Chapitre I: Partie 2/2.

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   L’éditrice poussa un petit soupir avant de sortir de la pièce, furieuse, les laissant là à se dévisager. Il regarda la femme qui se trouvait devant lui sans pouvoir s’empêcher d’y revoir la jeune étudiante qu’elle était dix ans plus tôt. Alors il lâcha un sourire, franc, nostalgique, arrogant, comme avant. Elle émit un hoquet de surprise avant de rire, un rire ironique qu’il ne connaissait que trop. Elle se calma rapidement et prit la parole, agressive, elle se défendrait, il le savait :

« Vraiment Thibault ? Le coup du sourire, sérieusement tu y crois encore ? Après tout ce qui a pu se passer, tu crois qu’il va suffire cette fois ?!

  • Il a toujours suffi, rétorqua-t-il, sûr de lui.
  • Plus maintenant. Pas après ça. Je ne sais pas comment tu as fait pour obtenir mes écrits, mais si tu crois qu’il te suffit de me proposer de m’éditer en souriant pour me retrouver, alors tu n’as vraiment rien compris, déclara-t-elle d’une traite, comme pour s’en convaincre, comme pour masquer que ça sonnait tellement faux.
  • Mais c’est toi qui les as envoyés. Silvia a reçu ton recueil il y a quelques semaines et quand elle l’a soumis à mon approbation j’ai tout de suite compris qu’il s’agissait de tes nouvelles, voilà tout. Mais c’est toi qui as demandé cette édition. Il marqua une pause, soupira puis sourit légèrement. Tu me déçois Liz, comment tu as pu croire cela ? Tu sais très bien que je ne serais jamais revenu te chercher.
  • Alors comment tu as pu croire que c’est moi qui reviendrais ? Tu ne me semblais pas si naïf dans mes souvenirs. Elle marqua une courte pause. Bien, quoi qu’il en soit, je récupère mon recueil et on oublie tout ça.
  • Pas question. Ton recueil est trop bon pour que je le laisse partir. Tu dois être éditée et je veux le faire.
  • Il en est hors de question Thibault, je ne travaillerai pas avec toi. Et de toute façon ce recueil n’est pas destiné à l’édition !
  • Tu n’as vraiment pas changé, lança-t-il dans un sourire qui tendait vers le rire. Tu doutes encore de toi, de tes mots, de ton travail…
  • N’importe quoi ! le coupa-t-elle. Je ne doute de rien, je ne veux juste pas offrir mon travail à n’importe qui. Elle passa sa main dans ses cheveux châtains, elle détestait qu’il la connaisse si bien.
  • Arrête Liz, pas à moi. Allez, assieds-toi, on va en parler calmement. Je te promets de te traiter comme n’importe quel autre client si tu veux. »

   Il reprit place dans son grand fauteuil en lui indiquant d'un geste de la main la chaise qui lui faisait face. Elle pensa à rechigner ou à partir en claquant la porte, mais elle y renonça bien vite. Elle ne lui laisserait pas son travail. Elle s’assit en face de lui, toute droite, avec la classe et la prestance qui l’avaient impressionné la première fois qu’il l’avait aperçue dans cet immense et immonde amphithéâtre de l’université.

   Il commença donc à lui exposer les stratégies marketing de sa maison d’édition, quels autres auteurs prestigieux il publiait, l’argent qu’elle gagnerait, la renommée certaine au vue de la qualité de son travail et tout un tas d'autres faux arguments. Elle l’écoutait sans broncher, sans rien laisser transparaître. Ça le mettait mal à l’aise, il n’était plus habitué à autant de froideur. Il réussissait toujours à charmer tous ses clients avec ces arguments-là. Mais elle n’était pas une simple cliente.

  Quand Thibault eut achevé son discours de commercial, elle tendit la main vers son recueil. Il haussa un sourcil en signe d’interrogation. Elle ne prit pas la peine de lui répondre, elle n’en avait pas envie. Il venait de lui prouver encore une fois qu’il n’était pas à la hauteur. Elle se leva et attrapa son recueil dans un geste vif qu’il ne put intercepter. Puis, elle entreprit de sortir de ce bureau qui lui donnait la nausée. Mais il ne voulait pas la laisser filer, il ne devait plus la perdre, alors il s’exclama :

« Liz, attends !

