Fenêtre ouverte

4 minutes de lecture

De là où je suis je vois tout, je domine la société dans ce qu'elle a de plus beau et de plus terrible.

La femme du cinquième s’affairant dans la maison toute la journée pour que tout soit propre et bien rangé, pour que rien ne déçoive son mari, l’homme qu’elle aime autant qu’elle en a peur. Elle lui cuisine son dîner préféré et lui prépare sa bière dans l’espoir qu’il soit de bonne humeur en rentrant de son travail, une fois la journée terminée, lorsque l’aurore parsème de paillettes rouge sang le ciel qui fut bleu azure. Au lieu de ça il rentre et se laisse tomber dans son vieux fauteuil qui a pris la forme de son corps à force qu’il s’y laisser choir sans même un mot gentil à son intention. Il ne laisse rien passer et lui hurle dessus pour le moindre faux pas, la moindre seconde de retard lorsqu’elle répond à l’une de ses quatre volontés. Puis lorsque l’alcool est bien monté, lorsque son éternelle fureur a pris le pas sur le peu d’humanité en sa possession il devient brutal et la gifle avec violence, lui éclatant les lèvres, lui arrachant des cris de douleur et de peur, lui crevant les yeux de larmes terrifiées. Plus elle pleure, plus il frappe fort. Mais il sait quand s’arrêter, il sait où frapper pour que les bleus ne soient pas trop visibles. Puis il part se coucher et elle reste recroquevillé sur le sol, sans bouger à attendre qu’il s’endorme pour enfin oser aller à la salle de bain se soigner.

Il y a également le jeune couple du quatrième qui vient juste d’emménager et qui file le parfait amour, un amour synonyme de tendresse, d’indulgence, de fidélité, de soutient, d’insouciance. Ce couple est tellement beau à voir. Mais je sais. Je sais déjà ce qu’il va se passer dans quelques années, le broyeur de la vie va se charger de réduire en charpie cette magnifique fleur d’amour qui a éclot entre les deux tourtereaux, ils ne seront plus que coquille vide répétant jour après jour les même gestes, ils seront peut-être accompagné de fruit d’innocence, le fruit de leur amour passé, un petit garçon ou une petite fille qui découvrira la vie terne et maussade à travers leur yeux et le transformera en source de découverte et de bonheur quotidien. Mais jusqu’où ? Jusqu’où cette transformation sera-t-elle possible ? Peut-être l’adolescence, peut-être plus jeune, mais cette innocence se perdra, cette lueur s’éteindra et finira par refléter les yeux ternes de ses parents, brisé et broyé par la vie.

Au troisième, cet homme qui vit désormais seul avec son fils, depuis que sa femme a mis les voiles avec un avocats il y a deux ans de cela. Chaque matin il se lève et se regarde dans la glace, chaque matin il se convainc d’affronter cette nouvelle journée. Se lever. Préparer le petit déjeuné pour Théo. L’emmener à l’école. Aller travailler. Aller le chercher à l’école. Préparer le dîner. Coucher Théo. Se coucher. Chaque jour la même chose, ne pas perdre le rythme, ne pas se perdre, car oui depuis le départ de sa femme il est mort intérieurement, il n’est qu’une enveloppe vide destiner à s’occuper de son fils. Mais un jour il comprendra. Il comprendra qu’il n’a pas tout perdu, qu’il peut encore se battre, qu’il doit se battre, pas uniquement pour son fils mais aussi pour lui, pour sa vie. Car nous n’en avons qu’une et il ne faut surtout pas la négliger. Il faut la vivre puissamment et sans regret.

Et enfin le deuxième étage, un vieux couple qui passe une retraite tranquille et bien mérité, un couple qui renait dans la vieillesse. Les corps brisés par la vie sont animés d’une nouvelle vigueur, leur amour tel une plante vivace flamboie de nouveau à travers leurs yeux plein de sagesse. Des yeux qui en ont vu long, qui savent. Ils regardent la télévision ensemble et s’endorment d’un même soupir. Ils préparent les repas ensemble et se rappellent de vieux moments de joie qui éclaire leurs visages d’un même élan de joie. Ils sont ensemble, ils sont un. Ils accueillent leurs enfants et petits-enfants avec le même plaisir évident dans chacun de leurs gestes. Leur bonheur est intact. Mais un jour la maladie les rattrapera et es emportera, un jour une partie de leur âme s’en ira en même temps que leur moitié, seul l’un des deux restera, seul l’un des souffrira jusqu’au moment où tout leur bien seront légué aux enfants et petits-enfants sauf si bien sûr, les enfants se seront mis d’accord pour envoyer leur parent en pension dans un établissement spécialisé et ainsi pouvoir vendre la maison.

Voilà, ce que je vois, le terrible, l’injuste, le bonheur, l’innocence, la vie, quoi. Je vois tout ça de là où je suis. Mais où suis-je vous vous dites. Eh bien, je suis devant ma fenêtre, ouverte en été, fermé en hiver, je suis là tous les jours, dans mon fauteuil, j’observe avec mes yeux, l’un des seuls organes de mon corps encore mobile après mon accident de voiture. J’ai une vision pessimiste de la vie pensez-vous. Vous avez raison, seulement je préfère dire que j’ai une vision réaliste de la vie car après mon accident je n’attends plus rien de la vie. Je me contente de réfléchir, comme si j’étais détaché de celle-ci, et j’observe l’effet de ce broyeur, de ce mixeur qu’est la vie sur les autres. Je suis juste là. Je suis devant ma fenêtre ouverte.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Romane A.L ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0