27.Décorations

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Vendredi 07 décembreASHLEY

Merde ! Je dois me dépêcher si je veux pouvoir installer ce foutu sapin artificiel avant que Stella arrive. Mais il est six heures du matin et j’ai un mal fou à me sortir de mon lit encore trop perturbé par ma mission « achat de Noël » accompagné de ses deux gardes du corps, hier soir. Franchement, je me demande ce qui m’a pris. Appeler son frère à l’aide ? Sérieux ! Et en même temps, je n’avais pas d’autre solution. Si ? NON !

Quand j’y repense, j’en ai mal au crâne. Combien de temps ai-je passé dans les magasins ? Deux heures, deux putains d’heures durant lesquelles j’ai couru de rayon en rayon écoutant les conseils de Cole et tentant de contrôler les pulsions d’Eliott. Ce dingue ajoutait tout ce qu’il voyait dans notre caddie, comme s’il était un gosse. Un vrai gamin ! Et dire que j’ai réussi à rire avec eux… Je n’en reviens toujours pas.

Le pire ? C’est qu’ils m’ont convaincu de faire livrer et installer l’un des sapins les plus gros du commerce. Et moi ? J’ai accepté ! Maintenant je me retrouve, tel un idiot gaga d’une fille, à devoir me lever plus tôt que d’habitude pour ouvrir les portes de l’entreprise aux livreurs. Tout ça pour un satané sapin de Noël ! Mais l’avantage, c’est que nous n’aurons pas à nous prendre la tête pour le montage de ses branches artificielles.

Je soupire, vérifie mon portable, attrape Rodolf et je file. Cette fois, je ne peux pas reculer, je me dois de réussir cette mission. Pire qu’un commando d’élite ? Totalement ! Puisque j’ai à peine passé les portes du bureau que mon téléphone vibre. Une fois, deux fois, puis trois. Et je n’ai même pas besoin d’en vérifier les expéditeurs, je les connais déjà : Cole et Eliott. En parfaits gardes du corps, ils me préviennent qu’ils retiennent Cassie pour me laisser le temps de tout mettre en place.

Merde ! Ils sont vraiment derrière moi ?

Oui, clairement.

Et ce n’est pas la société de décorations qui dira le contraire. D’ailleurs, les portes de l’ascenseur teintent à l’ouverture et je découvre, effaré, l’ampleur du projet qui s’annonce. Ma matinée risque de tourner au cauchemar. Et bordel, je me suis fourré dans ce piège tout seul ! Ash, bouge-toi, tu peux le faire ! Ma conscience m’encourage tandis que mes pieds se décident à avancer. Et une heure plus tard, je m’affale comme une crêpe dans mon fauteuil.

Juste le temps de prendre une respiration que déjà les premiers employés pointent le bout de leur nez. J’ai eu la bonne idée de garder ma porte grande ouverte, histoire de surprendre les réactions et…

— Merde, alors.

Ils aiment vraiment ça ? A l’occurrence, il semble que oui. Chacun en va d’un « oh » ou d’un « ah » surpris. Puis l’étonnement laisse place à l’émerveillement et je remarque que certains sont intrigués par cet arbre encore nu de toutes parures. Mais personne ne vient se plaindre. Au contraire, j’ai l’impression d’observer des enfants tant les sourires prennent vie sur les visages de mes subalternes.

Putain… je n’aurais jamais cru que des guirlandes et quelques « joyeuses fêtes » par-ci par-là pouvaient changer l’ambiance de cet étage en un clin d’œil. Pourtant, c’est ce qui se déroule à l’instant. Je me renfrogne, grogne en m’enfonçant dans mon fauteuil. Ça me dégoute ! Alors pourquoi je me sens détendu, presque serein face à cette scène ? Pourquoi un sourire semble même se dessiner sur mes lèvres ? Je ronchonne en cherchant une raison autre que ces stupide fêtes de Noël, jusqu’à… l’arrivée fracassante de mes deux acolytes préférés : Éric dit le gaffeur et Vince, le sérieux.

