Chapitre 26

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 Le noir complet. Pas un bruit. La sensation de flotter dans les airs. Puis une chute, vertigineuse.

 Guad se réveilla, étourdit. Il regarda autour de lui, mais ne vit rien d’autre qu’une lumière omniprésente, un vide véritable. Même sous lui, bien qu’il se sentait sur un sol consistant, il n’y avait rien. Il se trouvait sur une plateforme invisible. Que venait-il d’arriver ? Il se passa une main sur le front, comme pour y chercher une trace de la paume squelettique noire qui représentait le dernier souvenir qu’il avait. Était-il mort ?

 — Aïe !

 En tout cas, se pincer faisait encore mal en ces lieux, ce qui ne l’avança pas vraiment plus. Peut-être aurait-il dû avoir peur, mais pour le moment, c’était surtout l’incompréhension qui le tenait par la gorge.

 — Ben alors, qu’est-ce que tu viens faire par ici ?

 Guad se retourna vers la voix. C’était Locro. Pas le Locro-goule qu’il avait vu pour la dernière fois, mais bien le colosse aux épaules carrées de son village. Il avait le sourire aux lèvres, dévoilant ses fossettes si caractéristiques. Mais que se passait-il ? Il y a quelques instants, Guad n’avait aperçu personne à cet endroit. Et Locro ne devrait pas pouvoir se trouver ici…

 — Je ne sais pas, répondit le jeune homme, méfiant. Je n’en ai aucune foutue idée. Et toi, pourquoi es-tu là ?

 — Eh bien, je t’attendais en fait. Je souhaitais comprendre pourquoi vous m’aviez abandonné à Cadarnle.

 Son ton apparaissait désinvolte, bien trop pour des paroles si lourdes de sens. Mais ce Locro savait ce qu’il s’était passé à Cadarnle. Était-ce une illusion ? Ou Guad était-il bien mort et avait rejoint son ami dans l’après-vie ?

 — Nous n’avions pas le choix. Notre quête devait se poursuivre et nous ne pouvions t’emmener.

 — Vous n’aviez pas le choix, hein ?

 Locro se laissa aller à un véritable fou rire au point où il en haleta sur la fin. Il s’essuya une larme au bord de l’œil avant de regarder de nouveau son interlocuteur.

 — Je ne te savais pas menteur, mon ami. Tu n’as donc aucunement eu le choix entre m’abandonner aux tortures d’un fou et m’épargner plus de souffrances. Hmmm, c’est étrange, vraiment.

 — Je…

 — Il suffit ! coupa Locro instantanément. Tes mots n’ont déjà plus de valeurs à mes yeux.

 Une matière noire se forma dans la main du colosse. Une sorte d’œuf qui se déformait, comme si une créature à l’intérieur se débattait pour en sortie. Puis l’ombre s’allongea jusqu’à prendre la forme d’une épée dans la paume de Locro. Le phénomène se reproduit une deuxième fois et il récupéra la deuxième arme, qu’il lança à son ami.

 — Tes actes parleront pour toi.

 Guad voulut protester, mais il n’en eut pas le temps, Locro se trouvait déjà sur lui. Les lames s’entrechoquèrent avec force dans un fracas de métal cinglant. Si tenté que cette personne ne fût pas son ami, Guad ne douta pas qu’il se battait en tout cas de la même façon. Hélas, le problème était que le rapport de puissance dans ce combat se révéla similaire à celui qu’il y avait entre les deux élus par le passé.

 Locro enchaina les frappes sans répit, ne permettant pas à Guad d’avoir une occasion de riposter ou de souffler. Pour l’instant, il était obligé de se contenter de la défense. Il para une entaille au niveau de la taille, avant d’interposer de nouveau sa lame au-dessus de sa tête. Comme dans leurs entrainements d’autrefois, Guad était désavantagé au niveau force, sans pour autant gagner sur la rapidité. Locro était un meilleur bretteur que lui.

 — Pourquoi restes-tu sur la défensive ? lança ce dernier. Es-tu donc autant décidé à ne pas faire face ?

 Le guerrier frappa d’une oblique que Guad ne put totalement contenir. Le coup toucha au niveau de la poitrine, laissant une longue entaille sur son passage. La plaie était très peu profonde, le jeune homme n’allait pas être handicapé. Mais pour autant, cela signifiait bien qu’il pouvait être blessé. Voir mourir, s’il ne l’était pas déjà.

 Locro relança son assaut. Guad focalisa ses efforts sur esquiver et dévier les frappes de son adversaire, continuer de les parer ne lui apporterait que plus de dommages. Le colosse avait trop de force pour qu’il puisse être contenu.

 — Pourquoi fais-tu ça ? lança Guad entre deux échanges. Je ne veux pas te tuer !

 — Je sais, répondit Locro en s’arrêtant d’attaquer, tu as déjà prouvé par le passé que tu n’en étais pas capable. Même si c’était pour m’éviter de souffrir.

