Chapitre 2

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Seema arrivait devant son immeuble, lorsqu’elle entendit une petite voix crier son nom. Elle se retourna et aperçut Teja, une petite fille de tout juste sept ans, arrivée quelques années plus tôt chez les Enfants Abandonnés. Au départ, elle ne parlait jamais, restait silencieuse à fixer quelque chose au loin, comme si elle avait assister à un événement traumatisant dont elle n’arrivait plus à sortir. C’était malheureusement souvent le cas quand un enfant arrivait. Bon nombre d’entre eux venaient d’une autre faction, toujours dans les Bas-Fonds. Mais il y avait également des enfants qui arrivaient tout droit de la Cité du Haut. Les gens riches avaient trouvé là la solution au problème d’enfants non-désirés ou issus d’une relation non-consentante.

Seema s’était attachée à Teja. Pourquoi plus qu’à un autre enfant ? Elle n’aurait su le dire. Mais à force de patience, la petite fille s’était ouverte et ne s’enfermait dorénavant plus dans ce mutisme qui la caractérisait.

Teja accourut et se jeta sur elle pour la serrer dans ses bras.

— Le Pouce te cherche !

Seema se raidit. Elle n’aimait pas que Le Pouce s’adresse à elle. Elle le lui avait déjà dit. Mais il n’en faisait qu’à sa tête, comme la plupart du temps.

Le Pouce avait la réputation d’être un homme dur et implacable. Il pouvait même se montrer violent quand il n’était pas satisfait ou qu’on le provoquait. Seema en avait fait les frais plus d’une fois. Elle avait toujours eu du mal à garder sa langue dans sa poche et ne se gênait jamais pour dire ce qu’elle pensait. Ce qui lui avait valu plusieurs côtes fêlées et de nombreux bleus.

Mais elle assumait complètement ce trait de caractère. Il faisait partie d’elle et les « leçons » de Le Pouce l’avaient rendue plus forte. Il n’était d’ailleurs pas le seul à avoir voulu lui « donner une correction ». Très jeune déjà, elle s’était retrouvée mêlée à de nombreuses bagarres. Les années passant, son insolence grandissant, le nombre de confrontations n’avaient pas diminuées. Elle aurait pu naître dans une famille aimante. Elle aurait pu avoir une enfance épanouie. Elle aurait pu grandir entourée de parents aimants. Elle aurait pu avoir un tas de choses… Mais elle avait appris la vie à la dure et c’était ainsi.

Seema se pencha pour prendre la petite fille dans ses bras et plongea le nez dans ses cheveux blonds ondulés. Elle prit une inspiration profonde, se délecta de son odeur sucrée et sentit une vague de bien-être s’emparer d’elle, comme à chaque fois qu’elle tenait Teja contre elle.

Seema n’avait pas de famille, mais Teja était devenue ce qui s’en approchait le plus.

— Il attendra. Je suis fatiguée et j’ai bien envie d’aller faire un tour aux chutes d’eau. Ça te dit ?

Un énorme sourire para le visage de l’enfant, heureuse à l’idée d’aller se baigner. Seema lui interdisait d’y aller sans elle et elle s’efforçait de toujours lui obéir.

Seema avançait dans une grotte. Elle avait l’impression que quelque chose n’allait pas. Elle ne reconnaissait pas les lieux. Pourtant elle connaissait toutes les grottes dans le coin. Elle avait passé des années à les explorer. Alors où était-elle ?

Le coeur tambourinant dans sa poitrine, Seema continuait de marcher.

Que se passait-il ?

Au fur et à mesure qu’elle s’enfonçait dans la cavité, elle éprouvait de plus en plus de mal à se déplacer. Elle n’aimait pas cette sensation. Ne pas avoir le contrôle sur son corps.

Était-ce un rêve ?

Elle n’avait pas souvenir d’être arrivée jusque-là. Ça devait être un rêve.

— Seema…

Une voix l’appelait au loin. Qui était-ce ? Qui se trouvait dans cette grotte ?

Avec difficulté, la jeune femme continua son chemin pour s’enfoncer toujours un peu plus loin.

