Chapitre II: Partie 3/3

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   Assise à l'arrière du taxi, Elisabeth serrait les poings, les mains posées sur les genoux. Elle aurait dû protester, ou au moins le questionner, mais surtout pas le suivre comme ça. Qu'est-ce qui lui était passé par la tête ? Trop tard. Le véhicule venait de s'arrêter à la demande de Thibault. Ils étaient arrivés.

   A peine avait-elle posé le pied par terre qu'elle reconnut l'endroit. C'était le parc, leur parc. Situé un peu à l'écart de l'agitation du centre ville, le vert et les fleurs s'étendaient à perte de vue. Les gens profitaient du soleil assis sur les bancs ou allongés à même le sol au milieu des hortensias et autres buissons fleuris. Elisabeth frissonna, des tas d'images la submergeaient. Ils avaient passé tellement de temps ici assis à réviser ou allongés à s'enlacer. Ils avaient tant rêvé, tant espéré, oubliant le temps et le reste du monde, faisant de ce parc une bulle d'amour et de passion.

   Sans s'en apercevoir, Liz s'était éloignée de la voiture et déambulait déjà dans l'allée principale, suivie de près par Thibault qui contemplait son oeuvre. Il l'avait destabilisée, déboussolée, complètement. Il savait qu'elle pensait à eux. A lui. C'était tellement bon.

   Elisabeth respira longuement et se stoppa. Elle devait reprendre ses esprits. C'était dur. Terriblement dur. Un "pourquoi" presque suppliant passa la barrière de ses lèvres. Elle ne comprenait pas. Que faisaient-ils là tous les deux ? Où était le rapport avec le travail ? Tenter aussi clairement d'arriver à ses fins ne ressemblait pas à cet homme.

   "Parce que c'est ce dont tu as besoin. Tu as besoin d'en endroit qui te stimule, qui t'inspire. Je pourrais te donner des années pour écrire cette nouvelle, si je n'arrive pas à te donner le besoin de le faire, alors on va droit dans le mur.

  • Oui, mais pourquoi..."

   Les mots restèrent muets. Elle posa les yeux sur lui pour la première fois depuis qu'ils étaient là. Il était si confiant, si souriant. Elle secoua la tête et ravala sa question, c'était stupide. Elle connaissait déjà la réponse et elle savait qu'il ne la lui dirait pas, il ne lui dirait pas pourquoi ce parc, pourquoi celui-là et pas un autre.

   "Bien. Elle reprit son ton glacial habituel. Et maintenant ?

  • Maintenant, je te laisse, j'ai un rendez-vous pas très loin. Je devrais être de retour d'ici deux heures. "

   La saluant d'un sourire, il partit sans se retourner, l'abandonnant à ses angoisses. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas fait ça, elle n'en était peut -être même pas capable.

   D'un pas hésitant, elle erra durant de longues minutes, se remémorant tous les moments qu'elle avait passés ici, assise sur un de ces vieux bancs, un crayon à papier dans la main et son carnet sur les genoux. Elle promenait son regard au gré de l'agitation qui l'entourait et laissait son imagination la guider. C'est comme ça qu'elle avait commencé à écrire, et aujourd'hui, sans s'en rendre compte, c'est comme ça qu'elle recommença à écrire.

   Thibault regarda sa montre pour la dixième fois en vingt minutes, pestant contre le temps qu'il trouvait bien trop lent. Il tournait en rond dans ce quartier désert où il ne connaissait personne depuis plus d'une heure, attendant que le délai de deux heures qu'il s'était fixé touche à sa fin. Du moins, il essayait. Mais si Liz et Thibault partageaient bien quelque chose, c'était leur manque de patience. Il décida alors de regagner le parc avec de trop longues minutes d'avance. Il trouverait bien une excuse. Son rendez-vous avait dû partir plus tôt. Il avait eu, non elle avait eu un urgence. Oui, c'était mieux.

   L'allure toujours très confiante et le pas rapide, il se rapprochait d'elle plus vite qu'il n'aurait dû quand il changea brusquement de trajectoire. Il allait mettre à profit le temps dont il disposait. Assis sur un banc, assez éloigné pour qu'elle ne remarque rien mais assez proche pour qu'il puisse l'observer à sa guise, il promena son regard sur Liz sans aucune pudeur. Il se souvenait avec une émotion bien trop mal dissimulée de son corps, de son parfum, de la douceur de sa peur. Frisson. Il l’avait possédée et la posséderait encore. Il le devait. C’était vital. Il allait faire renaître en elle l’étudiante passionnée qu’il avait connue, aimée et désirée. Elle n’était pas cachée très loin, il le sentait. Et en la voyant ainsi, assise sur ce vieux banc, le regard partout et nulle part à créer, il avait presque l’impression qu’elle était là. Pas cette femme mariée et pincée, non. Sa Liz. Celle qu’elle était vraiment.

   Cinq pages. C’était inespéré. Elisabeth avait renoncé à cette partie de sa vie depuis si longtemps qu’elle avait sursauté quand la mine du crayon était entrée en contact avec le papier. C’était comme si elle ne s’attendait pas à ce que cela arrive à nouveau, comme si malgré tous les efforts du monde, jamais elle ne pourrait à nouveau tracer des histoires, des personnes. La surprise du premier contact passée, elle se laissa aller au flot de mots qui agitait son esprit et se prit à écrire frénétiquement. Elle ne pensait plus par elle-même, elle vivait ses mots, l’histoire qui prenait forme. Elle était ce nouveau personnage, cette rencontre fortuite, son passé, ses manières.

   Le souffle court, elle releva la tête du carnet dont elle noircissait les pages depuis un long moment. Elle avait l’impression de revenir d’une autre dimension. La puissance du retour à la réalité l’avait toujours plus ou moins secouée. Mais cette fois-ci, c’était différent. Elle se sentait mal. Elle promena son regard sur ce qu’elle avait écrit, scrutant chaque mot, chaque virgule. Non, impossible.

   La trotteuse venait de passer le XII quand il se leva d’un bond et la rejoignit rapidement, impatient de voir si une fois de plus, il avait gagné. Il arriva près d’elle en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, arborant de nouveau un sourire confiant. Il déclara, d’une voix forte :

   « Alors ! Où en es-tu ? il jeta un coup d’œil au carnet. On dirait bien que mon plan a marché. Tu me montres ?

  • Non. Lui répondit-elle d’un ton qu’il entendit comme presque triste.
  • Comment ça non ?
  • Je ne préfère pas, c’est sûrement très mauvais et puis c’est qu’un premier jet, je dois tout retravailler.
  • Oh non ! Hors de question que je te laisse retravailler quoi que ce soit. Tu ne dois ni réfléchir, ni relire ni corriger. Pas de fioritures. Allez, donne. »

   Liz regardait la main qu’il lui tendait d’un air paniqué. Elle se sentait si vulnérable en cet instant. Elle aurait voulu se lever, le gifler et partir. Mais elle n’en fit rien. Peut-être qu’il ne verrait pas clair dans ce texte, dans ses mots. Elle prit une grande inspiration et se ressaisit. Elle déposa sans délicatesse le carnet dans la main tendue. Elle consulta son portable. Seize heures trente-cinq. Elle devait y aller.

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