Chapitre 28

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 Guad ne savait toujours pas s’il se trouvait dans un rêve éveillé, dans un monde hors de la réalité ou s’il était mort. Cependant, il était maintenant convaincu que les choses qu’il voyait et vivait ne formaient pas de simples illusions. Il venait d’aider Locro et son père à réaliser le dernier pas vers l’acceptation de leurs fins.

 — Impressionnant, humain.

 Devant lui se matérialisa Leh, l’être mi-homme, mi-squelette qui l’avait envoyé dans ce monde de lumière.

 — Qui êtes-vous ? demanda Guad. Et qu’êtes-vous ?

 — Je suis le gardien de la bulle que vous avez profanée. Je m’assure qu’elle reste exempte de la corruption de votre race.

 L’élu se mit à réfléchir à toute vitesse. Face à cette entité surpuissante, le moindre mot de travers pouvait signifier la mort.

 — Leh, s’inclina Guad, je suis désolé si vous avez perçu notre arrivée comme une offense. Nous ne faisons que passer pour permettre à notre golem de récupérer dans les eaux du puits de vie.

 — Je sais très bien pour quelle raison vous êtes ici. Vous n’êtes pas les premiers et vous ne serez sans doute pas les derniers.

 Le gardien leva sa main noire et le monde de lumière s’assombrit. Autour d’eux apparurent des centaines de silhouettes d’hommes et de femmes aux allures courbées. Guad ne pouvait pas apercevoir leurs visages, il ne ressentait rien se dégager de ces personnes. Un frisson le parcourut face à cette vision de cauchemar.

 — Vois tous ces élus qui sont arrivés devant moi, tonna Leh. Ils ont échoué par péché de vanité et de bêtise.

 Il y en avait tant… Il les entendait maintenant émettre des plaintes, comme s’ils n’éprouvaient plus que douleur et fatigue.

 — Je suis non seulement le gardien de cette bulle, mais je suis aussi le gardien du dernier passage. (Il leva sa main de chair et pointa un doigt vers Guad.) Alors, dis-moi humain, pourquoi te laisserais-je partir ?

 — La Gueule nous a donné pour mission de la rejoindre pour lui prouver notre amour envers elle. Ainsi, la Vérité nous illuminera.

 — La Vérité ? s’esclaffa le mi-homme. L’amour de votre dieu ? Voilà donc la raison de ton voyage ?

 Guad fronça les sourcils. Il ne devait pas se montrer impertinent, mais les mots lui brulaient la langue.

 — Si nous n’y arrivons pas, la Gueule purgera notre bulle et anéantira ceux qui y vivent.

 Les yeux de Leh se mirent à briller de leurs couleurs verts et rouges et sa demi-bouche esquissa un sourire.

 — Tu crois donc tellement en cette fable que tu obéis à tout ce qu’elle te dit, railla-t-il, sans même y réfléchir un instant. Penses-tu être un sauveur seulement parce que ton dieu t’aurait choisi pour le rejoindre ?

 — Je me fiche d’être un sauveur ou un élu, répondit Guad. Mais si j’ai les moyens de protéger ceux qui me sont chers, alors je saisirais cette opportunité.

 — Ta voix hésite pourtant.

 Guad balaya l’air devant lui comme pour rejeter le propos de son interlocuteur.

 — Je ne connais pas la vérité absolue, je ne la connaitrais probablement jamais. Je ne peux pas savoir si aller au bout de ce périple sauvera les miens, je ne sais même pas ce qu’impliquerait un échec de notre part. Mais peu importe les hésitations de mon cœur et de mon esprit, je dois faire de mon mieux avec ce que j’ai à portée de main, pour le bien des miens.

 Leh tendit les bras devant lui comme s’il voulait accueillir le voyageur.

 — Ta volonté est de fer, humain. J’ai pu voir dans tes yeux que tu ne m’as pas menti une fois. Alors il est temps pour moi de t’offrir un choix.

 Il leva sa main de chair devant lui et une flamme verte apparue.

 — Je peux te libérer de cet endroit et te permettre de continuer ta route avec ton guide.

 Il referma sa poigne sur la flammèche. Il rabaissa son bras et mit cette fois sa paume squelettique devant lui, pour dévoiler un feu couleur sang.

 — Tu peux sinon décider de mourir ici et ainsi arrêter ton voyage.

 Il ramena sa première main pour disposer les deux flammes dansantes côte à côte.

 — Sache cependant que je fais passer le même test à ton amie actuellement. Son jugement est aussi important que le tien alors écoute bien mes mots. Si vous faites un choix similaire, vous périrez tous les deux et votre pèlerinage ne connaitra pas de suite. Si vous prenez des décisions différentes, l’un de vous aura la vie sauve et pourra continuer.

 — Mais c’est injuste, intervint Guad, cela veut dire qu’il y a forcément un de nous deux qui doit mourir !

 — En effet. Maintenant, prononce-toi.

 L’élu regarda tour à tour les deux feux de couleurs. Son cœur battait à tout rompre et son cerveau bouillonnait déjà. Il fallait qu’ils s’accordent à ne pas choisir la même chose sans communiquer. Guad prit une grande inspiration pour essayer de relâcher la pression. Trop réfléchir ne servirait à rien, son esprit lui dictait avec logique ce qu’il devait décider. Il leva la main et pointa le jugement qu’il sélectionnait.

