Un mois qu’elle avait signé ce fichu contrat, un très long mois qui lui avait été donné pour qu’elle ponde une nouvelle histoire. Une nouvelle histoire, bien sûr, mais quelle histoire ? Elisabeth poussa un long soupir, fruit d’une trop grande réflexion et d’une frustration qu’elle ne pouvait plus dissimuler. Elle posa négligemment son carnet sur la table basse qui lui faisait face et s’enroula dans ce vieux plaid rose qu’elle aimait tant. Elle bascula sa tête en arrière, la reposant sur le haut du canapé, et ferma les yeux.

   Depuis quand n’avait-elle pas réussi à écrire un mot ? Elle ne s’en souvenait même pas, tout ça était bien trop lointain. C’était une vieille période de sa vie. Elisabeth avait parfois l’impression qu’il s’agissait d’une autre vie, de celle de quelqu’un d’autre. Elle avait tant changé, peut-être trop, se dit-elle en rouvrant les yeux. Un nouveau soupir passa entre ses lèvres. Son portable vibrait. Il était temps de se préparer. Alors à contrecœur, elle quitta son cocon et monta se préparer. Il était hors de question que quiconque la voit dans cet état, elle se sentait bien trop vulnérable.

  Perchée sur ses escarpins rouge vernis, Elisabeth se sentait déjà beaucoup mieux, et elle traversa le bâtiment d’un pas assuré. Sans frapper, la jeune femme franchit la porte du bureau de son collaborateur, visiblement très préoccupé par ce qu’affichait l’écran de son ordinateur. Prétendant ne pas s’en soucier, elle commença à s’installer de la même manière que si elle avait été seule. Thibault sourit : imposer ses règles et ne lui montrer aucune considération semblait être la règle numéro un pour Elisabeth. Mais il n’était pas dupe et elle ne le savait que trop.

   Ses yeux verts finirent par se détacher de son écran pour venir se poser sur Liz, tête baissée sur le travail. Il reconnut immédiatement le chemisier blanc qu’elle portait et fut impressionné qu’il lui aille toujours après dix ans. Il laissa son regard descendre, la scruter, jaugeant tout, se rappelant parfois et s’égarant beaucoup. Son jean noir taille haute paraissait lui aller si bien qu’il regretta de ne pas l'avoir regardée quand elle était arrivée, lorsqu'elle était encore debout...Il secoua la tête en pouffant. Il était ridicule, mais c’était plus fort que lui.

   Agacée de se sentir brûlée par son regard, Elisabeth se redressa sur sa chaise, calant son dos contre le dossier et fixa son interlocuteur d’un regard interrogateur. Elle ne devait pas le laisser reprendre le pouvoir. Elle avait signé, certes, mais elle ne se laisserait pas faire, loin de là.

   Un sourire –trop- charmeur en réponse à son regard suffit à l’alerter, qu’allait-il bien pouvoir lui annoncer ?

« Bon, et bien on dirait qu’on va devoir travailler tous les deux. Déclara-t-il en tentant vainement de cacher la joie que lui apportait cette idée.

• Pardon ? Et en quel honneur ? Tu oublies les clauses du contrat ! Elle marqua une pause, elle paniquait. Et puis, où est Silvia d’abord ? C’est ELLE mon éditrice.
• Silvia, comme j’ai tenté de te l’expliquer, n’est pas spécialement passionnée par ce travail. Elle est plutôt du genre à suivre l’appât du gain. Il soupira, faussement consterné. Elle est donc auprès d’un de nos plus gros clients aujourd’hui. Il va sûrement la nommer éditrice principale de son œuvre. Plus il lui confie de responsabilités, plus elle gagne d’argent. Et malheureusement ton contrat ne l’avantage pas autant. »

   Fier de sa tirade et plutôt satisfait de la tournure que prenaient les choses, l'éditeur quitta son fauteuil, attrapa sa veste et son cartable. Il s’immobilisa une seconde en remarquant que sa cliente ne semblait pas comprendre où il voulait en venir. Alors il lui intima seulement de le suivre d’un mouvement de la tête.