— OH. MON. DIEU. C’est géant ! Et ces boites alors ? C’est quoi ? Et ça ? Et là ? ASH ! Ashounet ! Eh ! C’est toi qui as organisé tout ça ? hurle Éric en sautillant dans tous les sens.

J’aurais dû le voir venir mais sa réaction m’exaspère autant qu’elle me fait rire. D’ailleurs, Vince ne manque pas de noter que mes pommettes se relèvent et que mes dents se découvrent pour donner naissance à une moue crispée. Merde, je ne savais pas que j’étais capable d’avoir mal aux mâchoires à force d’étirer mes lèvres pour exprimer ce mélange de joie et de frustration que je ressens.

— Tu t’es surpassé, mec. Mais pourquoi l’arbre est vide ?

Cette fois, ma bouche se ferme en une seconde et mon regard fusille Vince.

— Pourquoi ? aboyé-je contre mon meilleur ami.

— Rien. Je me demande seulement si tu as l’intention de décorer ce sapin de Noël avec la petite brunette qui ressemble à une statue et dont le visage de stupéfaction semble avoir été sculpté dans le marbre.

— Quoi ?

— Cassie est là, se contente-t-il de répondre en pointant la boîte métallique à l’autre bout du couloir.

Stella.

Son surnom s’imprime dans mon esprit à l’instant où mes yeux croisent les siens. Elle est encore loin mais j’ai l’impression de lire dans son esprit, de comprendre et percevoir chaque pensée qui la traverse. D’abord la surprise. Et maintenant… elle me paraît émue. Mon corps agit avant que je ne m’en sois aperçu. Mes pas foncent vers elle. Ma main tire dans mes cheveux alors qu’il me reste cinq enjambées pour l’atteindre.

Enfin, je lis dans son océan. C’est limpide, ça me frappe comme la foudre. J’aime cette fille. Putain ! Elle est…

— Magnifique.

— Ash ?

Son murmure est presque inaudible. Ma concentration est totalement accaparée par ses yeux humides. Elle cligne des paupières. Ses pommettes rosissent. Ses lèvres s’étirent. Et ma paume quitte mes cheveux pour capturer sa joue, qu’elle pousse avec délicatesse contre ma peau. Le monde autour de nous s’efface, il n’y a plus que nous deux.

Stella et Crève-cœur.

Cassie et Ashley.

Ashley ? Depuis quand je m’identifie avec mon prénom complet ? Peu importe.

— Ashley ! Il est immense, chuchote-t-elle en éloignant son visage de ma main.

— Je sais.

— Mais comment ?

— J’ai eu l’aide de deux conseillers.

Elle fronce les sourcils. Penche la tête à droite. Examine dans mon dos. Puis, elle se met à rire avant de me sauter au cou. Quoi ? Pourquoi ? Mes bras se resserrent autour de sa taille, tel un automatisme. Sa chaleur réchauffe mon cœur et son gloussement ne le fait que battre plus fort. Bordel ! Je fonds pour elle. Je succombe au moindre de ses gestes et si je m’écoutais, je capturerais sa bouche ici et maintenant.

— Vous n’avez que ça à faire ? Tu vois, je te l’avais bien dit qu’on devait venir, râle une voix rauque que je reconnais et qui m’oblige à me séparer du corps de Stella.

— Cole.

— Alors, on le décore ce sapin ? demande celui qui le seconde.

— Eliott.

— Vous ? Alors la crise pour le café et la salle de bain… Vous l’avez fait exprès !

Stella s’énerve contre son frère et son meilleur ami, j’en profite pour m’éclipser et rejoindre mes compagnons. Tous les trois nous patientons au pied du sapin et des multiples boîtes de décorations que les garçons m’ont fait acheter. Vince se contente de m’observer en silence les bras croisés. Par contre, je crains qu’Éric ne veuille me passer à la casserole. Seulement, il n’en fait rien, n’en a pas le temps, est pris de court par Eliott qui s’approche de nous et lui tape dans l’épaule.

