2 - Wake Up

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Le temps est une donnée relative, si peu concrète à qui en a perdu un mois durant. Difficile de reprendre pied dans un monde que l’on a quitté d’une manière si brutale. Plus encore quand le réveil l’est tout autant. Pendant des semaines, allongé sur ma couche, j'ai entendu sa voix. Celle de la soignante qui prenait soin de moi. Je me souviens d’avoir d’entendu l’empathie puis le “temps” passant la crainte, la peur et enfin le silence. Terrible, assourdissant. La solitude n’a jamais été si féroce dans cette léthargie que quand je n'ai plus entendu sa voix. Ce phare dans ma nuit étrange. Cette bouée qui m’empêchait de sombrer dans les ténèbres d’un esprit qui se mettait à divaguer et s’éloigner des rivages de la conscience. Relative elle aussi.

La lumière est aveuglante quand j'ouvre les yeux. Elle est à peine filtrée par les stores des grandes fenêtres de la chambre. Sur la desserte proche du mur, un vase qui ne contient plus d’eau. En plein soleil tout s’est évaporé depuis quelques temps pour ne laisser que des fleurs desséchées. Mon corps semble peser une tonne tandis que j’essaie au moins de me redresser. Il me faudra de très longues minutes pour y parvenir. J’essaie d’appeler seulement aucun mot ne veut franchir la barrière de mes lèvres gercées. Je porte une main vers mon cou pour y trouver un pansement légèrement crasseux. Depuis combien de temps personne n’est venu ? La question me heurte de la plus féroce des manières.

Dans la pièce, je peux voir la poussière voleter dans les rayons de lumière de cette fin d’après-midi. L’odeur de renfermée, de rance. C’est peut-être moi ? Ce détail esthétique est somme toute secondaire. Ce qui m’interpelle puis m’inquiète et enfin me terrifie, c’est l’absence. Le silence... Quand je peux enfin poser le pied au sol, je prends une grande inspiration puis l’impulsion nécessaire pour m’approcher de la fenêtre. Mes jambes menacent de céder sous ma carcasse légèrement émaciée et fatiguée. Et lorsque mes yeux se posent sur le parking en contrebas, j’ai serré si fort le pied de ma perfusion que j’ai cru me briser la main. Je jure. Je n’y crois pas.

Des corps enveloppés dans des sacs s’étalent à n’en plus finir. Si les premiers rangs sont disposés avec respect et déférence, les plus “récents” ne sont guère mieux traités qu’une carcasse inutile. L’odeur, nauséabonde et terrible que je sentais alors... Tout s’explique. La nausée me prend soudain et je m’écarte dans un sursaut d’horreur tel que je m’effondre au sol. Une douleur aigue me prend le flanc et me fait geindre de douleur, me coupe le souffle. C’est un cauchemar ! Je me suis définitivement perdu dans les méandres de mon esprit malade. Je refuse de croire à la réalité.

La minute qui suit et à grand peine en me tenant le côté, je déambule dans les couloirs déserts de l’étage où le silence est perturbé par le grésillement d’un néon en fin de vie. Je hèle, j’appelle et il n’y a que le vide qui me répond. Mon exploration est pénible autant pour mon corps que mon esprit. Je cherche instinctivement une réponse à cette horreur quand je tremble non pas de froid mais de terreur. Débouchant sur l’accueil de l’étage, je fouille un bureau, les vieux magasines et journaux des salles d’attentes en quête d’une information, n'importe quoi ! Quand ? Où ? En vain. Obsédé par mon envie de comprendre, je déconnecte complétement du milieu dans lequel je me trouve au point où lorsque la porte de l’étage claque soudainement dans un fracas métallique, je manque de mourir sur place.

Ce bruit explose dans ma tête, je me tiens le cœur comme si ce dernier allait s’échapper de ma poitrine et partir se terrer de lui-même dans un coin. Quatre ombres qu’une lumière agressive m’empêchent de clairement distinguer s’avancent vers moi. Je geins, je supplie même pour ma vie, reculant à même le sol comme une bête traquée, écharpant mes talons sur le verre brisé le goût du sang dans ma bouche. Ma blessure se rappelle à mon bon souvenir, le pansement s'imbibe de carmin sombre.

— Vous êtes réveillé ? C’est inespéré ! Dit alors une voix, SA voix.

J’écarquille les yeux, la lumière s’abaisse et je vois alors au travers de l’immense verrière du casque de sa combinaison, mon phare dans la nuit. Les larmes s’échappent de mes orbites creusées, la délivrance.

Que s’est-il passé ? Le temps s’est arrêté. Le monde est tombé. C'est tout ce que je sais.

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