Chapitre 23

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 Les conditions de voyage ne firent qu’empirer à mesure de la progression de la troupe. En plus des tempêtes de sable qui les harcelaient régulièrement, ils avaient rencontré nombre de prédateurs monstrueux prêts à déchiqueter les imprudents osant traverser leurs territoires. Des lézards, des scorpions, des vautours, des scarabées, des serpents… Dans ce désert, tous ces animaux existaient dans des proportions démesurées. Les guerriers durent se battre chaque jour avec des adversaires qui se voulaient plus coriaces encore que les précédents. Les victoires ne s’obtinrent pas sans sacrifices, des pertes furent à déplorer.

 Le dernier combat, un scorpion géant avec une carapace impénétrable, avait été un cauchemar à combattre. Les saths s’étaient évertués durant une trentaine de minutes à essayer de le blesser, sans succès. C’est l’intervention de Dux qui permit de créer une opportunité. Il engendra une faille dans l’armure de la bête en utilisant son cœur de feu pour la faire fondre. Le challenge fut ensuite de réussir à toucher cet étroit espace de vulnérabilité avec l'une des lances empoisonnées. À terme, les voyageurs triomphèrent de leur adversaire. Mais il avait emporté avec lui six saths à l’aide de ses pinces et de son aiguillon.

 À l’aube du onzième jour, ils n’étaient plus que douze.

 — Inutile. Tout cela est inutile.

 — Peut-être devrais-je me laisser mourir ?

 Les huit derniers jeunes du désert étaient dans un état abominable. De l’irritabilité et la colère, ils étaient passés à l’abandon et à la dépression. Les effets du manque de nashwa ravageaient leur moral. Seule l’adrénaline des combats leur redonnait vie.

 Mais alors qu’une énième plainte se fit entendre, le vent commença à se lever sur la mer de sable. Le courroux d’une nouvelle tempête s’abattit sur eux, avec une intensité comme jamais ils n’en avaient subi.

 Guad était bien couvert, mais se sentait nu, enfoncé de la tête aux pieds dans une dune. Des grains s’insinuaient dans ses vêtements, il se retrouva forcé de respirer à travers du tissu pour ne pas en avaler. Il lui était désormais impossible de vraiment ouvrir les yeux pour voir ce qui se trouvait devant. Il fallait faire profil bas et marcher, un pas après l’autre, en espérant aller dans la bonne direction.

 L’expédition avança ainsi une heure sans savoir quand l’enfer s’arrêterai, seules leurs volontés leur permettaient de continuer. Après un nouveau pas encore plus lourd que les derniers, Guad sentit une différence. Il força sur ses jambes pour avancer et, tout à coup, le calme l’entoura. Faisant volte face, il comprit ce qu’il venait de se passer. Le vent ne s’était pas réduit progressivement comme à son habitude, mais au contraire, le changement avait été abrupt. Derrière l’élu, un gigantesque rideau gris se profilait pour délimiter la zone, comme si une barrière invisible retenait le moindre grain de sable de s’approcher. Guad n’avait aucune idée de la cause d’un tel phénomène, mais il ne s’en préoccupa pas pour autant : ils étaient arrivés à leur destination.

 Devant eux se dessinait un arbre géant à l’écorce aussi blanche que la peau de Fara. Il atteignait une hauteur de quatre-vingts mètres et ses branches se dispersaient dans toutes les directions. Tout le long se formaient des feuilles aux teintes rouges, oranges et marrons.

 — L’arbre monde, annonça Akara qui l’avait rejoint. Nous sommes arrivés à la destination de la Shaeira : l’Ealim.

 Guad en avait le souffle coupé. En plus d’être immense, une aura apaisante se dégageait de cet arbre. Dans ce désert de sable gris, la vision d’une flore aussi resplendissante paraissait surréelle.

 — C’est impressionnant, dit-il, admiratif. Il est gigantesque, comment n’avons-nous pas pu le remarquer plus tôt ?