Il est suivi de près par Cole. Et enfin par Stella qui ne se contente pas de se poster à nos côtés. Non, il semble qu’elle n’a plus de filtre et attrape ma main. Elle la presse puis sourit de toutes ses dents avant de me regarder avec cette intensité lumineuse que je reconnais. Elle est heureuse. Fière aussi d’une certaine manière, comme si ma victoire était la sienne. Et au fond, je me demande si ce n’est pas ce qu’elle attendait depuis le premier jour de son retour.

Depuis son arrivée ici.

— J’ai gagné, soupire-t-elle en se mettant sur la pointe des pieds et embrassant ma joue. Merci.

— Pour ?

— De laisser Noël entrer.

Je suis sans voix face à son air satisfait. Ses yeux pétillent de malice et je sens venir le piège. Les grilles se referment au fur et à mesure que les regards de notre groupe se posent sur moi. Merde, merde, merde… Pourquoi je le sens mal ? Parce que je suis foutu ! Et j’ai raison ! La minute qui suit Cassie m’attire à sa suite. Elle m’entraine avec elle dans l’ouverture des cartons.

S’enthousiasme devant les différentes décorations et choisit même les couleurs qu’elle veut voir prédominer l’espace. Elle se relève, me tire encore derrière elle et m’invite à examiner les éléments que j’ai fait installer en plus du sapin. Des serpentins d’argent et de bleu. Des guirlandes lumineuses qui scintillent à des rythmes prédéfinis. Et elle termine son examen en revenant sur le sapin de deux mètres.

— Bien. Commençons. Cole ? Les guirlandes lumineuses. J’en veux des statiques. De préférences bleues ou alors à lumière blanche. Eliott ? Trouve-moi une étoile avec des paillettes pour le clou du spectacle. Éric, Vince, vous restez ? Si oui, j’aimerais voir deux tas de boules de diamètres qui varient, un camaïeu de bleu et dans l’autre de l’argent. Quelques décorations blanches peuvent se marier à la perfection avec ce duo. Ash ?

— Euh… Stella ?

Elle ne m’écoute pas. Trop concentrée dans l’annonce de ses ordres. Mes amis ne posent pas de questions, ils agissent, sourient sous les paroles nettes de ce bout de femme. Cole hausse les épaules comme pour me signifier que c’est normal. Et Eliott, je suis sûr de le voir glousser quant à mon air confus presque perdu. Merde, dans quoi je me suis embarqué ? Un puit sans fond ? Non… Je ne peux pas le qualifier de cette manière, pas quand des étoiles brillent dans cet océan trop souvent orageux.

— Ashley ?

Mon prénom.

Sauf qu’il ne provoque pas le frisson habituel. Au contraire, mon corps se redresse, ma tête se penche pour capturer l’attention que Cassie porte sur moi et j’attends impatient de connaitre les mots qu’elle me réserve. Stella a un don pour rendre le détestable presque… supportable. Elle m’indique une boîte, puis une deuxième. Je fronce les sourcils avant de comprendre ce qu’elle attend de moi.

— Sélectionne les deux plus longues. Une…

— Bleue, l’autre argent. J’ai saisi l’idée, Stella. Je dois trouver ses guirlandes qui vont serpenter de la pointe jusqu’au pied de ce foutu truc.

— Eh !

— Je t’en prie, tu ne croyais quand même pas que j’allais coopérer si facilement, râlé-je en me mettant en action.

— Si. La preuve !

Non mais je rêve ! Et elle a raison en plus. Parce que mes mains sont déjà en mouvement et farfouillent dans le bazar environnant à la recherche de l’ornement PARFAIT. Bordel ! Je suis foutu, pris dans les mailles de mon propre filet mais le pêcheur ce n’est plus moi. Oh non… Celle qui tire l’appât pour m’atteindre, c’est Cassie. Une étoile qui brille au milieu de son univers. Qui rayonne alors qu’elle gouverne nos actions.