Comment faisait-elle pour voir où elle allait ? Elle était si loin sous terre, il n’y avait pas de lumière. Seema baissa le regard et remarqua alors la torche qu’elle tenait dans sa main.

Pourquoi ne l’avait-elle pas remarqué plus tôt ?

Après ce qui lui sembla être une éternité, elle arriva au fond de la grotte et eut la surprise de découvrir une cellule de prison. Derrière les barreaux, elle distinguait une personne couchée au sol.

— Bon… jour ?

— Tu es venue.

L’individu se retourna et Seema découvrit alors un jeune homme qui ne semblait pas plus âgé qu’elle. Des cheveux bruns et longs tombaient sur ses épaules. Il arborait une expression de lassitude, ses traits étaient creusés.

— Aide-moi.

Mal à l’aise, Seema se balançait d’un pied à l’autre.

— Qu’est-ce que vous faites ici ?

— Aide-moi.

Le jeune homme s’approcha et passa une main à travers les barreaux.

— Viens, me chercher.

Intriguée, Seema s’avança, mais resta néanmoins hors de portée.

— Je ne sais pas qui vous êtes. Ni où vous êtes. Qu’attendez-vous de moi ?

— Viens me chercher.

Il tendit un peu plus la main, mais méfiante, Seema recula, les bras croisés sur sa poitrine.

— Quel est cet endroit ?

— Je suis fatigué. Je t’attends depuis si longtemps. Viens.

L’instinct de Seema lui souffla qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Elle continua de reculer, sans jamais quitter le prisonnier des yeux.

— Qu’avez-vous fait pour être enfermé ici ?

— Rien. Je n’ai rien fait. C’est un malentendu. J’ai besoin de toi, Seema.

— Comment connaissez-vous mon prénom ?

— Tu es la seule à pouvoir m’aider.

Seema se redressa dans son lit. Elle passa une main dans ses cheveux mais grimaça quand elle se rendit compte qu’ils étaient trempés de sueur.

Un rêve. Cela avait bien été un rêve.

De l’autre côté de la pièce, Teja dormait paisiblement. Elle observa sa poitrine se lever et s’abaisser au rythme de sa respiration et cala la sienne dessus pour s’aider à se calmer. La bouche sèche, elle décida de se lever pour aller se chercher de l’eau dans la pièce voisine.

Après avoir passé des années à dormir dans des dortoirs communs, elle avait réussi à accumuler assez d’argent pour se payer un appartement rien qu’à elle. Il était minuscule, des cafards se promenaient à leurs aises et quand le couple d’à côté se disputait, elle pouvait tout entendre. Mais c’était chez elle. Ici, elle pouvait dormir les yeux fermés, sans se soucier que l’on vienne lui voler ses biens. Ici, elle pouvait permettre à Teja d’avoir un lieu où elle pouvait se sentir en sécurité.

Un rêve…

Elle ne rêvait jamais. Ou en tout cas, elle ne s’en souvenait pas. Mais cette fois-ci, il lui restait une drôle de sensation. Un peu comme un goût amer au fond de la bouche. Elle n’avait jamais vu l’homme de son rêve. Elle en était persuadée. Pouvait-on inventer une personne de toute pièce ?

Seema secoua la tête pour chasser ces pensées et attrapa la cruche remplie d’eau pour se servir un verre, avant de retourner se coucher.

Le lendemain, Seema se rendit au repère de Le Pouce. Elle devait traverser la ville pour y aller et en profita pour laisser Teja à l’école.

Ce n’était pas une école à proprement parler. C’était même très loin de là. C’était un endroit où Lila, essayait d’apprendre à lire et écrire aux plus jeunes des Enfants Abandonnés. Lila était une femme d’un âge moyen qui avait un jour travaillé dans la Cité du Haut. Quand elle avait perdu son travail, elle avait été obligée de descendre vivre dans les Bas-Fonds. Et lorsqu’elle avait découvert que la plupart des Enfants Abandonnés ne savaient ni lire ni écrire, elle avait décidé de le leur apprendre.

Personne n’avait jamais appris à Seema comment faire, aussi, dès que Teja en avait eu l’âge, elle avait insisté pour que la petite fille suive ces cours. Elle voulait lui donner une chance de plus qu’elle de s’en sortir.

