Chapitre II: Partie 1/3

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  Cette question l’avait tracassé pendant toute une semaine. Il était pourtant certain de l’avoir regardée sous tous les angles possibles lors de leur rencontre. Comment avait-il pu passer à côté d’un élément si important ? Elle avait toujours porté des bijoux, beaucoup de bijoux, certes, mais ce n’était pas un simple bijou. C'était une alliance, une bague lui certifiant qu’il l’avait perdue pour toujours. Il soupira une énième fois. Ils avaient rendez-vous tous les trois aujourd’hui. Silvia et elle s’étaient vues la semaine dernière, elles avaient pris un café ensemble, sans lui, Elisabeth avait insisté pour qu’il ne soit pas présent. Ainsi, les deux femmes avaient pu faire connaissance et avaient convenu du rendez-vous d’aujourd’hui, sans le consulter. Il avait horreur de se sentir exclu de la sorte. Mais il ne put ruminer davantage, les rires de ses collaboratrices lui parvinrent aux oreilles. Thibault devait remonter sur le ring. Il se retourna et la dévora du regard instinctivement. Elle portait une jupe bordeaux droite à taille haute qui s’arrêtait juste au-dessus de ses genoux, un chemisier bleu marine ample rentré dans sa jupe et une paire d’escarpins noirs dont le talon devait sans aucun doute faire au moins dix centimètres. Son allure était élégante et sa démarche assurée, elle attirait tous les regards, les admiratifs comme les plus craintifs, arrivant à faire oublier son petit mètre soixante et sa silhouette frêle.

   Elle sentit son regard sur elle à la minute où il s’y posa. Un frisson léger la parcourut mais elle ne laissa rien paraître, ça lui aurait fait trop plaisir. Elle continua donc de rire aux paroles de Silvia qu’elle n’écoutait plus, avant de retrouver son sérieux quand elles arrivèrent près de lui.

   Elles saluèrent poliment et d’une manière très professionnelle l’homme en costume sombre qui leur souriait. Thibault les invita à prendre place dans son bureau et pria sa secrétaire de ramener du café et les papiers pour le contrat. Cette dernière acquiesça en souriant bêtement et attendit qu’ils disparaissent de sa vue pour se ruer un étage plus bas, le patron dévorait la nouvelle cliente des yeux, tout le monde devait le savoir.

  Assis tous les trois autour du grand bureau en chêne, cafés en mains et papiers sous les yeux, les deux femmes animaient la conversation en tentant de se mettre d’accord sur la marche à suivre et sur la nature du contrat. Thibault, d’un calme qu’Elisabeth ne lui connaissait pas, restait en retrait et prenait quelques notes sans jamais intervenir. Curieuse de savoir ce qu’il prenait en note avec autant de soin, la jeune femme fit signe à son interlocutrice de se taire. Ce silence soudain lui fit relever la tête. Elle l’interrogea du regard, il répondit dans un sourire qui n’annonçait rien de bon. Silvia, qui ne connaissait pas aussi bien son patron que « leur cliente », fut quelque peu surprise de ce jeu qui semblait si naturel entre eux.

  Elisabeth relança alors la conversation, reportant son regard sur Silvia. Mais elle ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d’œil qu’elle croyait discrets en direction de Thibault. Le sourire qu’il arborait fièrement en prenant ses notes la mettait mal à l’aise, exactement comme au début. Il la déstabilisait. Il avait toujours réussi à la déstabiliser, quoi qu’elle prétende, il réussissait toujours. C’était sans doute ce qui l’avait attirée il y a des années et ce qui continuait de la perturber aujourd’hui.

  La patience n’étant pas son fort, la jeune femme décida de le laisser gagner, pour cette fois. Elle invita gentiment mais fermement Silvia à aller chercher un peu de café. Cette dernière s’étonna en constatant que la cafetière était encore pleine aux deux tiers, mais ce qu’elle lu dans le regard d’Elisabeth lui fit comprendre qu’elle devait quitter le bureau, maintenant, et sans faire d’histoires.

