Chapitre 4

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Les jours s’écoulaient et se transformaient en semaines. Seema n’avait toujours pas eu de nouvelles de Le Pouce, mais en faisant attention, elle avait encore de quoi tenir quelques temps.

Presque toutes les nuits, elle rêvait d’Aravind, toujours enfermé dans cette cellule. Elle ne comprenait pas pourquoi, une fois la nuit venue, elle s’imaginait avec ce garçon. Comment leur relation pouvait évoluer. Mais elle devait aussi reconnaître que c’était agréable d’avoir une personne à qui elle pouvait se confier. Bien sûr elle avait Teja. Mais c’était encore une enfant et elle ne pouvait pas lui parler de ses soucis quotidien. Il y avait quelques personne chez les Enfants Abandonnés avec qui elle s’entendait bien, mais elle n’était proche de personne. Alors oui, pouvoir s’épancher dans son sommeil lui permettait d’alléger un peu cette pression qu’elle sentait parfois sur ses épaules.

Dans sa chambre, Seema finissait de s’habiller. Elle entendait ses voisins se disputer dans l’appartement à côté, une fois de plus.

Elle était contente d’avoir ce chez-elle. Elle se savait privilégiée, comparé à tant d’autres qui devaient vivre entassés les uns sur les autres. Mais lorsqu’elle se trouvait dans la Cité du Haut et qu’elle allait cambrioler des maisons, elle ne pouvait s’empêcher d’apprécier la quiétude des quartiers luxueux. Là-bas, pas de tapages nocturnes, pas de réveils en plein milieu de la nuit parce que le voisin est rentré trop ivre et s’est trompé d’appartement, pas d’insectes qui se promènent dans la cuisine, pas d’inondations dans la pièce à vivre…

Seema secoua la tête pour se remettre les idées en place. Elle sortait de l’immeuble, quand elle fut apostrophée par un grand bonhomme, aussi large que haut. — Ma petite Seema, comment tu vas ?

La jeune femme recula lorsqu’il chercha à passer une main sur sa joue. Peadar, le propriétaire du bâtiment, avait la fâcheuse manie à se montrer trop tactile avec elle. Jusque-là, Seema avait toujours réussi à l’éconduire sans le vexer, mais il se faisait de plus en plus insistant.

— Je suis pressée, il y a quelque chose que tu voulais me dire ?

— Les loyers augmentent à la fin du mois, annonça-t-il avec un sourire mauvais.

— Encore ? Mais la dernière fois remonte à il y a à peine six mois !

Seema ferma les yeux et prit une grande inspiration pour se calmer. Évidemment, il fallait que Peadar prenne cette décision juste quand elle était en froid avec Le Pouce. À croire qu’ils étaient de mèche pour la faire craquer.

— Combien ? demanda-t-elle sans ouvrir les paupières.

— Cent mardacs de plus.

La jeune femme en avala sa salive de travers. Cela représentait un tiers de son loyer actuel !

— Pardon ? C’est énorme ! Tu n’as pas le droit de faire ça ! s’insurgea-t-elle.

L’homme se redressa et croisa les bras sur sa large poitrine.

— J’ai tous les droits. Cet immeuble m’appartient. Si je décide d’augmenter les loyers, ils augmentent.

— Mais !

Seema dut prendre sur elle pour ne pas perdre le contrôle. Ce n’était pas qu’elle. Les autres locataires auraient bien du mal à trouver la somme d’argent supplémentaire. La vie dans les Bas-Fonds était déjà bien assez difficile comme ça, ils avaient besoin d’être solidaires.

Peadar s’avança vers Seema, lui attrapa le poignet et la força ainsi à se rapprocher de lui.

— Tu sais que si tu as besoin, on peut toujours trouver un arrangement.

Seema se retint de lui cracher à la figure. Elle ravala la bile qui lui était montée à la bouche et tira son bras en arrière pour se défaire du personnage.

— Non, merci. Je vais me débrouiller pour trouver ce qu’il faut.

Sans un regard en arrière, elle s’éloigna et ne put retenir un frisson lorsqu’elle entendit Peadar lui lancer de loin :

— Au cas-où, tu sais où me trouver !

Sa corneille sur l’épaule, Seema se dirigea vers la Cité du Haut. À cette heure-ci, elle savait où trouver Jian. Elle se faufila dans les ruelles ensoleillée jusqu’à arriver sur la place du marché. Un peu en retrait des étalages, elle remarqua un attroupement. Un sourire se dessina sur ses lèvres roses tandis qu’elle s’en approchait.

— Regardez-bien où se trouve la balle ! Regardez-bien ! Sous ce gobelet, vous êtes tous d’accord ?