Perdue dans ses pensées, Seema poussa la porte de l’Auberge du Bas. Comme à son habitude, elle se rendit directement vers le comptoir, derrière lequel se trouvait un grand bonhomme presque aussi large que haut. Elle glissa une main dans sa sacoche et en ressortit le collier qu’elle avait volé la veille pour le tendre vers le haut.

— J’espère que tu as mon argent !

Le Pouce se retourna lentement, un sourire aux lèvres.

— Je savais que je pouvais compter sur toi !

Il attrapa le bijou et le porta devant son visage pour mieux l’observer. Son regard perçant l’inspecta attentivement et Seema leva les yeux au ciel.

— Il est abîmé.

Étonnée, la jeune femme leva les sourcils.

— Comment ça, il est abîmé ?

Le Pouce lui indiqua un endroit et Seema se pencha pour vérifier.

— Je n’y suis pour rien. Il était très sûrement comme ça à la base. Je veux mon argent.

Le bandit fouilla dans sa poche et déposa quelques pièces d’or sur le comptoir. Seema s’énerva aussitôt.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? Tu m’avais promis le double !

— Je t’avais promis le double, si le collier était intacte. Ce n’est pas le cas. Estime toi heureuse que je te paie quand même.

Le Pouce se détourna d’elle pour aller ranger le joyau dans son coffre signifiant ainsi que la conversation était terminée.

— C’est dégueulasse ! J’ai fait le travail comme tu me l’avais demandé ! Tu sais qu’avec moi, personne ne pourra remonter jusqu’à toi. C’est pour ça que tu fais appelle à moi ! Tu sais que je suis conscencieuse et méticuleuse. Tu n’as pas à te plaindre de moi… J’exige que tu me donnes l’argent que tu m’avais promis !

Le géant se retourna, le regard noir. Il s’approcha de Seema, mais celle-ci ne cilla pas. Cela faisait bien longtemps qu’il ne lui faisait plus peur.

— Je t’ai payé. Si tu n’es pas contente, il n’y a pas de soucis, je ne te demanderais plus jamais rien.

Seema garda le menton haut, faisant attention à ne pas détourner le regard. Le Pouce aimait faire pression sur les autres. Et cela commençait pas le contact visuel. Mais Seema était fière. Et elle ne le laisserait pas croire qu’il pouvait d’elle ce qu’il voulait.

— C’est toi qui me regrettera, Le Pouce, pas le contraire.

En colère, Seema fit demi-tour et sortit de l’auberge en claquant la porte derrière elle. Une fois dans la rue, elle fixa l’argent qui tenait dans la paume de sa main. Elle comptait dessus pour faire un cadeau à Teja. La petite fille avait encore grandi et elle avait besoin de vêtements. Seema avait remarqué comme elle regardait les robes exposées chez la couturière de leur quartier. Quand Le Pouce lui avait parlé de ce travail et avait mentionné la paie qui irait avec, elle avait vu là l’opportunité de pouvoir gâter Teja. Mais maintenant, elle avait tout juste de quoi payer le loyer pour la semaine et leur acheter de quoi manger. Et après son altercation avec Le Pouce, elle savait que celui-ci prendrait un plaisir tout particulier à laisser s’écouler les semaines avant de lui donner une nouvelle mission.

Seema aimait sa vie. Elle aurait pu être mieux. Mais elle avait conscience que cela aurait pu être également pire. Elle avait trouvé un équilibre dans son quotidien et se contentait souvent de peu, afin de ne pas être déçue. Mais parfois, du haut de ses dix-neuf ans, Seema aurait voulu pouvoir se permettre d’autres occupations, comme les jeunes femmes qui vivaient dans la Cité du Haut… Que les seules questions qu’elle se pose au quotidien soient sur sa tenue du jour. Ou si le garçon qu’elle appréciait l’avait également remarquée. Elle les entendait souvent parler, cachée dans une ruelle. Tout cela lui semblait tellement futile.

Mais dans les mauvais jours, Seema se disait que pouvoir se permettre d’être futile devait être bien agréable.

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