Chapitre 22

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 Le lendemain de la fête, Fara convoqua Guad et Kareth. Un mal de tête et un début de nausée les accompagnèrent, mais contrairement à la veille, ils avaient récupéré le contrôle d’eux-mêmes. Comme convenu, ils n’évoquèrent pas les évènements sur le chemin. Ils se débrouillèrent cependant pour éviter de passer là où il y avait le plus de foule. Guad ne se sentait pas très à l’aise de revoir les deux séductrices qu’il avait fuies dans un moment de panique. Kareth n’avait pas contesté la proposition, ce qui étonna l’élu. Mais il comprit pourquoi lorsqu’il remarqua les joues rouge de la jeune femme quand un beau guerrier brun entra dans leur champ de vision. Heureusement, il discutait avec des amis et il ne l’aperçut pas passer. Sans se faire prier, elle avait accéléré le pas.

 La chef de la tribu les accueillit à la tente principale. Ils louèrent la fête de la veille, expliquant qu’ils n’avaient pas connu de telles sensations depuis longtemps. Ce qui n’était pas tout à fait faux. Guad orienta ensuite la discussion sur la poursuite de leur voyage. Fara leur recommanda de partir avec les jeunes de la tribu qui allaient accomplir la Shaeira de cette année. Le point de passage suivant se trouvait un peu à l’ouest de la destination des Saths qu’ils allaient accompagner. Le départ était prévu le jour même après le déjeuner.

 Après avoir réglé quelques détails liés à leur itinéraire et aux vivres, les deux amis rejoignirent Dux qui s’était posté à l’orée du campement, sa tête d’acier tournée vers l’ouest. Ils s’assirent ensemble et discutèrent de différents sujets avec le golem, leur permettant ainsi de faire passer le temps et de ne pas penser aux maux de la veille. Ils mangèrent à l’écart pour profiter de ce moment de calme, comme de vieux compagnons qui renouaient après ne pas s’être vus depuis une longue période.

 Quelques heures plus tard, Akara les rejoignit pour leur signifier que les membres de la Shaeira étaient prêts pour le départ. Le groupe de vingt-quatre personnes, Dux compris, se mit en marche dans la demi-heure qui suivit. Guad ne reconnut aucun des saths présents, ce qui lui évita de se sentir mal à l’aise. Il se mit simplement à espérer que personne n’aurait entendu parler de son comportement pendant la fête. Fara avait annoncé dix jours de trajet, le chemin allait être long dans ce désert gris.

 La première journée se déroula sans encombre. Le rythme était bon et les jeunes motivés. Ils avaient tous troqué leurs pagnes pour des tenues plus adaptées au voyage qui couvraient tous le corps, au grand soulagement de Guad. Il avait assez vu de chair à l’air libre pour le moment, il se devait de rester focalisé sur le périple qui les attendait. En plus de leurs nouveaux habits, les saths étaient tous équipés d’un écu et d’une poignée de javelots accrochés dans le dos, leur arme fétiche.

 Fara avait proclamé qu’Akara guiderait le groupe durant ce voyage. Toujours vêtue de son voile sur le visage, elle ouvrait la marche, tandis que le duo d’élus, accompagné par leur golem, la fermait. Lorsque le soir arriva, les conversations demeurèrent chaleureuses et la bonne humeur contagieuse. Piochant dans ses souvenirs, Guad tenta de conter leurs aventures aussi bien qu’aurait pu l’effectuer Locro à sa place. Évidemment, il ne réussit pas à faire aussi bien, mais les jeunes guerriers dévorèrent les histoires, les yeux brillants d’admiration.

 Le deuxième jour, une première créature fit son apparition. Un ver des sables sortit brusquement de derrière une dune pour se ruer sur la troupe. Le monstre dépassait les dix mètres de long et était large comme deux chevaux côte à côte. Il possédait une bouche où trônaient deux rangées de dents circulaires aussi aiguisées qu’une lame neuve. La première attaque fut évitée aisément par les guerriers et guerrières du clan Sath et par le trio d’arrière-garde. À peine remis sur pied, Guad dégaina son épée, prêt à en découdre.