  Dès qu’ils furent seuls, la jeune femme ouvrit la bouche prête à se lancer sans retenue dans une longue tirade glaciale dont elle seule avait le secret, mais il la coupa dans son élan d’un geste de la main. Faussement offusquée, réellement surprise, elle s’affaissa dans sa chaise et le toisa du regard, attendant qu’il se justifie.

  Il lui lança un sourire arrogant et posa négligemment son carnet sur le bureau. Un soupir plus tard, il était debout dans la pièce, tournant en rond sous son regard.

  Ses beaux yeux chocolats le déshabillaient sans chercher la discrétion mais le frisson, elle devait renverser la situation, il avait pris le dessus, mais ça ne devait être que provisoire. Alors elle laissa son regard courir le long de ses bras où il avait retroussé au trois quart une chemise noire dont il avait trouvé judicieux de ne pas attacher les trois premiers boutons. Puis elle observa sa main droite, la gauche étant glissée dans sa poche. Cette main qu’elle avait tenue, embrassée, enlacée, aimée. Elisabeth se surprit à retomber dans des souvenirs qu’elle croyait enterrés et oubliés. Elle perdait pied et tous les deux le savaient.

  C’est ce moment précis qu’il choisit pour passer à l’offensive. Il alla prendre appui contre le bureau, se rapprochant d’elle de façon à ce que leurs jambes puissent se frôler, puis croisa les bras sur sa poitrine. Son regard se planta dans le sien et il attaqua :

« Étonnant que tu n’aies pas encore pris mon carnet. Mais bon, pour récompenser cette preuve de patience et qui sait, peut-être de confiance, je vais être direct. J’aime ton style, j’aime tes histoires et je pensais tout ce que je t’ai dit l’autre jour, seulement voilà, il y a des choses à revoir.

  • Des choses à revoir ? Elle gloussa. Je ne changerai rien Thibault et je ne te laisserai sûrement pas mettre ton nez là-dedans. De toute façon, c’est marqué dans le contrat, tu n’as rien à redire.
  • Rien n’est signé il me semble ? Il marqua une pause. Ecoute Liz, tout ce que je veux c'est t'aider, alors je te propose la chose suivante...
  • Inutile de te fatiguer Thibault, c'est avec Silvia que je vais régler tout ça.
  • Hu, il émit un léger rire. Ah Silvia, c’est une femme d’affaire extra, vraiment. Mais tu sais quoi ? Il lui manquera toujours la passion qui pourrait faire d’elle une éditrice hors pair. Tu pourras sûrement lui faire inclure toutes les clauses que tu veux dans le contrat ou je ne sais quoi d’autre, du moment que vous restez à cinquante cinquante. Ce qui finalement, lui laisse pas mal de pouvoir.
  • Où veux-tu en venir Thibault ? demanda-t-elle, la voix complètement vidée de toute agressivité.
  • Tu es douée, très douée Liz, mais tu as besoin d’un avis objectif sur ton travail, quelqu’un qui s’occupe de te bousculer, de te stimuler et de te faire progresser, pas seulement quelqu’un qui se charge de te vendre. Déclara-t-il avec sérieux.
  • Et cette personne c’est toi ? Ironisa Elisabeth sur la défensive.
  • Exactement. Et pour te prouver ma bonne foi, je change les termes du contrat : cinquante et un pour cent pour toi, quarante-neuf pour moi. Je veux un droit de regard sur tout ce que tu fais mais tu auras le dernier mot quoi qu’il arrive. Dit-il d’une voix rassurante qui lui avait manquée malgré elle. »

  La jeune femme laissa un silence tendu prendre place dans l’immense pièce. Un soupir s’échappa de ses lèvres alors qu’elle se leva. Elle jeta un coup d’œil à sa montre et déclara qu’elle devait partir, le regard perdu sur la ville que laissait voir la baie vitrée. Elle avait besoin de réfléchir, seule, loin de cet homme qui lui empêchait toute réflexion raisonnée.

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