Il faut croire à une désespérance des nuages

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Il faut croire à une désespérance des nuages, à une éclipse du soleil, à une brisure de l’horizon, à un repli de l’eau en quelque endroit mystérieux semblable à une grotte. Car plus rien, alors, ne devient visible. Plongée dans la confusion. Connaissance du chaos. Perte du cosmos dont le regard de l’homme était porteur, posant la quadrature du monde, disposant ici les flots régénérateurs, là cette vague accueillant l’arche de Noé des Existants, là encore la meute de pierres noires où trouver refuge par mauvais temps. Car le nuage est muet. Le ciel silencieux. Le vent immobile. La mer paralytique. Les rochers privés d’assise dès l’instant où nulle conscience ne les vise, ne les synthétise pour les porter au réel et en féconder la belle présence. Comme le serait la peau du reptile après que l’exuvie a eu lieu, que la tunique d’écailles ne témoigne plus que d’une vie passée, peut-être d’une existence rampante, au ras du sol, mais existence tout de même avec le subtil déroulement de ses anneaux, avec ses éclats mercuriels dans la plaine d’herbe ou bien le glissement parmi les pierres de la garrigue. Seul l’homme est à même de percevoir toute cette richesse ontologique, de la porter sur les fonts baptismaux de la pensée, de la traduire en langage, d’en faire une poésie, d’en bâtir une légende, d’en tirer un savoir, d’en déduire une connaissance, d’en édifier une morale. Etonnant jeu des métaphores du vivant, incroyable fécondité des métamorphoses successives par lesquelles se disent aussi bien l’ouverture de la rose que le chant d’amour, le faible éclat du lampyre dans la nuit d’été. Miracle de l’hélice qui se déploie et porte, comme dans une chaîne d’ADN, le secret de l’être, cet inatteignable qui nous fait aller de l’avant, désirer, aimer, féconder l’Amante afin que le prodige ait lieu dans le temps et l’espace, éternel retour du même avec lequel les hommes n’en auront jamais fini, long poème de l’univers, immense tablette mésopotamienne sur laquelle nous gravons, à l’infini, les signes de ce que nous sommes, la lumière des étoiles, l’urgence à dire ce bonheur qui nous a été octroyé un jour, dont nous sommes comptables vis-à-vis de notre conscience, ce falot à l’infaillible étincelle qui perce la nuit de l’inconnaissance de son impérieuse nécessité. C’est ceci que nous dit Diderot, cette vision de l’homme comme fondatrice de toute Histoire, dans un article de l’Encyclopédie :

"Si l'on bannit l'homme ou l'être pensant et contemplateur de dessus la surface de la Terre, ce spectacle pathétique et sublime de la nature n'est plus qu'une scène triste et muette. L'univers se tait ; le silence et la nuit s'en emparent. Tout se change en une vaste solitude où les phénomènes inobservés se passent d'une manière obscure et sourde. C'est la présence de l'homme qui rend l'existence des êtres intéressante."

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