Je ne m’attendais pas à prendre autant de plaisir à analyser la belle brune face à cet arbre immense. Et pourtant, je me retrouve comme un con, les mains chargées de décorations en tout genre durant toute la matinée. Je me surprends parfois à observer et écouter le rire de mes amis. Me perdant aussi face à toutes ces décorations. Prenant trop ou presque de plaisir dans leur installation.

*

CASSIE

Une enfant au parc d’attractions, une adolescente face à son idole, ou juste mes yeux qui s’émerveillent devant la magie des fêtes, je crois que ça résume à la perfection mon état d’esprit en ce moment. Je suis juste heureuse. Surprise, conquise et fière du pas en avant qu’à fait Ash. Pour… moi ? Pour lui. Pour cet adolescent que je retrouve à travers son regard d’homme. Il n’est plus maussade et même si c’est éphémère, j’ai espoir de voir ce halo de lumière autour de lui, plus souvent.

Il le mérite.

Perdue dans la contemplation de notre œuvre, je souris tout en me rappelant qu’il n’y a pas si longtemps, je faisais mon maximum pour retenir mes sentiments pour Ash. Je les cachais au plus profond de mon cœur, enfermés à double tour au fond d’un tiroir. Qu’il y a encore deux semaines de ça, j’étais submergée par la haine. Et aujourd’hui… alors que nous sommes-là, ensemble, à « rire », – si on oublie les grognements sauvages et les insultes d’Ashley envers nos pauvres décorations à chaque fois qu’il en met une en place – et installer des décorations de Noël, mon cœur se gonfle d’amour.

Les morceaux meurtris par l’abandon d’Ashley se soudent entre eux, n’attendent plus qu’un signe de sa part, de ma part. Et je me demande si mon désespoir, ma tristesse et toutes mes blessures n’étaient pas, en vérité, des traces de cet amour que j’éprouve encore pour lui.

Mon crève-cœur.

N’est-ce pas drôle de se dire que l’amour est à un pas de la haine ? Qu’aimer et détester sont si proches que je les ai confondus pendant des années ? Qu’un simple regard vers lui me fait vibrer ? Un soupir m’échappe alors que je me redresse pour admirer notre sapin. Il est magnifique.

Cette œuvre, elle nous ressemble. Brille et scintille de cet amour que nous avons pendant longtemps porté en nous. Caché aux yeux des autres mais visibles par nous seuls. Liés par ce passé qui nous a brisé et qui aujourd’hui nous rassemble pièce par pièce. Ensemble.

J’observe la scène qui m’entoure. Ash qui râle tout en aidant mon frère et mon meilleur ami pendant qu’ils installent la dernière touche à notre sapin. Tandis que Vince et Éric blaguent sur le fait que leur ami devient un professionnel des décorations.

— Fermez-là vous deux ! Qui est l’idiot qui m’a foutu dans cette merde ? leur hurle Ash du haut de l’escabeau.

— D’après toi !

Mon frère lui répond, moqueur et les ricanements de notre groupe folle à travers l’espace. Aussi étonnant que cela l’est,

Ashley rayonne de cette chaleur qu’apporte les fêtes de Noël et de ce bonheur de profiter. Il est comme entourée d’une bulle qu’il a lui-même créée. Cet instant, il est possible grâce à lui et si j’ai conscience que sa première intention était de se réconcilier avec moi. Au fond s’il l’ignore encore, je sais qu’il a ouvert la porte.

Je dois être retournée à mon état d’adolescente, non ? Peut-être. Est-ce vraiment le plus important ? Non. Ce qu’il l’est au contraire, c’est les efforts de Crève-cœur. Et en laissant entrer Noël comme il vient de le faire, ce ne sont pas seulement des barrières qu’il a fait tomber mais toute la prison qui entourait son cœur. Alors…

N'aurait-il pas le droit à une petite récompense ?

