3 - You're not alone

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Le son est étouffé mais je peux encore les entendre, alors je presse les mains contre mes oreilles plus encore. Je garde les yeux fermés de peur que si mes pupilles se posent de nouveau sur l’extérieur, ils ne s’emparent de moi. Accroupie au milieu de cette foule, prostrée, recroquevillée en une silhouette informe j’essaie de passer dans la masse. Seulement je me trouve à contre-courant du flot de spectres que je sens me frôler. Le moindre contact me fait frissonner d’horreur. Et je plisse les yeux plus encore. Mes doigts se crispent autour de mon visage. Je sens mon cœur qui manque un battement à chaque fois que cette sensation me prend et m’horripile, remontant alors le long de mon échine vers ma nuque comme un reptile froid, insidieux. J’ai beau tenter de penser à autre chose, je sais que mon temps est compté, la fatigue me guette déjà.

Ce que je ressens ? Un mélange de terreur, de dégoût, d’incompréhension. Une misanthropie latente animée par l’anxiété, le manque d’estime de soi, la confiance absente. Perdue depuis bien longtemps dans les méandres d’un temps pas si reculé que cela. Je m’accroche à mon monde, à mon imaginaire qui court d’un univers à l’autre. D’un château fort surplombé par son dragon gardien à une ville sombre où se réverbèrent des néons sous une pluie artificielle. Des aventures épiques, des langues oubliées, des époques alternatives... Des mondes par milliers où je n’étouffe pas. Où je n’entends rien si ce n’est l’appel à l’exploration. Un onirisme personnel salvateur. Je m’y accroche tant bien que mal. Mais la fatigue est là.

Mes bras sont douloureux, mes poignets peinent à maintenir cette barrière entre leur monde et le mien. Je flanche, finis par m’asseoir et remonter mes genoux devant moi comme si cette frontière suffirait à les éloigner. L’espace se réduit alors et je les sens se presser autour de moi, j’entends leurs murmures moqueurs, leurs jugements, leur bêtise crasse. Mon cœur s’affole quand je ne peux plus me concentrer sur moi et n’entendre plus qu’eux. La panique me serre la gorge et je me sens sombrer, me noyer dans cette masse qui me pousse à suivre le même chemin. Je résiste encore un peu. Jusqu’à ce que je sente une main se poser sur mon épaule.

La proximité me rend muette de peur mais me fait lever les yeux. Je les ouvre sur monde terne, un ciel gris et des milliers de silhouettes noires sans formes qui avancent vers une destination inconnue. Aussitôt, je sens leur attention se glisser vers moi... Je veux fuir. Mourir ?
Au milieu de cette litanie de murmures cacophonique, des mots se détachent du reste. Perceptible, limpide. Je tourne la tête alors pour en voir l’origine. Une ombre sans visage mais lumineuse, bienveillante. A travers notre contact je sens une force nouvelle, une assurance retrouvée. Je sens cette connexion particulière, ces mêmes mondes que nous côtoyons. Autour d’elle, d’autres ombres paradoxales. Qui est-t 'elle ? Moi ?

— Tu n’es pas seule, nous sommes là...

Ces mots me touchent en plein cœur. Des prénoms me reviennent aussitôt : amis, famille...
Elle me tend la main et lorsque que j’ose enfin la saisir, les spectres qui se tenaient là disparaissent dans un dernier chuintement agacé. Cette lumière bienfaisante m’envahit et chasse le gris de mon existence, les ténèbres de ma peur. J’ai fait le choix de ne pas me laisser submerger par elle, car si je n’ai pas confiance en moi, j’ai au moins confiance en eux : ces lumières bienveillantes.

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