’était pas sûre de ce qui lui arrivait. Était-ce un rêve ? Impossible d’avoir une réponse. Mais en attendant, parler avec cet Aravind ne pouvait pas lui faire de mal. Elle décida alors de lui raconter sa fameuse mission dans les écuries du marchand. Celui-ci éclata de rire et la relança, insistant pour qu’elle lui raconte d’autres histoires.

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