 Le ver se retourna pour lancer son assaut suivant, mais des dizaines de lances lui criblèrent le corps avant même qu’il puisse tenter quoi que ce soit. Il s’immobilisa, puis chuta lourdement dans le sable. La troupe entama des cris de joie en l’honneur de cette victoire. Les guerriers allèrent récupérer leurs armes sur le cadavre du monstre.

 Guad avait été surpris par la faiblesse de cette immense créature, mais Akara lui expliqua le soir que leurs lances avaient été imprégnées d’un poison de scorpion qui vivait dans les failles rocheuses au sud du village. Vu la vitesse où le ver avait chuté sous l’effet de la substance, Guad imprima dans sa tête qu’il devrait faire très attention à l’avenir aux lancers de ses compagnons de voyage. Une éraflure par mégarde suffirait à le condamner.

 Au quatrième jour, les choses commencèrent à se compliquer. Les jeunes saths se plaignirent de la chaleur qui les faisait transpirer abondamment et les empêchaient de dormir. Des cernes se dessinaient sous leurs yeux et la fatigue se sentit dans le rythme du groupe. La température de ce désert n’avait pourtant pas changé.

 — C’est étrange tout de même, murmura Kareth à son ami, cela ne fait que quatre jours que nous sommes partis et ils ont déjà l’air à bout.

 — Il y a un truc qui cloche, acquiesça Guad. Nous les avons vus combattre avant-hier, avec de telles conditions physiques, ils devraient être plus en forme que cela.

 Un grondement fit trembler la terre, puis le sable se souleva de chaque côté et derrière la colonne de voyageur. Trois vers géants se ruèrent sur leurs proies.

 — Défendez-vous guerriers, hurla Akara qui venait d’esquiver l’attaque. Que la Gueule guide votre lance !

 De petits groupes se formèrent pour faire face aux trois bêtes. Deux combattantes de grandes tailles rejoignirent le trio arrière, lances déjà en main. Le ver leur fonça dessus et tous évitèrent les mâchoires acérées d’un bond sur le côté. Guad et Kareth en profitèrent pour entailler la peau du monstre aussi profondément que possible. Ils ne réussirent à infliger que des égratignures, mais ils restaient confiants. Après la première bataille qu’ils avaient observée, le duo avait demandé à Akara d’imbiber leurs armes du même poison de scorpion que les guerriers du désert utilisaient.

 Le ver émit un hurlement strident avant de s’enfoncer dans le sable. Comprenant ce que cela impliquait, Guad et Kareth se mirent dos à dos pour surveiller les possibles angles d’attaque tout en gardant un œil au niveau de leurs pieds. Une bosse se forma devant le jeune homme qui s’apprêta à recevoir l’assaut.

 — Ici, de mon côté ! lança-t-il à ses compagnons.

 La tête du monstre surgit du sol, puis s’écrasa dans le sable, immobile. Le voyageur jeta un regard interrogatif à Dux.

 — Il est bien mort, annonça le golem.

 Guad se redressa et observa autour de lui en tendant l’oreille. Les combats avaient cessé. Le petit groupe rallia le reste des guerriers et put constater que les autres vers étaient bien vaincus.

 — Deux morts, indiqua Akara en voyant les élus la rejoindre. Ils ont été négligents et n’ont pas fait assez attention. J’espère que cela servira de leçon aux autres.

 — Cela veut dire que nous croiserons encore des vers des sables ? demanda Kareth.

 — Si ce n’était que ça, répondit la sath, mais il y a bien pire. Plus nous approcherons de notre destination, et plus le danger deviendra grand.

 — Quelle merveilleuse nouvelle, ne put s’empêcher de commenter Guad.

 Le soir du cinquième jour, Akara se joignit aux élus pour manger et discuter. Même lorsqu’elle se nourrissait, la guide ne retirait pas son voile, mais l’entrouvrait seulement pour passer les aliments. La curiosité rongeait Guad de l’intérieur, mais il n’osait poser de questions, de peur de paraitre impoli.