 — Il est caché par ce que l’on appelle le voile du désert, élu. La tempête de sable que nous venons de passer est un phénomène sans fin qui entoure l’Ealim. C’est impossible de le voir à moins de réussir à s’approcher autant.

 En observant plus bas, le jeune homme constata que l’arbre se trouvait sur un plan d’eau où les racines se noyaient avec allégresse.

 — Dux, appela le voyageur, est-ce qu’il s’agit du puits de vie au pied ?

 — Tout à fait, répondit-il.

 L’expédition continua sa route jusqu’à arriver au tronc. Pendant que le golem se mit à l’eau pour se lancer dans son processus réparateur, Akara fit signe aux huit saths restant de s’approcher d’elle.

 — Vous voyez les points lumineux sur certaines branches ? demanda-t-elle en pointant différents endroits successivement. Voici votre objectif.

 — Qu’est-ce que c’est ? s’enquit une des guerrières.

 — Il s’agit de graines que la Gueule nous offre. Grâce à elles, notre clan pourra encore prospérer jusqu’à la prochaine Shaeira. Maintenant, grimpez ! Il est temps pour vous d’aller chercher votre dû !

 Grognements et soupirs furent les seules réponses qu’elle reçut. Même la perspective d’avoir atteint son but n’avait pas réussi à émousser la démotivation de ces guerriers. Ils s’exécutèrent cependant chacun leur tour, utilisant leur lance qu’ils enfonçaient dans le bois pour s’aider à monter. Ils allaient devoir escalader une trentaine de mètres avant de parvenir aux premières branches, sachant que les graines se trouvaient surtout en hauteur. Guad ne les envia pas le moins du monde.

 — Et vous élus, que comptez-vous faire maintenant ? demanda la guide qui les rejoignait.

 — Nous allons devoir rester quelques jours ici pour que Dux récupère dans le puits de vie, répondit Kareth. Une fois qu’il aura terminé, nous continuerons notre chemin à l’ouest, Fara nous a indiqué où se trouvait le point de passage que nous cherchions.

 Akara hocha la tête. Guad n’aurait su dire ce qu’elle pensait de leur séparation prochaine, dissimulée sous le voile qu'elle portait.

 — Notre récolte prendra aussi un peu de temps, nous repartirons lorsque les jeunes auront récupéré au moins une graine par personne.

 — Vous devriez en profiter pour vous revitaliser grâce à l’eau du puits, proposa l’élue, cela vous aidera pour le retour.

 — C’est gentil de votre part, mais lors de la Shaeira, les saths n’ont pas le droit d’utiliser la bénédiction du puits. C’est un voyage qui a pour but de venir chercher le cadeau de la Gueule par la seule force de sa volonté. Le retour représente autant une épreuve que l’aller.

 — Vous avez parlé de graines, intervint Guad, curieux. De quel type s’agit-il ?

 Akara se tourna pour vérifier où en étaient les jeunes, avant de revenir vers ses interlocuteurs.

 — Ces graines permettent de faire pousser les arbres de nashwa. Avec assez de survivants, cela nous fournira assez pour une année entière.

 — Attendez, attendez. Vous parcourez tout ce chemin simplement pour récupérer de quoi faire pousser ces fruits ?

 — En effet, il est impossible de faire vivre les arbustes plus longtemps, et les graines doivent être plantées à peine le voyage terminé. Nous sommes obligés de revenir en chercher chaque année.

 — Mais c’est ridicule ! s’emporta l’élu. Vous sacrifiez tous les ans des jeunes de votre clan juste pour ça ? Pour un fruit qui vous permettra de ne ressentir qu’un bonheur factice ?

 La Sath recula l’espace d’un instant, outrée par les propos.

 — Il s’agit là d’un cadeau de la Gueule, s’exclama-t-elle, nous ne faisons que lui rendre honneur en suivant sa volonté !

