Chapitre IV : partie I/I.

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   Perplexe. Confus. Touché. Là. Juste là. Là où ça fait mal, mais pas trop. Ca trouble plus que ça ne blesse. C'était exactement cela, Thibault était bouleversé. Il aurait aimé ne pas douter devant cette histoire, devant ces mots, ces mots si bien choisis et ces sentiments qui auraient pu être les siens aussi bien que ceux d'un autre.

   Il poussa un grognement qui aurait facilement pu être perçu comme un gémissement. Il ne pouvait rien faire à part penser à cette histoire, à elle. A eux. Leur passé.

   Il était rentré immédiatement après la séance au parc. Il était trop impatient de lire ce que ce carnet contenait. Alors à peine avait-il enlevé ses chaussures, sa veste et défait les trois premiers boutons de sa chemise qu'il s'était installé sur son grand canapé d'angle en cuir noir, ses mots en mains.

   Son corps se fondait presque dans le cuir de l'imposant canapé. Plus de trois heures qu'il n'avait pu en bouger. Relire. Penser. Relire. Douter. Relire. Soupirer. Penser. Impossible d'y échapper. Elle le tenait là entre ses mains. Il avait l'impression d'étouffer.

   Quand, soudain, une idée lui vint. Elle était le problème, alors elle serait la solution.

   Son esprit refusait de se concentrer sur quoi que ce soit d'autre que sur les événements de l'après-midi. Elle s'était rejouée la scène des dizaines de fois et la même question lui revenait sans cesse en tête : pourquoi lui avait-elle donné ? Rien ne l'y obligeait. Surtout pas lui. Il n'avait pas ce pouvoir sur elle. Plus maintenant. Non. Alors pourquoi ?

   La sonette de la porte d'entrée mit fin à sa réflexion en la faisant sursauter. Elle poussa un grognement et alla ouvrir en se demandant qui pouvait bien venir les déranger à une heure pareille. Si c'était un associé de Marc, elle le tuerait.

   Lorsqu'elle le vit, elle réprima un nouveau sursaut et serra instinctivement les points, son envie de tuer, loin de disparaître, se renforça. Liz posa sur lui un regard furieux et commença une longue tirade sur la politesse qui voulait qu'on ne vienne pas jouer les emmerdeurs à cette heure. Mais ce fut en vain. Son sourire arrogant pour toute excuse, il se faufila entre elle et la porte, laissant leurs corps se frôler dans un frisson.

   Elle respira longuement, doucement et ferma la porte. Elle devait à tout prix se calmer et le faire partir d'ici. Alors, elle prit son sourire le plus faussement gentil et l'invita à passer au salon.

   Cette maison était bien trop grande. Trop chic. Trop. C'était juste trop. Il n'osait même pas s'asseoir sur le canapé qu'elle lui désignait de la main. Il préféra marcher un peu à travers la pièce, posant son regard sur tout, photographies et bibelots. Rien ne lui échappait. Et puis cette attitude la rendait folle, il le sentait. Cette attente terrible, ce silence lourd de sens. Elle allait craquer.

   Et elle craqua, mais pas comme Thibault s'y attendait. Pas de cris, ni même de cynisme. Juste une voix douce et lasse.

« Qu'est-ce que tu veux Thibault ?

  • Te parler de ta nouvelle. Répondit-il d'un ton qui se voulait professionnel.
  • Elle ne te plait pas ? Demanda-t-elle faussement surprise mais réellement inquiète.
  • Je pense que tu sais très bien que le problème n'est pas là. Laissons tomber les masques Elisabeth. »

   Un rire amer s'échappa de sa bouche le frappant de plein fouet. Il ne voulait plus jouer. Peu importe qui allait gagner ce soir pourvu que la paix soit signée. Il baissa les armes le premier et laissa la question qui lui brûlait les lèvres sortir et venir s'écraser aux pieds de Liz :

« C'est nous, n'est-ce pas ?

  • Il n'y a plus de nous, tu le sais très bien Thibault.
  • La faute à qui hein ? demanda-t-il d'un ton sérieux, trop sérieux. Non laisse. Il leva la main comme pour éviter un projectile. Je n'ai rien dit. Oublie ça. Réponds juste à ma première question. S'il te plait, Elisabeth. »

   Elle baissa les yeux. Elle ne voulait pas avoir cette conversation, pas ici, pas dans cette maison. C'était la vie de la nouvelle Liz ici, et il n'y avait pas sa place. Il devait partir mais elle n'avait pas la force de le chasser. Fatiguée et submergée par l'émotion, elle retourna s'asseoir, emmitouflée dans son plaid,laissant tomber son masque. Recroquevillée sur elle-même, elle tentait vainement de se soustraire à la situation. Peut-être qu'en la voyant ainsi il partirait.

   Mais il ne pouvait pas fuir, pas cette fois. Pas encore. Cette conversation devait avoir lieu. Maintenant.

« Liz, l’interpella-t-il presque autoritaire. J'ai besoin de savoir. Cette histoire, est-ce que c'est la notre ?

  • Est-ce que c'est vraiment important ? C'est si loin tout ça.
  • Pas si loin que ça, il marqua une pause. Ce sont tes mots qui le disent.
  • Mes mots ne veulent rien dire. Ce texte est absurde tu le sais bien. Tu devrais le jeter, j'en écrirai un autre.
  • Arrête ! Il se jeta littéralement à ses pieds. Arrête Liz ! Tu ne parles pas à ton éditeur là !
  • Relève toi bon sang !
  • Non ! Il posa ses mains sur ses genoux. Tu ne peux pas tout rejeter comme ça. Cette histoire, c'est la nôtre. »

   D'un geste tendre, il lui releva la tête, l'obligeant à le regarder dans les yeux. Puis, de la même main, il replaça une mèche de cheveux derrière son oreille. Il faisait ça souvent, avant. Elle frissonna. Il sourit. Il se redressa de telle sorte que leurs visages soient à la même hauteur. Elle aurait dû reculer, le repousser, mais ses yeux ne pouvaient plus quitter les siens et tout son corps s'était figé à son contact. Elle le laissa approcher, impatiente et craignant le pire. Ses lèvres se rapprochèrent dangereusement des siennes mais sa bouche dévia au dernier moment venant se poser délicatement sur sa joue. Elle eut un mouvement de recul à peine perceptible. Elle était déçue.

   Il resta là un instant, suspendu à côté de sa joue, son souffle chaud lui brûlent la peau. De longues secondes s'écoulèrent avant qu'il ne prononce ces quelques mots à son oreille, créant surprise et effarement :

« On peut peut-être changer la fin ? »

   Rien. Plus rien. Le temps semblait comme suspendu, attendant une réaction d'Elisabeth pour reprendre son cours normal. Thibault patientait, toujours accroché à ses genoux, se préparant pour une nouvelle bagarre.

   Elle allait s'énerver, jamais elle n'avouerai qu'elle aussi voulait changer la fin. Il en était certain. Il pressa son genou gauche et ouvrit la bouche pour attaquer le premier quand elle l'interrompit. D'une voix terriblement calme et glaciale, elle articula lentement ces quelques mots :

« A lundi Thibault. »

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