Chapitre V

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Santa Monica (Californie)

  Il était deux heures du matin à peine passé lorsque Norma sursauta au fond de son lit. Un cauchemar terrible venait de l'arracher au sommeil. Dans son rêve, le navire qui ramenait Norman au pays coulait, attaqué par le kraken. Elle savait pertinemment bien d'où était parti ce songe, la première fois que son amant et elle s'étaient embrassés, ils regardaient le film "Pirates des caraïbes" enroulés dans un plaid, calés l'un contre l'autre au fond de son vieux canapé. Cependant, le sentiment qui prédominait l'instant n'était pas de la joie mais une certaine crainte, comme si quelque chose pouvait arriver à l'homme qu'elle aimait.

  Enfilant ses moon boots d'intérieur, elle se rendit devant la porte d'entrée, à l'endroit où arrivait le courrier. Entre deux lettres publicitaires, se cachaient les plis que Norman lui avait envoyés. Boutonnant trois boutons de sa chemise pour ne pas se retrouver totalement nue sur le balcon, elle extirpa une cigarette à bout doré de son étui en argent, l'alluma, puis se dirigea dehors. Entre deux bouffées, elle lut les deux missives. Une larme de joie perla au coin de ses yeux... Si elle lui manquait, la réciproque était également vraie, elle se languissait sans lui. Son mari, qui la délaissait, ne pensait qu'à son travail. Un temps, elle avait cru qu'il couchait avec sa secrétaire, mais lorsqu'elle fit la connaissance de Norman qui travaillait dans le même service, il la détrompa. La réputation de son mari était, pour tous les membres du bureau, celle d'un abruti protégé par la direction, car travailleur et toujours prêt à dénoncer un collègue qui ferait une erreur, et sa collaboratrice le détestait plus que n'importe qui. Elle relut les deux lettres avant de les ranger dans son petit secrétaire qu'elle ferma à clef.

  Elle fit un calcul rapide, il était vingt-et-une heures vingt en Antarctique, elle pouvait passer un appel radio à la station pour avoir des nouvelles et se rassurer au sujet de ce cauchemar qui la hantait toujours. Elle était quasi certaine que ce n'était rien, mais tant qu'elle n'aurait pas eu de nouvelles, elle ne pourrait refermer l'œil de la nuit.

  Elle se glissa jusqu'à l'appareil, s'assit sur la chaise, alluma l'émetteur, et après avoir pris le micro en main, articula :

— Byrd, ici Norma Jeane Manson est-ce que quelqu'un m'entend ? Je répète, Station Byrd ici Norma Jeane.

  Elle patienta moins de dix secondes et la voix de Carl Kemper retentit dans la pièce :

— Norma, comment allez-vous ? Que puis-je faire pour vous être agréable ?

— Bonsoir Carl, je dois préparer un rapport sur les mesures de sécurité appliquées par les équipes en mission à l'étranger et j'ai cru comprendre qu'une grotte ou une cavité avait été découverte sur le site de l'éruption volcanique du mont Andrus...

— C'est exact, c'est Norman Gacy qui est resté sur place et j'attends d'ailleurs son rapport. Il a dû retourner dans la grotte, car il est en retard. J'ignore quelles sont les mesures de sécurité qu'il doit appliquer. En ce qui me concerne, les consignes sont strictes : n'ayant pas obtenu de contact dans les délais prescrits, j'ai envoyé deux gars en motoneige voir ce qu'il se passe. J'attends de leurs nouvelles très vite, à cette heure-ci, ils sont arrivés ou ne vont pas tarder.

— Carl, pourriez-vous me rappeler dès qu'ils vous donneront des nouvelles, pour me dire ce qu'il en est ?

— Pas de problème, Mademoiselle, vous êtes responsable de la sécurité, c'est normal que vous soyez tenue au courant. Fin de transmission.