 — Que… Quoi ! Mais vous…

 Kareth s’interposa devant lui pour l’empêcher de continuer.

 — Veuillez l’excuser, Akara, il ne cherchait pas à vous offenser. La fatigue du voyage sans doute.

 Guad voulut contester, mais le pied vif de Kareth vint lui écraser quelques-uns de ses orteils, lui arrachant un petit cri de douleur.

 — Sur ce, nous allons vous laisser, guide. Guad et moi allons nous reposer près du puits.

 — Très bien, répondit Akara en courbant légèrement la tête. Nous nous revoyons tout à l’heure, lorsque les jeunes seront descendus avec leur récolte.

 Kareth lui rendit son salut, puis se tourna vers son ami pour le pousser en direction du puits.

 — C’est idiot, asséna ce dernier.

 — Nous ne sommes pas aptes à les juger, rétorqua la jeune femme. Si telle est la volonté de la Gueule, qu’il en soit ainsi.

 Guad freina son avance en enfonçant les talons dans le sable. Il se tourna vers Kareth et la regarda droit dans les yeux. Elle affronta son regard sans hésiter.

 — Tu te moques de moi là ?

 — Les choses sont ce qu’elles sont. Notre voyage te semble avoir plus de sens que le leur peut-être ? La Gueule est toute puissante, nous nous devons de suivre ses instructions.

 Guad tapa du pied. Ce genre de conversation avait le don de le frustrer au possible. Le pire était qu’il savait qu’il n’aurait jamais gain de cause, alors autant changer de sujet plutôt que de s’énerver pour rien.

 — Pour combien de temps en a Dux ? demanda-t-il en reprenant son chemin.

 — Trois jours seulement. Il a dit que ce puits était très concentré en énergie.

 — Excellente nouvelle. Le plus rapide sera le mieux.

 Ils rejoignirent l’endroit où se trouvait le golem sous sa forme sphérique et se posèrent au bord de l’eau. Guad but de tout son saoul avant de s’allonger sur le sable. Au-dessus de lui, il pouvait contempler les branches de l’Ealim. Il se perdit dans cette vue, laissant ses yeux se fermer petit à petit, jusqu’à ce qu’il s’endorme.

 Les trois jours d’attentes furent extrêmement calmes. La zone qui entourait l’arbre-monde demeurait exempte d’une quelconque présence de créatures hostiles. Durant la transe de Dux, les saths s’étaient évertués à récupérer les rares graines qui se trouvaient sur les branches de l’arbre-monde. Après deux jours d’escalade et de recherche, ils avaient réussi à récolter la quantité prévue.

 Le matin du réveil du golem fut aussi celui du départ de la tribu du désert. Les adieux ne s’éternisèrent pas, Akara et Kareth restèrent très formelles tandis que Guad était encore frustré par ce qu’il avait appris. Les autres saths ne bronchèrent même pas, toujours plongés dans leur délire dépressif. Dans cet état, ils se fichaient comme d’une guigne des élus.

 Akara portait sur son dos un gros sac rempli de graines aussi larges qu’une tête humaine. Une pour chaque participant de la Shaeira. Il ne leur restait maintenant plus qu’à les ramener à leur foyer.

 — Que la Gueule vous guide et vous protège élus, salua finalement Akara.

 — Que la Gueule vous guide et vous protège, toi et ton clan, lui répondit Kareth.

 — Courage pour le retour, souffla Guad, prenez soin de vous.

 Kareth le fixa d’un air confus, mais ne dit rien. Les saths s’éloignèrent d’un pas lent et disparurent en s’engouffrant dans le voile du désert. Kareth et Guad se dirigèrent directement à l’ouest de l’Ealim vers le passage suivant. Dux l’ouvrit, puis ils s’engagèrent à l’intérieur des tunnels, toujours accompagnés par l’appréhension de marcher vers l’inconnu.

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