Chapitre V: partie I/II

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  Elisabeth avait vécu l'attente jusqu'au lundi comme une enfant aurait attendu la rentrée : stressée et impatiente. Elle voulait lui montrer qu'elle avait repris le dessus. C'était elle qui avait le pouvoir maintenant.

  D'un pas assuré et la tête haute, elle traversa le hall du grand bâtiment en pensant à chacun de ses gestes. Sourire à la secrétaire, très important, ne pas négliger les autres mais sans en faire trop. Un hochement de tête cordial suffira.

  Arrivée devant la porte de son bureau, elle inspira longuement, prépara un sourire fier et posa sa main sur la poignée avec détermination.

Rien. Elle insista. La porte était fermée. Son sourire fier disparu aussitôt et laissa place à une grimace d'incompréhension. D'un ton désagréable, elle interpella la jeune femme assise non loin d'elle et lui demanda depuis quand les éditeurs se permettaient-ils de faire attendre les auteurs.

  « Hh, Monsieur est absent pour la journée. Il est avec une autre auteur. La secrétaire déglutit bruyamment. Les sourcils d’Elisabeth venaient de s'arquer étrangement, lui donnant un air surpris et menaçant à la fois.

  • Très bien. Alors je vais…
  • Non ! Euh, je veux dire, attendez. Silvia est là, c'est elle qui va s'occuper de vous. La jeune femme marqua une pause. Je pensais qu'il vous avez prévenue. Déclara-t-elle en baissant les yeux. »

   Liz se força à esquisser un faux sourire, espérant que cela suffirait à faire oublier son moment d'égarement, puis, d'un signe de la main, elle indiqua à la jeune femme qu'il était inutile de déranger Silvia, elle connaissait le chemin.


  Des excuses. Des excuses. Et encore des excuses. Silvia se confondit en excuses pendant une large partie de la matinée, critiquant allégrement le manque de professionnalisme de son supérieur. Il n'y connaissait rien de toutes façons. Sans sa riche famille et l'aveuglement de son père, il n'aurait jamais posé ses fesses sur le fauteuil de directeur de la collection littérature.

  Elisabeth l'écoutait déblatérer toute sa rancœur et sa jalousie sans rien dire. Elle hochait parfois la tête pour donner l'impression de suivre, mais elle n'était pas vraiment là. Les commentaires de Silvia l'avait projetée des années en arrière, quand cette désinvolture et cette arrogance l'avait arrachée à sa petite vie tranquille.

  Ils étaient si différents. Elle petite étudiante rangée de bonne famille qui ne vivait que pour ses études et la fierté de ses parents. Lui, jeune fêtard arrogant qui ne suivait les cours que pour garder ouvert le portefeuille familial. Oh bien sûr, il l'avait énervé au début, beaucoup même. Mais l'attrait du danger avait fini par prendre le dessus. Toute cette spontanéité, cette insouciance, c'était grisant. Les virées nocturnes improvisées qui se finissaient au petit matin dans des hôtels miteux, cigarette à la main. Les journées de cours passées au cinéma. Les nuits de révisions au bord de l'eau à refaire le monde. Elle avait adoré ça. Elle l'avait adoré lui.

  « Pardon ?

  • Je te proposais de faire une pause pour aller déjeuner. Répéta Silvia en articulant chaque syllabe comme si elle parlait à un enfant.
  • Oui, c'est une très bonne idée. Sortons d'ici ! S'exclama Liz, espérant que l'air frais chasserai rapidement tous ces souvenirs. »

 Les deux femmes quittèrent alors le bâtiment sous les commérages qui soulignaient la surprise de tous : Thibault laissait SA cliente à une subordonnée.


  Silvia s'avéra finalement être de très bonne compagnie. Elle était plutôt drôle et disposait d'un répertoire assez important d'anecdotes sur le patron. Liz était ravie. Sortir entre filles et échanger des ragots, depuis combien de temps ça ne lui était pas arrivé ? Trop longtemps sûrement.

  Au détour d'une nouvelle anecdote sur la maladresse du jeune directeur inexpérimenté, l'éditrice s'aventura sur le sujet qui lui brûlait les lèvres depuis qu'elles s'étaient assises à cette terrasse :

 « Dis-moi Elisabeth, depuis quand tu le connais, Thibault ? Enfin, je veux dire, tu le connaissais bien avant d'être contactée par la boîte, non ? Demanda-t-elle dans un débit rapide qui trahissait sa curiosité mal placée.

  • On a fait une partie de nos études ensemble, c'est tout. Déclara Elisabeth en baissant les yeux sur sa salade.
  • Il était comment ? En tant qu'étudiant j'veux dire.
  • Exactement comme aujourd'hui ! S'esclaffa-t-elle dans un rire qui sonnait faux. Mais bon, on ne se fréquentait pas plus que ça. Je ne pourrais donc rien t'apprendre de croustillant.
  • Ah bon ? J'aurai pourtant juré que…
  • Que ? La coupa Liz froidement. Elle laissa planer un long silence, se concentrant sur la dégustation de ses dernières feuilles de salade. Je pense qu'on devrait rentrer, on a un recueil à terminer. »

  Pas le temps de prendre un café, elle était déjà debout en train de régler l'addition, tentant vainement de dissimuler l'air passablement énervé qu'avait pris son visage. De quoi elle se mêlait celle là ? Que quoi hein ? Elle savait qu'elle aurait dû se méfier. Personnel et professionnel ne devaient pas se mélanger, elle était bien placée pour le savoir.

  Thibault brilla par son absence pour tout le reste de la journée. Silvia n'osait plus mentionner son nom et chaque fois qu'elle aurait pu en avoir envie, le regard de Liz la rappelait à l'ordre sans demi-mesure. L'éditrice qui avait l'habitude de se perdre en bavardages suivait le rythme effréné donné par son auteur sans piper mot. Elle ne devait pas se tromper, cette cliente était trop importante.

  A 19h, Elisabeth posa son crayon sur le bureau et décréta qu'il était temps de s'arrêter. Silvia soupira de bonheur, elle avait désespérément besoin de souffler. Elle s'écroula dans son fauteuil dès qu'Elisabeth eut franchi le seuil de la porte. Décidée à quitter rapidement les lieux, Elisabeth marchait d'un pas rapide en essayant d'éviter les dernières personnes présentes quand une lumière attira son attention. Il était là.

  Hésitante, elle finit par approcher, voulant jeter un coup d'oeil par la porte vitrée mais rapidement elle détourna le regard et un soupir inattendu franchit la barrière de ses lèvres. Il n'était pas seul. Elle était jolie. Très jolie.

  Elisabeth déglutit et tourna les talons. C'était suffisant pour aujourd'hui, elle devait sortir d'ici. Elle avait besoin d'air.

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