  Pâle, elle reposa le micro sur son socle et alluma une nouvelle cigarette. Sa main tremblait, elle essaya de se rassurer en se disant qu'il allait sortir sous peu de cette caverne pour faire son rapport. Sur ce continent perpétuellement gelé, il n'y avait personne et pas d'animaux dangereux... En tout cas pas de Kraken.

   Elle monta le son du haut-parleur pour être sûre d'entendre l'appel de Carl puis attrapa une revue pour patienter. Quelques minutes plus tard, nerveusement épuisée, elle finit par s'endormir..

  Quand la voix résonna bruyamment dans le bureau et la réveilla, elle croyait s'être assoupie depuis peu, mais en jetant un coup d'œil à sa montre, elle s'aperçut qu'il était cinq heures :

— Merci de me rappeler Carl, quelles sont les nouvelles ?

— Je crois que nous avons un problème, Norman ne m'a pas appelé, pas plus que mes deux gars...

— Il me semble que vous disposez d'un hélico ? Envoyez-le tout de suite sur le site ; cette affaire est grave, l'un deux est peut-être blessé au fond de la caverne. Je fais le nécessaire pour organiser une expédition de secours depuis nos bases du Chili. Elle se mettra en route en fonction du rapport de l'équipe dépêchée sur place ainsi que des circonstances qu'il va nous dévoiler.

— Entendu, Norma, je vais m'arranger et je vous tiens au courant. Fin de transmission..

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Terre de mary Byrd (Antarctique)


  Dans le lointain, quelques nuages semblaient jouer à cache-cache avec les sommets des volcans de la chaine d'Aimes qui dépassaient de la surface glacée de la terre de Mary Byrd. Le soleil faisait briller les glaciers silencieux situés sur le Mont Andrus qui s'était récemment réveillé et avait motivé le déplacement d'une équipe de l'USGS.

  Le sifflement continu du vent fut soudain couvert par les staccatos d'un hélicoptère qui approchait rapidement.

— Carl, ici James, je suis au-dessus du chalet, la motoneige est stationnée à une quinzaine de mètres, je ne vois personne, je vais appeler avec le haut-parleur, ne quitte pas. Il se saisit du mégaphone derrière lui. — Norman, Jack, Rich ? Où êtes-vous ? Sortez, montrez-vous bon sang ! C'est pas drôle ! — Carl, personne ne sort. Par contre, je distingue des traces noirâtres derrière le bâtiment et également à côté du véhicule. Tout ceci ne me dit rien qui vaille. À une centaine de mètres, je vois l'entrée du tunnel qui mène à la caverne dont nous a parlé Norman, ils y sont peut-être !

— C'est quoi ces traces que tu vois ?

— J'en sais-rien... Je ne distingue pas les détails d'en haut !

— Pose-toi et va voir ! Cette histoire paraît très bizarre. Tu iras inspecter le tunnel après.

— OK.

— Fais attention, Jack devait m'appeler en arrivant là-bas...

— Je suis au sol, j'y vais. Je te rappelle de suite.

  James détacha sa ceinture, mais garda son casque. Il sauta sur la glace avant de courir jusqu'à la motoneige. En s'approchant, il constata que les traces noires étaient répandues autour d'un paquet de choses informes en partie recouvertes de parcelles de glace. Cela ressemblait furieusement à des taches de sang séché ou plutôt gelé. Le tas disgracieux au milieu l'intrigua. Du pied, il remua l'ensemble et se pencha pour mieux voir... Ce fut son denier mouvement.

  Le vent se leva d'un coup apportant le murmure d'une voix provenant des écouteurs posés sur le siège du pilote. Cela dura un bon moment, se répéta à plusieurs reprises et finit par cesser. On n'entendit plus alors que le chuintement du vent qui, par moment, faisait glisser doucement le casque posé négligemment sur la glace, laissant derrière lui une légère trace de sang.

  Une brusque rafale le fit se retourner, deux yeux grands ouverts contemplaient désormais, le soleil sans ciller...

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Ad'H & JI 05/09/20

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