Un murmure d’approbation vibra dans l’air. Sous les regards médusés, le jeune homme les mélangea à une telle vitesse qu’il était difficile de suivre ses mouvements. Quand enfin il s’arrêta, il redressa la tête, les yeux plein de malice et demanda à la cantonade :

— Alors ? Sous quel gobelet se trouve la balle ?

Plusieurs personnes désignèrent celui du milieu, persuadées d’avoir raison. Mais elles se trompèrent toutes et durent laisser quelques pièces à un Jian plus que ravi. Quand il aperçut Seema, Jian rangea son matériel, faisant fi des protestations des quelques uns qui auraient aimé pouvoir faire une autre partie et regagner leur argent. D’un geste de la main, il leur fit signe de partir et vint s’asseoir à côté de Seema qui s’était installé sur une caisse en bois.

— Alors, qu’est-ce que tu fais ici ?

La jeune femme se contenta d’observer Kara en train de jouer avec des noisettes, sans lui répondre. Elle n’était pas sûre de vouloir prendre cette décision. Mais en même temps, avait-elle vraiment le choix ? Elle passa une main sur son visage et lâcha un long et sonore soupir.

— J’ai besoin d’argent.

— Ah.

Jian comprit ce qu’elle allait lui demander mais choisit de la laisser s’exprimer en premier. Il ne pouvait pas prétendre connaître Seema. Peu de personnes le pouvaient. Peut-être même aucune. Mais s’il avait bien compris quelque chose, avec le temps, c’était qu’il ne fallait pas la pousser, au risque de la voir se renfermer aussitôt. Quand elle reprit la parole, il n’entendît pas tout de suite ce qu’elle dit, trop occupé à fixer ses lèvres. Les joues rouges, il bafouilla alors pour se reprendre.

— Tu disais ?

— Le tournoi, c’est toujours possible de s’inscrire ?

Jian se redressa aussitôt.

— Tu vas le faire ?

— Non, je te pose la question pour Teja, elle meurt d’envie d’y participer…

Seema leva les yeux au ciel en secouant la tête.

— C’est demain soir, mais je pense qu’il y a encore moyen. Si tu viens avec moi, on peut aller en parler à celui qui organise ça.

Jian sauta sur ses pieds et l’enjoignit à le suivre d’un signe de la tête.

— Là, maintenant ? s’étonna Seema.

Voyant qu’il ne l’attendait pas, la jeune femme s’empressa de le rejoindre. Alors qu’elle passait devant Kara, la corneille s’envola pour venir se poser sur son épaule, comme à son habitude. Elle lui donna un coup de bec inquiet et frotta sa tête contre la sienne.

— Je sais, je n’aime pas cette idée non plus. Mais c’est un peu la seule que j’ai pour me faire de l’argent rapidement. Autrement, je peux dire adieu à mon appartement. Et je ne peux pas faire ça à Teja.

Jian ricana.

— Tu parles souvent à ta corneille ?

Seema lui assena une claque derrière la tête et le corvidé croassa en ouvrant les ailes pour montrer son approbation.

— T’en as d’autres des questions idiotes ? Oui, je lui parle. Ça te pose un problème ?

Jian frotta son crâne d’une main et haussa les épaules.

— Non, aucun…

Ils retournèrent alors ensemble jusqu’aux Bas-Fonds et Jian amena Seema jusqu’à une taverne à l’écart des autres. Seema était passée plusieurs fois devant, mais c’était la première fois qu’elle entrait à l’intérieur. Une forte odeur de sueur et d’alcool l’assaillit. Elle s’efforça de ne pas grimacer, dans une volonté de ne pas laisser voir qu’elle n’avait peut-être rien à faire là-bas. Jian se dirigea droit vers le comptoir et demanda à voir une personne dont la jeune femme ne put entendre le nom. Le serveur leur indiqua la porte du fond sans même relever les yeux.

Marchant derrière Jian, Seema serra ses poings, prête à devoir se défendre au cas-où. Elle connaissait un peu le jeune homme, mais elle ne pouvait pas dire qu’elle le connaissait assez pour avoir confiance en lui. Peut-être était-ce un piège. Peut-être lui avait-il menti. Peut-être…

— Jian ! Je ne m’attendais pas à te voir !

Seema découvrit un homme de petite taille. Il avait une grande balafre qui lui traversait le visage et le crâne rasé. Il n’était pas physiquement imposant, mais il dégageait quelque chose de dangereux. Seema comprit tout de suite qu’il n’était pas le genre de personnes à aimer que l’on se moque de lui. Dans la pièce, deux autre brutes étaient présentes et les observa entrer.

— Maximus. Je suis venue avec la fille dont je t’ai parlé.