Sous l’attention curieuse de notre petite groupe, je file dans le bureau d’Ash pour en revenir avec notre chocolat de la journée.

Je me plante face à lui. Un sourire étire mes lèvres. Mes yeux glissent dans les siens, je m’y perds une seconde. Puis, avec une gloussement espiègle, je ne peux m’empêcher d’annoncer :

— On partage ?

D’abord prit de surprise, Ashley ne réagit pas. Ses yeux fouillent les miens. Et ce moment suffit à effacer le monde qui nous entoure. J’oublie nos amis, les cartons des décorations éparpillés autour de nous. J’en viens à effacer toute trace du lieu où nous nous trouvons. Nous ne sommes plus dans l’entreprise, plus non devant le sapin que nous venons de décorer, et encore moins parasités par les messes basses de mes collègues. Non…

Tout autour de nous me ramène à notre banc, nos moments ensemble au sous-sol, nos soirées films sous la couette. Fini le Crève-cœur, cette arme qui m’a transpercé le cœur a disparu pour construire peu à peu une nouvelle page à notre histoire. Alors sans comprendre le sens de cet instant, ni l’impact qu’il pourrait avoir, j’attends.

Impatiente de savoir si Ashley vibre au même rythme que le mien. Et cette preuve, elle arrive comme une évidence. Il n’a pas besoin de mot pour se faire comprendre. C’est d’ailleurs son visage lumineux qui répond à ma question, et au lieu de phrases, il préfère tendre le bras vers moi et m’attirer à lui. Il colle mon dos à sa poitrine, entoure ma taille de ses mains. Sa bouche vient se glisser à mon oreille là où ma peau est sensible, son souffle m’ébranle faisant écho à mes souvenirs.

— Tu me rends fou, Stella. Regarde ce que tu me pousses à faire. Merde… Je n’aurais jamais cru que…

Je le coupe. Me retourne. Et prise par l’ambiance que nous avons instauré toute la matinée, je me hisse sur la pointe des pieds avant de poser mes lèvres sur les siennes. Un, deux… trois. Il n’y a que nous. Quatre, cinq, six… Ses yeux croisent les miens et se ferment. Je suis le mouvement, m’enfermant dans une bulle avec cette homme qui fait battre mon cœur.

Mes doigts lâchent notre chocolat et viennent se placer dans sa nuque. Je tire légèrement sur la racine de ses cheveux, le poussant à approfondir notre baiser. Mes joues rougissent. Mes lèvres sont affamées, dévorent chaque centimètre des siennes.

Rapidement, c’est Ashley qui prend la main. Il échappe un « merde » entre ses dents, m’enserre la taille, me soulève presque. Sa langue s’invite dans ma bouche, elle joue avec la mienne. Mes mains s’enfouissent plus encore entre les mèches de ses cheveux. Mon esprit s’évade… Oubliant tout en un instant. Une seconde et tout mon univers bascule vers le sien. Sauf que…

— Ouh là, vous deux ! Stop, on s’arrête là ! Circulez, vous ! Il n’y a rien à voir.

Éric ? Confuse, une main m’arrache aux bras de Crève-cœur en me tirant par le col de ma chemise. Mon souffle est coupé, mes lèvres portent encore le goût de nos baisers. Les émeraudes d’Ash traquent la personne qui vient de nous déranger. Et c’est alors que je comprends, que mes pieds reviennent sur terre.

C’est la douche froide.

Confusion.

Détresse.

Ashley amorce un pas vers moi, mais mon instinct me hurle de reculer. Mon corps se retrouve contre celui imposant de mon meilleur ami qui pose de suite une main rassurante sur mon épaule. Il l’a serre avant d’ouvrir la bouche. Et si d’habitude, il est le premier à blaguer, ici il est tout à fait sérieux.