 — La mort pour moi.

 — Fascinant, répondit Leh en fermant sa paume entourée de lierre. Pourquoi donc ce choix ?

 — Notre but est de rejoindre la Gueule en preuve de notre foi et de notre amour. Ceux qui parviendront à elle bénéficieront de l’illumination et verront la Vérité. Mais ce sont des choses qui ne m’ont jamais intéressé. Ce que je veux, c’est sauver les miens, même si j’en mourais, j’y étais déjà résolu depuis longtemps. Kareth a bien plus foi en la Gueule que moi, sa place demeure auprès de sa divinité.

 Le gardien partit dans un rire délirant. D’un mouvement de main, il fit disparaitre toutes les ombres des élus précédents autour d’eux, ramenant ainsi la lumière. Une silhouette se composa à côté de Guad. C’était Kareth. Le jeune homme chercha à lui parler, mais les mots ne sortirent pas. C’était comme s’il était bâillonné avec de l’air.

 — Mes félicitations élus, clama Leh, vous avez réussi à faire un choix différent, comme je vous l’avais demandé.

 Kareth baissa les yeux pour ne pas affronter le regard de Guad. La culpabilité de l’avoir condamné devait assaillir son cœur et sa victime n’arrivait même pas à lui dire qu’il ne lui en voulait pas.

 — Mais sachez une chose, humain. (Il leva ses mains et les flammes se mirent à tourner au-dessus de sa tête.) Dans ce monde, rien n’est juste et mon épreuve ne l’est pas plus. Ceux qui décident de se sacrifier pour le bien des autres méritent de vivre. Ceux qui utilisent leurs congénères pour leurs propres personnes méritent de mourir. Et sous mon regard, il en sera toujours ainsi.

 La flamme rouge se propulsa vers Guad tandis que la verte toucha Kareth. Alors qu’il perdait conscience, il tourna la tête et vit que Kareth en train de hurler silencieusement. Elle se transforma en ombre, comme leurs prédécesseurs, eux aussi tués par le gardien. Le jeune homme tendit la main vers son amie, mais ses yeux se fermèrent avant qu’il ne réussisse à l’atteindre.

 Guad revint enfin à lui. Il était étendu sur le sol de la forêt, près du puits de vie. Il se palpa par réflexe et fut heureux de ne constater aucune blessure. Cependant, arrivé au niveau du torse, il se rendit compte que le médaillon de sa mère avait disparu. Il se mit en position assise, une main sur le front et se remémora ce qu’il venait de se passer. Cela n’avait donc pas été un simple rêve, comme il s’en était douté, il y avait une certaine réalité dans tout cela.

 — Kareth !

 Guad se releva prestement et regarda autour de lui. Personne en vue. Personne non plus dans les eaux du puits. L’élu se précipita dans la jungle derrière lui et s’y fraya une voie à renfort de coup d’épée. Il devait la retrouver.

 Il fouilla ainsi pendant des heures, effrayant la faune qui déguerpissait sur son chemin tellement vite qu’il n’aperçut que des ombres au mieux. Cette bulle n’était pas grande, il la ratissa entièrement en quatre heures. Mais hélas, pas de signe de Kareth. Leh l’avait emporté.

 — Maitre Guad ?

 Le jeune homme sursauta. Il reconnut la voix du golem, mais il ne s’était pas attendu à le voir si tôt.

 — Dux ! Tu ne devais pas rester trois journées dans le puits ?

 — En effet, je viens de terminer à l’instant.

 — Que ?

 Cela voulait dire que Guad avait passé trois jours entiers dans les visions que le gardien lui avait imposées. Quel pouvoir terrifiant ! Une idée jaillit dans l’esprit en ébullition du jeune homme.

 — Vite Dux, est-ce que tu sens la présence de Kareth ? Je la cherche depuis des heures.

 Le golem se redressa et ses yeux virèrent au rouge. Une dizaine de secondes plus tard, il revint à son état normal.

 — Je suis désolé, je ne trouve pas de traces de maitresse Kareth.

 — Et merde ! rugit Guad en plantant sa lame sur un arbre à côté de lui. Il accepte de me laisser passer pour que je sauve les nôtres, mais il emporte mon amie dans la mort ! Merde !

 Le voyageur continua ainsi à vociférer et à frapper de son épée encore et encore autour de lui afin de disperser sa colère. Hélas, il venait de passer tellement de temps à courir à la recherche de Kareth que son corps ne put poursuivre plus. Il se ramassa sur lui-même, abandonnant sa rage pour qu’elle se dissipe d’elle-même. Le vide qu’elle laissa en lui fut rapidement comblé. Les larmes l’assaillirent immédiatement.

 Une fois son chagrin calmé, Guad repassa au puits de vie pour récupérer des forces. Le gardien avait précisé que cet endroit était la dernière étape de son périple, alors il était temps d’y mettre fin.

 — Allons-y Dux, lança le jeune homme entre ses dents, le poing serré. J’ai vu l’entrée du prochain tunnel tout à l’heure lorsque je cherchais Kareth. Terminons-en avec ce voyage. J’ai une divinité à rencontrer.

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