Chapitre VI : partie I/II

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  Ca avançait, et même plutôt bien. Elle était forcée de le reconnaître, il était efficace. Avec lui, elle retrouvait le goût de l’écriture, et même si elle ne voulait pas l’admettre, cela lui faisait le plus grand bien.

  Depuis que Marc lui avait tout avoué elle passait le plus clair de son temps avec ses éditeurs, enfermés dans le grand bureau de Thibault à discuter détails d’écriture et projet de publication. Ils n’étaient pas encore tout à fait satisfaits. Elisabeth souhaitait réécrire certains passages, Silvia trouvait qu’il manquait quelque chose ici, Thibault préférait qu’elle retravaille cela. Elle y pensait jour et nuit, elle laissait ce recueil envahir complètement sa vie, lui prendre toute son énergie. C’était parfait. Elle n’avait plus une minute pour elle, ni pour lui. Elle avait bien conscience qu’elle ne faisait que reculer le moment fatidique où elle devrait faire le point, mais ça lui convenait ainsi.

  Armée d’un crayon à papier – elle n’avait jamais aimé les critériums- Elisabeth relisait sans cesse les derniers mots de son recueil, les jugeant et les jaugeant depuis de très longues minutes. Assis près d’elle, Silvia et Thibault se disputaient l’ordre des nouvelles, sollicitant l’aide de leur auteur qui ne les entendait pas.

« Elisabeth ? Tu es toujours avec nous ? demanda Silvia d’un air presque agacé.

  • Liz ? La voix de Thibault la sortit de sa torpeur.
  • Pardon ? Je n’ai pas…
  • On te parlait de l’ordre de tes nouvelles. L’éditrice jeta un œil sur le carnet que Liz tenait entre ses mains. Inutile de te focaliser là-dessus pour l’instant, ça ne sera sûrement pas la dernière nouvelle.
  • Hh, je ne suis pas d’accord. Contesta Thibault en saisissant le carnet. Ce que tu proposes me semble un peu léger pour une fin. Je vois quelque chose de plus intense.
  • Justement ! Celle-ci est parfaite ! N’est-ce pas Elisabeth ? Elle lui tendit un feuillet.
  • Je ne sais pas. Sa voix était hésitante. Je crois que ce n’est pas fini. Silvia écarquilla les yeux. Je veux dire, cette nouvelle, je veux un peu plus de temps.
  • Tu l’as. »

  Elisabeth releva les yeux sur son interlocuteur. Elle était surprise. Sa voix avait été si douce et sa réponse si inattendue. Il était de son côté, sans faux semblants, sans sens caché. Elle l’avait senti, il était vraiment d’accord. Troublée, elle resta silencieuse durant une longue minute, ne le quittant pas du regard. Silvia assista à la scène sans comprendre, se demandant ce que l’on pouvait bien attendre pour continuer. Sentant le malaise monté en elle, l’éditrice toussota maladroitement pour couper court et déclara froidement que puisqu’ils étaient d’accord, alors elle l’était aussi.

  La session de travail avait finalement pris fin rapidement en début d’après-midi. Silvia était vexée, Thibault ravi et Liz déboussolée. Ils avaient tous grandement besoin d’une pause.

  Sur le chemin du retour, Elisabeth ne pouvait s’empêcher de penser à ce qui c’était passé. Bien sûr, il ne c’était rien passé. Enfin pas vraiment. C’était un moment hors du temps. Une voix rassurante. Des souvenirs. Un silence. Des frissons. Puis plus rien. Enfin si, Silvia. Encore elle. Liz soupira. Et si elle n’avait pas été là ? Et si elle avait pu écouter son instinct et tendre sa main vers celle de Thibault, rien qu’une seconde. Juste comme ça. Juste pour se souvenir un peu, juste pour sentir sa peau contre la sienne, comme avant. Juste parce qu’elle en avait envie, tellement envie.

  Son portable vibra. C’était Marc. Une larme s’écrasa sur sa joue. Elle ferma les yeux. Merci Silvia, merci.

  Elle n’était pas prête, pas du tout. Le lendemain était arrivé trop vite et elle n’avait pas encore réussi à se calmer, à tout remettre en ordre dans sa tête. Elle ne voulait pas avoir à les écouter débattre pendant qu’elle rêvassait comme une adolescente dans un coin de la pièce. Et puis s’il était gentil encore une fois ?

  Elisabeth jeta un coup d’œil à sa montre. 14h26, elle était en retard maintenant, vraiment en retard. Elle soupira, se regarda dans le rétroviseur intérieur et replaça ses cheveux derrière ses oreilles, tentant vainement de se donner du courage. Il fallait sortir de cette voiture maintenant.

  Son masque de femme froide et confiante sur le visage, elle entra sans frapper dans le bureau où l’attendaient ses collaborateurs. Ils étaient toujours sur cette histoire d’ordre, et cela ne s’arrangeait visiblement pas.

« Je ne comprends vraiment pas pourquoi tu ne veux pas m’écouter.