— Cassis, tu devrais éviter ce genre de démonstration. Les commères vont se profiter de cette occasion pour lécher les bottes de…

Je ne lui laisse pas le temps de finir. Je sais. Madame De Cœur. Toujours, elle, une vipère qui rode alors qu’elle n’est pas sur place. Mais c’est comme si elle avait laissé sa mue dans un coin et qu’elle y était connectée en permanence. Un serpent qui malgré son changement de peau ne sait pas prendre un nouveau chemin, trop heureuse de garder sa proie emprisonnée.

— Ouais… et c’est valable pour toi aussi mon pote ! Purée ! On a cru que vous alliez vous dévorer sur place !

Éric, encore. Ils nous ont sauvé… Du moins, ils ont réduit les dégâts au maximum. Quoiqu’avec nous, ils n’ont pas de chance. Surtout que cette situation n’empêche pas Ash de se rapprocher de moi et d’entrelacer ses doigts aux miens.

Merde !

Je panique. Essaie de me séparer de cette ancrage mais il n’en fait qu’à sa tête. La pression de ses phalanges se resserre, il maintient sa prise. Ses yeux me supplie de rester près de lui, avec lui. Et son menton qui se tourne vers le sapin que nous venons de décorer ne fait confirmer qu’il a tout aussi peur que moi. Une moue de dégoût habille son visage, le trop plein de paillettes surement, mais c’est son sourire qu’il m’offre avant de m’entraîner dans son bureau.

— Venez, grogne-t-il en passant entre nos amis.

— Le mâle alpha est de sortie ! On est mal ! hurle Éric.

Je glousse.

Mais cela ne semble pas être le bon moment. Ashley marmonne, ronchonne tout en s’engouffrant dans son antre. Moi ? Je l’analyse, bloquée entre deux émotions. Heureuse d’avoir réussi ma mission Noël et effrayée à l’idée que nous venons d’offrir un spectacle des plus appétissant aux pimbêches. Des serpents qui vont surement ramper auprès de madame De Cœur. Remarque une vipère ne pouvait qu’en attirer d’autres.

— Ne t’inquiète pas.

Ash.

Sa main se sépare de ma paume et ses doigts viennent dessiner le contour de ma joue. Son regard se veut rassurant. Et les pas de nos compères qui pénètrent dans notre refuge ne font que me rassurer. Cette fois, je ne serais pas seule face à cette femme, du moins… je l’espère.

— Vous nous avez fait quoi là ? Besoin d’une chambre peut-être ? Non ? Ça ira ?

— Doucement, Cole. Tout va bien.

— Pardon ? Tout va bien ? Tu es sûr que tout va bien, Eliott ? Est-ce que tu étais avec moi quand Cassie était à terre ? Non ? Si, hein ! Alors ouvres les yeux ! Merde ! Mais pourquoi je me suis embarqué dans ce plan-là ? Je suis vraiment trop con. Mais oui, Cole, vas-y !

— Cole… , tenté-je dans un souffle.

Sauf que l’attention qui se porte de mon côté, me pousse à partir en arrière, instinctivement. Mon corps me hurle de se protéger, mon cœur pulse à une allure folle… Il me faut un ancrage, et c’est la chaleur d’Ashley qui se colle à mon dos que je trouve. Un soupir de soulagement m’échappe. Et au lieu d’être mon crève-cœur, cette arme dont la lame m’a transpercé la poitrine, il devient mon pilier en un instant. Ma zone de sécurité, le ciel sombre dans lequel il est facile de brille et de devenir une étoile.

Briller parce qu’il suffit parfois d’une étincelle pour faire basculer le monde, la mienne correspond à un sapin de Noël que nous avons décoré ensemble. Et mon monde ? Merde ! Il est bouleversé. Les morceaux de mon cœur dispersés sous forme de poussière d’étoile ? Ils se recollent, se soudent entre eux. L’étage tout entier est recouvert de décorations lumineuses, brillantes.

