Chapitre 27

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 Des bruits de pas résonnèrent dans son dos. Guad ne savait toujours pas où il était et ce qu’il se passait, mais il devait faire avec. Il se tourna. Devant lui se trouvait un homme grand au corps athlétique. Il avait des cheveux bruns taillés aussi courts que sa barbe. Ses yeux marrons étaient fixés sur l’élu, comme s’il attendait quelque chose de lui.

 Guad n’était pas sûr de lui, mais il pensait reconnaitre cet homme. Il avait rencontré Locro auparavant, alors tout apparaissait possible. Après douze longues années, il avait enfin l’occasion de discuter avec lui.

 — Père.

 — Fils.

 Dran Deoredei s’approcha en écartant largement les bras, le sourire aux lèvres, prêt à étreindre son enfant qu’il n’avait pas vu depuis tant d’années. Mais celui-ci le reçut d’un coup de poing en pleine mâchoire, l’envoyant directement à terre.

 — Je ne m’attendais pas vraiment à ça, dit son père en vérifiant qu’il ne saignait pas, je l’avoue.

 — Après avoir grandi sans toi, rétorqua Guad, tu espérais que je te remercie peut-être ?

 — Je pensais que tu aurais compris maintenant. Et que tu nous aurais pardonné.

 — C’est le cas.

 Le jeune homme n’en dit pas plus et croisa les bras en regardant de haut son paternel. Il ne mentait pas, il saisissait très bien pourquoi ses parents avaient agi ainsi. Il avait lui-même agi de la même façon envers celle qu’il aimait. Cela ne voulait pas dire pour autant qu’il ne souhaitait pas en coller une à son père.

 — Je vois… Tu as bien grandi et tu es devenu un homme digne de ce nom. Plus que ton père surement. Je n’ai jamais été très doué pour grand-chose, il faut l’avouer.

 — Vous êtes parti pour réaliser le périple de la Gueule lorsque je n’avais que huit ans. Que vous est-il arrivé ? Êtes-vous parvenus à atteindre la vérité ?

 Dran se releva. Sur son visage, le sérieux avait remplacé toute expression.

 — Je ne sais pas pour notre groupe. Pour ta mère et moi, nous n’avons pas réussi à aller jusqu’au bout. Nous avons failli à notre tâche.

 — Pourquoi ?

 — Ta mère était malade, répondit Dran. Lors de notre passage dans la première bulle, des guerriers monstrueux qui chevauchaient des corbeaux géants nous ont attaqués. Elle a été touchée par une arme sombre comme la nuit. Nous pensions que sa vie n’était pas en danger, car la blessure semblait légère, mais nous avions tort. Après ça, elle a commencé à montrer des signes de maladie et son état s’est empiré de jour en jour. Un peuple de croyants très altruistes nous a accueillis dans la deuxième bulle et ils ont essayé de la soigner…

 — Mais ils n’ont pas réussi, continua son fils. Et elle s’est transformée.

 Le père ouvrit grand les yeux, surpris par ce qu’il venait d’entendre.

 — Tu es au courant ?

 — J’ai perdu mon meilleur ami de la même façon, asséna Guad. Il s’est changé en monstre incontrôlable à cause d’une blessure de varnas, les guerriers corbeaux. Nous avons été obligés de continuer notre chemin sans lui.

 Il avait adopté un ton froid, mais avoir prononcé ces mots lui donnait l’impression de s’arracher le cœur à mains nues. Dran eut un petit rire triste.

 — Tu as donc réussi là où j’ai échoué.

 Guad fronça les sourcils.

 — Je ne suis pas parvenu à me résoudre à abandonner ta mère. Lorsqu’est venu le choix de continuer avec ou sans elle, j’ai demandé aux autres de partir sans nous et je suis resté à ses côtés. Elle souffrait déjà énormément, mais elle possédait encore toute sa tête. Je suis allé lui en parler, j’ai essayé de lui expliquer. Elle ne voulait pas accepter ma décision, je devais avancer pour elle. Et surtout pour notre fils… Elle a réussi à me convaincre de partir quelques jours plus tard.

 Son père se prit le visage entre ses mains tremblantes.

 — Lorsqu’elle a commencé à se transformer, tout a changé. Elle m’a supplié, encore et encore de l’aider, de ne pas l’abandonner. Mais nous ne trouvions pas de solution. Elle a fini par perdre complètement pied, et tout a dégénéré. Lia est devenu un monstre et s’est enfuie de la ville. Je voulais foncer à sa recherche, mais le jour de notre départ était venu. Je lui avais promis d’atteindre la vérité pour elle, alors j’ai dû la laisser, l’abandonner.

