Chapitre 24

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 Guad envoya voler un caillou d’un coup de pied.

 — Tu penses que notre voyage est encore long ? lança Guad.

 — Aucune idée, répondit Kareth. Dux ?

 — Je ne connais pas cette information, désolé.

 L’élu ne put s’empêcher de soupirer. Cela faisait trois jours qu’ils parcouraient de nouveau les tunnels et plus d’un mois désormais qu’ils avaient quitté leurs foyers. Il n’avait pas su à quoi s’attendre à l’époque, mais il ne s’était pas imaginé que cela durerait si longtemps.

 Dux partit en éclaireur pour voir si la sortie était loin ou non. Cela devait être pratique d’être un golem et de ne pas ressentir la fatigue. Guad repéra un autre caillou et arma sa jambe.

 — Dis-moi Guad, tu n’as plus foi en la Gueule ?

 L’intéressé manqua sa cible, si bien qu’il fut déséquilibré et faillit chuter. Il se rattrapa tant bien que mal et regarda son amie avec un air ahuri.

 — C’est quoi cette question tout à coup ?

 — Ne fais pas l’idiot avec moi, prévint Kareth. Nous n’en avons plus parlé depuis des semaines et tu essaies d’esquiver le sujet. Lorsque je prie, tu fais semblant de ne pas m’entendre pour ne pas avoir à faire de même.

 Guad resta silencieux face à l’accusation. Avait-il perdu la foi ? Il se gratta la barbe, réfléchissant à la question.

 — C’est compliqué…

 — Pas de ça non plus ! intervint-elle en fronçant les sourcils. Évidemment que c’est compliqué, mais je veux qu’on en parle.

 — Je sais, je sais. C’est juste que dire que je n’ai plus foi n’est pas exact. Après tout ce qu’on a vu durant notre périple, toutes les horreurs que nous avons vues… Les choses ne sont plus si simples d’après moi.

 Un autre coup de pied, et une pierre s’envola droit devant.

 — La Gueule teste notre force et notre volonté avec des épreuves, dit Kareth. Si nous perdons foi en elle sur le chemin, alors nous faillirons à notre tâche.

 — Locro était très croyant et prêt à affronter tous les périls pour réussir sa mission. Cela ne l’a pas empêché de finir dans une situation pire que la mort.

 Depuis la transformation de son compagnon, Guad avait passé beaucoup de temps à réfléchir au but de ce voyage, au sens de leurs vies.

 — D’après moi, continua-t-il, si nous en sommes là aujourd’hui, ce n’est pas vraiment grâce à notre foi. Mais plutôt un mélange de volonté, de force et surtout de chance.

 — De chance ? Tu…

 — Laisse-moi terminer, coupa Guad. Je ne dis pas que tout ce que l’on fait n’a pas de sens ou que nous ne verrons pas la Vérité à la fin de notre voyage. Ce que je pense, c’est que tout ce que nous avons réalisé jusqu’à maintenant est de notre propre ressort. Il n’y a pas de destin ou de chemin tout tracé ni d’épreuves posées par une divinité supérieure. Le hasard, nos choix et certaines circonstances ont permis d’en arriver là. Mais d’après moi, tout aurait pu se passer de façons plus heureuses ou, au contraire, bien plus tragiques. Regarde, si nous revenons à notre première étape dans la bulle de Dusmas, nous avons décidé d’aller au nord sur un coup de tête de Locro. Si nous avions choisi l’ouest plutôt, nous serions tombés sur un autre village. Ainsi, tu n’aurais pas été capturé et les varnas ne nous auraient pas suivis. Locro n’aurait pas été blessé et serait encore avec nous aujourd’hui. Tout ça, parce qu’il a décidé au hasard la direction à prendre.

 — La Gueule nous guide, même à travers nos propres gestes, répondit Kareth.

 — Peut-être en effet, s’esclaffa Guad. Peut-être que nous n’avons finalement le contrôle sur rien, mais dans ce cas-là, à quoi bon ? Autant ne pas réfléchir plus, car mes doutes sont prévus par la Gueule. Nous ne sommes alors que des pantins, sans libre arbitre.

 — Ce n’est pas ce que je veux dire, tu le sais. Nous restons maîtres de nos choix, mais les grandes lignes de nos destins sont déjà écrites.

 — C’est ce que tu penses ?

 — C’est ce que j’ai toujours cru. Aujourd’hui encore, je suis persuadé que ce que fait la Gueule est juste.

 — Juste ? Je n’en suis pas tout à fait convaincu. Tu te souviens ce que disait Aenan ? Se questionner, c’est vivre et avancer. Et me questionner, je ne cesse de le faire depuis ce jour-là. Quand j’ai déduit d’où venait le malheur qui avait frappé son peuple, j’ai eu du mal à trouver une justification à tout cela. Puis nous avons rencontré la tribu sath. L’espace d’une soirée, mon esprit a été en paix et je me suis senti heureux comme je ne l’avais plus été depuis notre départ. Mais j’ai découvert à quel point tout cela avait été factice. Lorsque j’ai vu ces jeunes guerriers se sacrifier pour obtenir de quoi faire pousser leurs fruits, cela m’a dégouté. Tant de morts pour conserver ce semblant de bonheur, c’est si absurde. Aujourd’hui encore, je ne saisis pas où se trouve la bonté de la Gueule là-dedans.

 Kareth prit une grande inspiration et remit son sac en place. Elle réalisa un signe de prière avant de répondre :

 — Il est vrai que tout cela est compliqué. Mais sommes-nous capables d’en comprendre le but, la finalité ? Est-ce que cela a seulement un intérêt d’ailleurs ? Nous, simples humains, avons la chance de vivre sous sa bénédiction et nous devons lui prouver notre valeur afin de pouvoir continuer. Nous avons pu voir les malheurs qui peuvent affecter les peuples, alors il est de notre devoir de faire de notre mieux pour protéger les nôtres. Et aujourd’hui, notre meilleur moyen de réussir, c’est de terminer le voyage qui nous a été confié pour atteindre la Vérité.

 — La Vérité… articula Guad. Je ne sais pas ce que cela peut être, mais je ne suis pas convaincu que ce sera bénéfique pour nous.

 L’écho d’un pas lourd commença à se répercuter dans la direction vers laquelle ils avançaient. Dux était de retour.

 — Enfin, comme tu l’auras deviné, je ne sais plus vraiment si je dois garder la foi ou non. Je ferais cependant de mon mieux pour que l’on parvienne à la fin de ce périple.

 — Je comprends…

 Le golem s’approcha des élus et leur fit signe de les suivre.

 — La fin du tunnel n’est plus très loin. Si nous continuons à ce rythme, nous devrions pouvoir y arriver d’ici deux à trois heures.

 Les voyageurs hochèrent la tête en signe d’approbation et rejoignirent leur guide d’acier.

 — Que la Gueule entende nos voix et protège nos cœurs, murmura Kareth.

 Guad hésita un instant, puis imita son amie, avant de se murer dans le silence.

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