Pourtant ce n’est qu’une infime victoire.

Ashley se redresse pour se tenir droit dans mon dos. Il fait face à nos amis, ceux qui nous ont vus dans les meilleurs et les pires moments, ensemble puis séparés et aujourd’hui… ils observent cet entre-deux. Cet intermède que seul, Crève-cœur a su nous offrir en s’ouvrant à nouveau, ne serait-ce qu’un peu à la beauté de Noël. Aux fêtes qui lui ont laissé des cicatrices qui ne s’effaceront jamais.

Alors… suis-je prête à lui donner ma confiance ? Je l’ignore. Mais, j’aimerais me dire que si j’ai osé venir travailler dans son entreprise ce n’est pas seulement par obligation, par nécessité ou encore par curiosité de le retrouver. Au contraire, j’ai envie de croire que ce sont les vestiges de notre relation qui m’a guidée à lui.

Comme si tout notre univers nous hurlait de nous rejoindre.

— Une explication, peut-être ? demande Vince en fermant la porte du bureau d’Ashley derrière lui.

Silencieuse, je me contente d’un sourire timide.

— Cass ?

— Bon, ok ! Mais en même temps, vous vous attendiez à quoi ? Il est Ash. Mon crève-cœur, mon premier amour… Alors… Je veux dire. Oui. Le voir m’offrir tout ça, dis-je en pointant les décorations que nous venons de mettre en place. C’est comme m’avouer…

— Ses sentiments ? Bien sûr ! Evidement que ma sœur tombe dans le piège, quel idiot, je fais ! Ouvre les yeux petite sœur ! Il déteste toujours Noël !

— Cole, ça suffit !, s’énerve Eliott

— Non ! Ça ne suffit pas ! Ça ne suffira jamais à la mettre en garde, elle va foncer tête baissée comme toujours. Et pourquoi ? Parce que c’est lui qui est concerné ! Encore ! Comme si devoir prendre un autre chemin pour atteindre son rêve n’avait pas été suffisant ! Et quoi ? Vous avez quand même le temps de vous exposer devant tout un étage, dans une entreprise dont les murs ont des oreilles ?

C’est trop.

Je ferme les yeux.

Mes mains sont prêtes à atteindre mes oreilles.

Mais…

Ashley intervient.

Tous s’arrêtent.

— Toi comme Eliott m’avez accompagné pendant plus de deux heures pour acheter ces stupides décorations. Et tout le bordel qui va avec. Oui, je déteste les fêtes. Je les hais au plus haut point et vous en connaissez tous la raison ! Bordel ! Cole regarde-la ! Il y a une seconde à peine, elle était rayonnante. La Stella que je… Non, elle est la Stella qu’elle a toujours été, cette étoile qui ramène la lumière peu importe les lieux qu’elle traverse. Alors ouais, je vous remercie mais en aucun cas, je vous autorise à dire que c’était stupide, idiot ou que sais-je encore. J’avais besoin de votre aide, merci pour ça. Mais Stella, c’est Stella. Il n’y a pas d’autres explications à mes actes et ce sapin, ce truc que je trouve d’habitude ridicule et qui me serre la poitrine à chaque fois que je le vois, pour une fois, il me donne l’envie de sourire. Putain ! Elle est mon étoile. Et si vous ne le comprenez pas, la porte est derrière vous. Compris ?

Nous sommes tous soufflés par les paroles de crève-cœur. Secouée par ce qu’elles impliquent, je ne peux m’empêcher de porter une main à ma joue, brûlante de satisfaction. Cet homme aura ma peau autant que j’aurais la sienne. Et le sapin qui se dresse maintenant en face de mon bureau est la preuve que l’allumette vient de flamber des braises qui ne demandaient qu’à être rallumées.

— Oh… Ashley.

Mon cœur succombe.

Je plonge, fonds pour lui.

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