 Dran se mit à sangloter. Voir son père ainsi, cet homme si fort de caractère se briser, fendit le cœur de Guad. Le choc d’avoir observé son ami se transformer avait été dur à encaisser, son choix pesait encore sur ses épaules. Mais il avait réussi à rester debout et à garder sa volonté intacte, contrairement à son père. Avoir vu sa propre femme disparaitre petit à petit et ne même pas avoir pu l’aider avait anéanti cet élu.

 — Le pire, continua Dran, c’est que je ne sais pas la suite. Après mon départ, qu’est-elle devenue ? Ont-ils trouvé un moyen de l’arrêter et de la soigner ? Jusqu’à quel point la situation a-t-elle dégénéré ?

 — De ce que nous avons appris, les trois quarts de la population ont été décimés. Mère n’a pas été la seule à se transformer, elle a aussi infecté d’autres personnes. Aujourd’hui, ce qu’il reste de ce peuple est enfermé entre des murs pour se protéger, espérant survivre aux monstres qui rôdent partout.

 — Voilà donc le malheur que nous avons apporté avec nous. Je n’aurais pas dû la laisser comme ça.

 Dran se releva et essuya ses larmes. Guad ne ressentait pas de rancœur pour son père, loin de là. Étant lui-même un élu de la Gueule, il savait la charge colossale qu’avait endurée cet homme. Et aujourd’hui, il vivait dans le regret de ses actes passés.

 — Tu as pris la bonne décision, père.

 — Je n’en suis pas si sûr. J’ai failli à toutes les tâches qui m’incombaient.

 — Tu as été un mari digne. Mère t’aimait plus que tout au monde.

 Le jeune homme passa la main dans sa veste et récupéra le médaillon qu’il avait trouvé. Il le lança dans la direction de son père qui le rattrapa au vol.

 — Qu’est-ce que… s’exclama ce dernier, abasourdi. C’est le pendentif que j’avais offert à Lia !

 — Je sais. Lors de notre voyage dans la bulle de Trafod, nous avons rencontré une personne qui a été infectée par la corruption des démons ailés, et non par une autre goule. Elle avait un comportement très étrange pour une telle créature. Elle attendait devant le passage. À en juger par sa posture, je dirais même qu’elle devait se poster ici jour et nuit, depuis bien longtemps. Elle portait ce médaillon.

 Dran se précipita sur son fils et le prit entre ses bras. Guad ne chercha pas à se défendre cette fois, il accepta au contraire l’étreinte de son père.

 — Tu l’as libéré Guad, merci ! gémit-t-il au bord des larmes de nouveau.

 Il l’avait libéré ? Le jeune homme n’avait jamais visualisé les choses de cette façon. Il repoussa son parent doucement, afin de se donner un peu de consistance. Si cela avait continué, il savait qu’il allait craquer aussi.

 — Je suis si fier de toi, reprit Dran, sa voix se tordant sous l’émotion. En plus d’accomplir la destinée que la Gueule t’a écrite, tu parviens même à corriger mes erreurs. Je peux aller en paix maintenant.

 Guad l’avait compris, mais n’avait pas osé poser la question avant. Il le devait pourtant.

 — Et toi, père ? Que s’est-il passé après ?

 — J’ai échoué là où tu es en train de réussir, lui répondit l’homme avec un sourire aux lèvres. J’ai aussi vécu les visions que tu as en ce moment. Mais je n’ai pas pu affronter le regard de ta mère. Ni le tien.

 — Je comprends… Je suis désolé.

 — Ce n’est pas grave. J’ai eu la chance de pouvoir te revoir et d’apprendre que Lia a été libéré de sa malédiction.

 Dran s’approcha, posa sa main avec vigueur sur l’épaule de son fils et hocha la tête.

 — Je t’aime Guad. Je sais que tu peux réussir là où j’ai échoué.

 De la même façon que Locro, Guad regarda son père disparaitre sous ses yeux, comme s’il n’avait été qu’un amas de poussière qui s’envola au premier coup de vent.

 De nouveaux bruits de pas résonnèrent, mais il ne put en localiser l’origine. Il n’y avait personne près de lui. Pourtant, il entendit une voix chuchoter à son oreille, une voix féminine qu’il avait connue il y a longtemps :

 — Merci de l’avoir sauvé du fardeau de ma mort, je suis fière de toi.

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