  • Mais je t’écoute Silvia ! Ah Elisabeth, tu tombes bien. Explique-lui ! S’exclama Thibault alors qu’Elisabeth haussait les sourcils.
  • Thibault est persuadé qu’avec un peu de temps tu peux rendre cette nouvelle encore meilleure et je n’en vois pas l’intérêt. Elle est bien comme ça, à cette place là et l’autre est parfaite pour la fin. Débita Silvia l’air crispé.
  • Je ne sais pas si je peux la rendre meilleure, mais elle n’est pas finie, c’est sûr. Répondit Liz en prenant place. »

  Silvia leva les bras, prête à se lancer dans une nouvelle tirade puis renonça. Elle émit une sorte de grognement qui fit sourire Thibault et quitta la pièce. Ce n’était rien, ça leur arrivait souvent, mais pas devant les clients. Rires. Leurs regards s’accrochèrent encore. Elle détourna les yeux sur son carnet. Il ferait mieux d’aller la chercher. Oui, c’était préférable.

  C’était la première fois qu’elle se retrouvait seule dans son bureau. Elle ne put résister que trente secondes avant de baisser le store et de faire un tour du propriétaire. C’était très austère, très sombre, que des tons gris allant de l’anthracite au noir le plus profond. Il n’y avait aucun objet personnel. Il y avait des livres, qu’il n’avait sans doute pas lus, quelques bibelots, pas très beaux, certains sûrement ramenés de l’étranger. Elle sourit. Une photo de son père et lui.(description de la photo ? ) Ils maitrisaient si bien les apparences. Elle fronça les sourcils, un livre venait d’attirer son attention. Cyrano de Bergerac. C’était une très vieille édition, chinée dans un marché aux livres anciens. Elisabeth le pris délicatement en main et l’ouvrit à la dernière page :

« Maintenant, tu sais ce que c’est l’amour, le vrai. Liz »

  Elle lui avait acheté ce livre pour leurs deux ans. Ils s’étaient disputés parce qu’elle avait décliné une invitation à dîner pour réviser ses partiels. Il était entré dans une colère folle contre ses habitudes de petite fille modèle. C’était leur anniversaire tout de même, elle pouvait bien faire un effort, à moins bien sûr que ce soit parce qu’elle ne comprenait rien à l’amour. Liz s’était vexée et ne lui avait plus adressé la parole pendant une semaine. Puis en se promenant sur un marché aux livres, comme elle le faisait souvent, elle avait trouvé ce livre. Immédiatement elle avait su que c’était de cela dont ils avaient besoin. Elisabeth avait lu ce livre une dizaine de fois au moins, il représentait pour elle le véritable amour, celui où le bonheur de la personne aimée est tellement important que le notre ne compte plus. Elle lui laissa le livre dans sa boîte aux lettres le jour de leur anniversaire avec cette petite dédicace à la fin. A 20h il était dans sa chambre étudiante avec du soda et des cacahuètes, prêt à la faire réviser toute la nuit.

  Elisabeth déglutit et ravala un sanglot. Il l’avait toujours. Rapidement, elle remit le livre en place et regagna sa place. Elle devait écrire, maintenant. Elle en avait besoin.


  Absorbée par ce qu’elle était en train de faire, elle ne l’entendit pas revenir. Intrigué, il vint se placer derrière elle en veillant à rester discret. Il posa ses mains sur le dossier de la chaise et se pencha pour lire par-dessus son épaule. Instantanément, Elisabeth se figea. Elle sentit son souffle chaud près de son oreille et ses mains qui frôlaient son dos. Il souriait, fier de son effet, elle en était sûre. Elle ferma brusquement son carnet et pivota pour l’obliger à s’écarter et à lui faire face.

« Silvia n’est pas avec toi ? l’interrogea-t-elle en regardant derrière lui.

  • Non, on a argumenté, longuement, et on a décidé de te laisser le dernier mot. Tu as jusqu’à demain pour nous dire si tu veux changer ta nouvelle ou non. Au quel cas…
  • Ca ne sera pas nécessaire. Je crois j’aurai bientôt fini. Il me reste quelques lignes à rajouter et je la soumettrai à Silvia.
  • Très bien. Il était étonné. Tu veux me montrer ? En disant cela, il s’assit près d’elle, prenant la place habituelle de Silvia.
  • Ce n’est pas utile, tu es déjà tellement sûr de la vouloir pour la fin. Son ton se voulait distant.
  • Tu sais Liz, il se laissa tomber en arrière et commença à dessiner des arcs de cercle avec la chaise, je te connais bien, je sais pourquoi tu ne veux pas que je la lise. Mais tout ceci est purement professionnel.
  • Oh s’il te plait Thibault ! On sait très bien pourquoi tu aimes tellement cette nouvelle. Tu l’as dit toi-même, tu crois que c’est nous ou je ne sais quoi.
  • Oui, mais, et il appuya sur le mais, elle est surtout très bien écrite. Et elle parle de la fin d’une histoire non ? Alors c’est une belle mise en abîme. Ah tu vois, tu souris ! J’ai raison !
  • Quel rapport ? pouffa Liz en imitant son mouvement de balancier.
  • Tu souris toujours quand j’ai raison. Et tac, tu souris encore ! s’exclama Thibault. »

   Elisabeth secoua la tête en levant les yeux au ciel. Il avait raison sur toute la ligne.

« Bien, tu l’auras une fois finie. Complètement finie et relue par Silvia.

  • Ca me va. Il se releva. Je vais te laisser finir alors, j’ai comme l’impression que cet endroit t’inspire.»

   Il posa sa main sur la poignée de la porte mais se stoppa net. Il se retourna et se dirigea droit vers la bibliothèque. Il repoussa le livre jusqu’au bout et quitta la pièce sans un regard pour elle, un sourire amusé plaqué sur le visage.

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