 Il ne pouvait pas s’agir de Locro, c’était impossible, il ne tenterait pas de l’éliminer ainsi sinon. Pourtant, les mots qu’il entendait comprimaient le cœur de Guad. Même si ce n’était pas son ami qui lui faisait face, ce qu’il disait résonnait en écho avec la culpabilité qui assaillait le jeune homme depuis ce fameux jour.

 — Je vais te passer au fil de ma lame, Guad. Il est temps pour toi de payer pour m’avoir abandonné.

 Les deux adversaires se remirent en garde. Guad profita du fait que l’échange repartait pour pouvoir prendre l’avantage à son tour. Ils ne demeuraient pas sur un pied d’égalité en ce qui concernait les capacités de combat, mais Guad ne pouvait se laisser tuer sans agir. Son voyage n’était pas terminé.

 Locro visa la tête d’un coup horizontal que le jeune homme esquiva en passant par-dessous. Il profita de cette ouverture pour frapper au niveau des jambes. Mais son adversaire, d’une torsion du bassin, réussit à interposer son épée juste à temps pour contrer l’attaque. Guad recula pour reprendre son souffle. Obtenir la victoire n’allait pas être facile.

 — Nous avons pris cette décision car cela pouvait permettre de sauver des centaines de vies. Il était trop tard pour toi.

 — Il était trop tard pour moi ? Oh, et qui t’a dit cela ? Un inconnu qui s’est présenté comme un guérisseur ?

 Le duel repartit, les lames se percutèrent encore et encore ;

 — Vous avez décidé de faire confiance à un homme juste pour sa parole ?

 Locro dévia l’épée de son opposant avant de tenter une estocade au niveau du ventre, qui fut esquivé de justesse.

 — Et vous n’avez pas pensé que c’était peut-être lui qui m’avait rendu ainsi ?

 Une attaque passa dans la garde de Guad et l’atteignit au niveau de la cuisse. Heureusement, il s’agissait encore une fois d’une blessure superficielle.

 — Au lieu de sauver les infectés, vous avez condamné les derniers survivants.

 Le voyageur perdait du terrain, il se retrouvait de nouveau à ne pouvoir que se défendre contre l’assaut furieux de Locro. Ses paroles comme sa lame étaient aiguisées et Guad n’arrivait plus à le contenir.

 — Nous devions prendre une décision, rétorqua-t-il en bloquant une attaque. Dans cette situation où tout n’était qu’horreur, nous avons choisi de saisir le seul espoir à portée. Celui qui nous permettait de continuer notre quête et peut-être de sauver des centaines de personnes en plus des nôtres.

 Les coups de son adversaire ne perdaient pas en intensité, alors que la fatigue le harassait déjà. Son cœur battait dans ses tempes à une vitesse ahurissante, son souffle était court. Il fallait qu’il abrège ce combat car il ne gagnerait pas à l’usure.

 — Vous avez donc décidé de me laisser à mon sort, moi, votre ami.

 Guad grinça des dents. Il sentit en lui la colère monter alors que ses mains serrèrent plus fort encore la garde de la lame noire.

 — Nous n’avons pas choisi cela contre toi, nous voulions donner un sens à ta mort.

 Après avoir paré une énième taille, Guad passa à l’attaque. Sa fureur accompagna ses coups qui fusaient dans la direction de son adversaire.

 — Ne te sens-tu donc pas coupable ?

 Locro déviait et bloquait frappe après frappe.

 — Bien sûr que je me sens coupable ! hurla Guad, hors de contrôle. Mais j’ai décidé d’accepter ce fardeau. Pour les nôtres et même pour toi, je dois poursuivre ce voyage ! Tout dépend de notre réussite, Kareth et moi ne faillirons pas.

 Il feinta un coup de taille et fonça dans la garde de son adversaire pour infliger une estocade. L’élu savait qu’il tentait une attaque suicidaire, mais il n’avait pas le choix. Il ne gagnerait pas sans prendre le moindre risque. Alors qu’il chargeait déjà, il aperçut Locro qui replaçait son arme en opposition.

 La lame atteignit sa cible et s’enfonça dans la poitrine du colosse, sans un bruit. Guad leva la tête et découvrit son compagnon, un large sourire accroché au visage, comme si l’épée d’ombre qui le transperçait ne l’affectait pas.

 — Il était temps, dit Locro joyeusement. Tu es un élu, mon ami, ne l’oublie pas. Ne te laisse pas aveugler par ta culpabilité et continue à avancer, peu importe les choix que tu fais.

 — Que…

 Mais Guad n’eut pas l’occasion de répondre quoi que ce soit. Locro, ainsi que les deux lames, s’évaporèrent dans une fumée noire dégageant une légère odeur de soufre. Pas un bruit dans le vide lumineux, le jeune homme était de nouveau seul. Seul avec ses propres démons.

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