6 - Dans les ténèbres, les Silences

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Quand vient la nuit, le chaos n’est pas loin. Et c’est ce qu’il s’est passé il y a deux ans...
Le monde entier a été plongé dans les ténèbres. Nos propres ténèbres. Nos prunelles sont devenues mornes et sans vie. Nos yeux se sont fermés sur nos peurs intérieures dans la panique la plus totale. Sans raison, sans explication, sans exception. Je me souviens alors des cris de terreurs, des hurlements d’angoisse. C’était les miens mais aussi ceux des milliers de personnes, de millions d’habitants, de milliards d’êtres humains. Tout s’est arrêté dans une cacophonie infernale, dans la mort et l’effroi. Les sociétés se sont effondrées, les pays ont fait faillite. Du ciel est tombée la mort par milliers, des carcasses d’avions qui jonchent les routes encombrées encore de voitures aux passagers squelettiques. La mort, toujours, est venue des radiations échappées des centrales hors de contrôle. En deux ans, notre petit univers a disparu dans un néant inattendu.

J’ai survécu. Comment, je me pose encore la question. Passé la terreur et la surprise, nous avons dû nous adapter. Tous ceux que le chaos premier n’avait pas fauché. Une nouvelle société s’est donc construite sur les ruines de l’ancienne. Nous avons appris à vivre en groupe, à se faire confiance, nous faire confiance. Ecouter, sentir, toucher, un autre langage s’est ouvert à nous pour survivre. Puis nous écoutions, les Sages, ceux qui n’ont connu que le noir. Des aveugles avant que le monde ne le devienne qui ont su nous guider vers une voie que nous n’aurions jamais imaginée. Le noir est devenu une constante, les autres sens se sont mis en éveil. Nous avons appris à comprendre notre chute mais pas à l’accepter. Cela aura coûté la vie à d’autres d’entre nous, refusant cette vie et préférant l’abandonner.

Les Sages à notre tête, nous avons quitté les ruines de la ville pour cheminer sur les routes abandonnées en quête d’un terrain propice où nous établir. Un voyage nous poussant à abandonner définitivement notre “moi” passé pour le “moi” d’alors. Un périple qui ne fut pas sans perte, ni conséquences car les écueils furent nombreux, des réminiscences de notre société abattue en pleine décadence. Des épreuves nous confrontant à nos erreurs de la plus pragmatique et physique qui soit. Une blessure sur l’acier d’une tôle froissée nous coutait autant la vie que l’air putréfié charriant des atomes mortels. Mais nous tenions bon, attachés l’un à l’autre par un filin autour de notre taille, nous tenant la main. Nous nous entraidions, supportions, écoutions... Ensemble nous étions bien plus forts. L’individualisme n’avait plus sa place.

Cela faisait un an et demi que nous avions trouvé notre havre. Au cœur d’une vallée herbeuse où se trouvait un corps de ferme abandonné. Les Sages “voyaient” cela comme un nouvel Eden et nous en étions convaincu à notre tour. Fatigués, affamés, parfois malades aussi, nous n’en restions pas moins heureux d’avoir trouvé un endroit où nous pourrions grandir, vivre et mourir dans une paix relative. L’Homme reste un Homme... même aveugle. Un matin, je sentis la chaleur des rayons du soleil sur mon visage. Je voyais aussi à travers mes paupières closes depuis deux années, sa lumière. Portant la main devant mes yeux, je crus défaillir. Après un temps d’adaptation, je voyais de nouveau. L’incompréhension est totale. La communauté entière s’est éveillée dans une effervescence tenant à la fois d’une nouvelle panique mais encore, d’incompréhension totale. De joie ? A quel point tenions-nous réellement à notre nouvelle vie ?

Pour la première fois, nous ouvrions les yeux sur nos compagnons d’infortune devenus des frères et des sœurs dans cette quête pour la survie. Tout âge, tout genre et origines. La cécité a effacé les barrières de nos préjugés et de nos pensées parfois hideuses et néfastes. Nous nous en rendions compte désormais. Pendant combien de temps, tout cela allait durer ?
Autour de nous, un message revenait constamment. Gravé sur les carlingues décharnées d’avion. Ecrit sur les murs des maisons. Peints à même le sol : “Ne dites pas que vous pouvez voir”. A qui cela s’adresse-t-il ? Pourquoi ? Une nouvelle question sans réponse. Sans réponse jusqu’à ce jour funeste où nous les avons rencontrés.

Le jour de la Chute, notre peur collective fut si puissante qu’elle fut capable d’ouvrir un portail par-delà les réalités et les étoiles. De ce vortex engendré de notre terreur et des ténèbres, nourrit de notre décadence et de notre défaite en tant que civilisation, elles sont apparues : les Silences. Profitant de notre faiblesse, de notre désormais handicap dont elles sont les instigatrices premières, les Silences ont pris possession de notre bonne vieille Terre meurtrie. A qui montrait alors le retour de la vue était promis un châtiment tout naturellement mortel. Je l’ai “vu” de mes yeux. Les Silences, conquérants muets et implacables ont décidé de faire sien ce qui fut nôtre. De nous mettre devant la preuve irréfutable de notre échec. Mais aussi de démontrer alors le cycle infini des civilisations, de leur apogée à leur disparition.

Nous avons joué à ce jeu de dupe. Mentir quant à notre condition. Vouloir se dresser et résister. Seulement... L’Homme reste l’Homme. L’unité que nous avions trouvé dans notre cécité s’est vite brisée. Nous avons été incapable de surmonter ce que la Chute nous avait enseigné. Nous avons failli.
Et nous avons disparu.

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