  • Tu as encore d’autres techniques de pseudo homme d’affaire à me faire endurer ? demanda-t-elle d’un ton qui trahissait son émotion, elle était déçue.
  • Non. Je te dois des excuses. Tu mérites bien mieux qu’une de ces stupides techniques. Ton travail aussi mérite mieux.
  • Laisse tomber Thibault.
  • Non, insista-t-il. Je te demande juste de m’écouter, une dernière fois, et si ce que je te dis ne te plaît pas, alors reprends ton recueil et va trouver une meilleure maison d’édition.
  • Bien, mais dépêche-toi, je suis attendue ailleurs. Elle avait repris son ton détaché.
  • Bien. La première chose qu’il faut que tu saches, c’est que ton recueil est arrivé là par les voix administratives normales. Il est indiqué que c’est toi qui nous l’as envoyé. Alors je ne sais pas ce qui s'est passé, mais je n’y suis pour rien. Je n’ai fait que lire le projet d’une de mes employées. Dès les premières lignes j’ai compris que c’était toi. Mais ce n’est pas ce qui m’a motivé à travailler sur le projet, non. Ce sont tes mots, tes histoires, tes personnages qui m’ont donné envie de bosser sur ton travail. Tu as un véritable talent, tu l’as toujours eu d’ailleurs. Tu manies les mots comme personne. J’ai vu des tas de projets défiler ici depuis que j’y travaille, mais il est rare que je tombe sur un auteur qui réunit tout ce qui fait de lui quelqu’un de talentueux à mes yeux. Le style, la passion et l’authenticité. Tu as tout ça Liz, ça coule dans tes veines et ça déborde dans tes mots. Garder un tel génie pour toi, c’est égoïste. Tu pourrais apporter tellement aux gens. Et je ne parle pas d’argent ou de choses superficielles. Je te parle de transporter le lecteur, de le pousser à se questionner, de l’aider, de le faire rire, pleurer, réfléchir, de le réconforter. C’est pour toutes ces raisons que je pense que tu dois être publiée. Si ce n’est pas par moi, alors ça sera par quelqu’un d’autre. Mais sache que ce serait pour moi un honneur de travailler sur le projet avec toi."

  Un silence glacial envahit la pièce. Liz baissa les yeux sur son recueil qu'elle tenait toujours fermement entre ses mains. L'air impassible, elle laissa volontairement quelques longues secondes s'écouler, prenant le temps de lui préparer une réponse qui lui laisserait l'avantage. Il avait touché des points sensibles, il devait le savoir mais ne devait pas pouvoir en profiter. Et alors que l'angoisse commençait à l'envahir, elle releva la tête, planta son regard dans le sien et déclara d'un ton ferme :

" Je veux un droit de regard sur tout ce qui touchera de près ou de loin à mes textes, la couverture, les éventuels changements, le processus de publication, tout. Je me garde un droit de veto pour certaines choses et je veux que tout passe par moi. Elle marqua une pause. Une dernière chose, je veux sélectionner moi-même les personnes qui travailleront sur le projet. Je t’accorde le droit de bosser avec moi mais je veux qu’il y ait une troisième personne avec nous.

  • Je te prévois un entretien avec Silvia alors, c’est elle qui m’a suggéré le projet. Rien ne t’oblige à travailler avec elle mais je ne veux pas l’écarter comme ça sans raison, déclara-t-il d’un ton neutre qui cachait à la perfection la joie que sa réponse avait déclenché en lui.
  • Bien, on fait comme ça. Je laisse ma carte à ta secrétaire en partant. Elle n’aura qu’à m’appeler quand Silvia et toi vous vous serez mis d’accord sur un rendez-vous. »

   Sans attendre davantage, elle reposa son recueil sur le bureau et quitta la pièce. Il patienta une petite minute, puis sortit lui aussi. Il s’approcha de sa secrétaire qui faisait semblant d’avoir un client au téléphone. Il appuya sur la touche « raccrocher », sachant pertinemment qu’elle était en train de raconter ce qu’elle avait pu entendre à l'une de ses collègues. La jeune secrétaire sursauta et ouvrit la bouche pour protester, mais se ravisa rapidement. C’était inutile. Il lui demanda la carte de la cliente qui venait juste de sortir. Elle lui tendit dans un sourire rempli de malice auquel il se permit de répondre en souriant à son tour. Mais ce sourire disparut bien vite lorsqu’il eut posé son regard sur le petit bout de carton :

«Mme Elisabeth Friedmann, maître de conférence à l’université de Strasbourg, spécialiste de la littérature du XXème. »

   Elle était mariée.

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