Le dit Maximus s’approcha de Seema avec un grand sourire. Il l’examina de haut en bas et Seema se mordit la joue pour ne pas l’envoyer paitre. Une voix au fond d’elle lui disait de se méfier de cet homme.

— Il paraît que tu sais te battre, ma jolie ?

— Ne m’appelez pas comme ça.

Maximus lui attrapa le poignet et tira dessus pour la rapprocher.

— Grâce à moi, si tu sais vraiment te battre comme le prétends ton ami, tu vas pouvoir te faire beaucoup d’argent. Alors je te parle comme je veux.

Seema décida alors que, tout compte fait, elle se fichait bien que cet homme ait l’air dangereux. Elle n’aimait pas être traitée comme un objet, elle n’appartenait à personne et il allait l’apprendre lui aussi. D’un geste vif, elle leva sa main emprisonnée, emportant le bras de Maximus au passage et le bloqua dans son dos dans un angle particulièrement douloureux. De sa main libre, elle attrapa son crâne et le poussa en avant de façon à le plaquer contre la table à côté d’eux. Les deux gardes du corps de Maximus s’avancèrent d’abord, mais celui-ci leur fit comprendre d’un geste de ne pas avancer plus.

— Je vois que Jian avait raison. Tu as du caractère.

Seema leva les yeux au ciel. Elle savait qui elle était et ce qu’elle voulait ou pas. Cela ne faisait pas d’elle une femme de caractère. Jamais on ne dirait ça venant d’un homme.

Elle tordit un peu plus le bras de Maximus et se pencha à son oreille.

— Je suis venue pour m’inscrire à ce tournoi, pas pour dispenser des leçons de savoir-vivre.

Elle se redressa alors et relâcha son emprise, puis se dirigea vers la sortie. La main sur la poignée, elle entendit Maximus s’adresser à elle :

— Jian t’amènera à la planque dans deux jours. J’espère que tu seras en forme.

Assise contre les barreaux de la cellule, Seema racontait sa journée à Aravind. C’était devenu comme un rituel entre eux. Elle lui parlait de tout et de rien, lui permettant de s’échapper durant quelques heures de cette prison qui était sienne. La jeune femme avait bien essayé de lui demander à plusieurs reprises pourquoi il était dans cet endroit, mais Aravind se renfermait alors et éludait le sujet. Seema ne savait toujours pas si ces moments étaient bien réels ou uniquement la conséquence d’une trop grande imagination.

— Tu comptes vraiment te battre dans un tournoi ? s’étonna Aravind.

— Je n’ai pas le choix. Je n’étais pas intéressée quand Jian m’en a parlé au début, mais je me retrouve dans une impasse. Peadar va augmenter le montant de mon loyer à la fin du mois et Le Pouce ne m’a toujours pas recontactée. Pour le moment, je ne vois pas d’autre solution pour gagner une forte somme et rapidement.

À l’aide d’un bâton, Seema dessinait des formes dans la terre sableuse. Si elle devait se montrer tout à fait honnête, elle n’avait pas envie de faire ce tournoi. Mais avait-elle un autre choix ? Teja comptait sur elle. Sans ça, elles seraient obligées de retourner vivre avec les autres Enfants Abandonnés. Ce retour en arrière serait trop difficile à encaisser.

— Tu te mets une trop grande pression sur les épaules…

— Je n’ai pas le choix !

Aravind ne chercha pas à insister plus. Face à son silence, Seema culpabilisa.

— Excuse-moi. C’est juste que… je ne prends pas ça à la légère, d’accord ? Je sais très bien que ça peut mal se passer pour moi. Rien ne me dit que je vais gagner ce tournoi facilement. J’ai appris à me battre dans la rue, parce que je devais me défendre. Je n’ai jamais appris l’art du combat. Je ne sais même pas à qui je vais me confronter. J’ai une chance sur je ne sais pas combien de réussir. Mais, et si j’échoue ? Et si je me retrouve handicapée à vie ? Ou pire ? Qui s’occupera de Teja après ?

Seema reconnut les signes qu’elle allait bientôt se réveiller et se mit debout. Dans sa cellule, Aravind en fit autant.

—Fais attention à toi, s’il te plaît.

La jeune femme lui jeta un regard et haussa les épaules.

— Je n’ai toujours pas réussi à décider si tout ça (elle écarta les bras pour désigner la grotte) est réel ou pas.

— Ça l’est.

— Mais comment veux-tu que j’y croies ?

— Il faut juste que tu me fasses confiance.

Confiance. C’était un bien grand mot. Un sentiment bien trop important. C’était un cadeau qu’elle n’avait encore fait à personne.

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