 — Pourquoi portez-vous un voile en permanence, dame Akara ? demanda Dux alors qu’elle prenait un morceau de viande de vers cuit.

 Un golem ne connaissait sûrement pas le principe du tact, mais il semblait par contre que la curiosité ne lui était pas un concept étranger.

 — C’est parce que je suis la guide Sath, répondit Akara. Mon visage possède un caractère sacré auprès de la Gueule. Seule Fara, notre chef, a le droit de le voir.

 — Mais le reste de votre corps ne l’est pas ? poursuivit Dux. Vous êtes en pagne toute la journée en temps normal, n’est-ce pas ?

 Akara fixa son interlocuteur et se mit à rire sans retenues. Guad se passa une main sur le visage. Décidément, son ami d’acier semblait vouloir à tout prix marcher sur un terrain glissant. Pourtant, une interrogation germa dans l’esprit du jeune homme. En tant que messager divin, Dux ne devrait-il pas savoir tout ça ?

 — Il est vrai que nous n’avons pas vraiment le même concept de pudeur d’après ce que m’avait expliqué Kareth. En effet, mon corps, comme ceux des autres, n’a pas de valeur sacrée. Nous ne voyons pas d’intérêt à le cacher, nous préférons montrer que nous en sommes fiers.

 Le golem hocha la tête, probablement satisfait de la réponse.

 — Akara, j’aurais aussi une question pour vous, dit Kareth.

 — Je vous en prie, élue.

 — Que se passe-t-il avec les jeunes saths ? Ils ne semblent pas en forme et n’arrêtent pas de se chamailler. Encore ce matin, des bagarres ont éclaté. Est-ce que tout va bien ?

 — Avez-vous goûté le nashwa ?

 La question surprit les voyageurs. Guad se mit à frotter sa barbe distraitement alors que Kareth hocha la tête avec un brin d’hésitation.

 — C’est un aliment un peu spécial que nous avons l’habitude de consommer dans notre clan.

 — Fara m’a dit qu’il se nommait le « fruit de l’amour » et qu’il procure un profond sentiment de bien-être et aide à repousser ses limites.

 — C’est vrai, continua Akara, mais pas seulement. Nos ancêtres l’appelaient le « fruit des opposés ». Lors de sa consommation, vous vous sentez en pleine forme et heureux pendant plusieurs heures. Mais une fois que l’effet s’est estompé, c’est tout le contraire. Le bien-être laisse place à l’anxiété. L’énergie disparait derrière une fatigue interminable. En fonction de la quantité ingérée, cela peut aussi avoir de gros impacts physiques. Dès qu’ils atteignent leur douzième année, les jeunes Saths commencent à se nourrir régulièrement de nashwas. Pour vous dire, un adulte en mange entre quatre et cinq par jour.

 — Ces guerriers sont donc en train de subir le revers de la médaille, conclut Guad, médusé.

 — Mais pourquoi faire ça ? demanda Kareth. Je veux dire, en quoi est-ce nécessaire d’en consommer autant. Et si c’est difficile de s’en passer, pourquoi ne pas en avoir pris pour le voyage ?

 — Telle est la volonté de la Gueule, répondit Akara. Le nashwa est le fruit de son cœur, alors nous nous nourrissons de sa bonté. Ce voyage représente une épreuve pour nos plus jeunes afin de prouver qu’ils méritent son amour.

 Guad voulut intervenir, mais s’en empêcha. Lui qui réalisait au péril de sa vie un périple au nom de la Gueule, sans en comprendre les aboutissants, n’était pas mieux placé pour les juger.

 — Et vous, Akara ? continua l’élue. Vous ne semblez pas affecté par le manque.

 — Notre chef Fara et moi n’avons pas le droit de nous nourrir du fruit de l’amour. L’épreuve que traversent nos jeunes est un combat perpétuel pour nous.

 — Mais si vous n’en avez pas mangé, intervint Dux, dans ce cas-là, vous n’en subissez pas le contrecoup.

 La guerrière voilée pencha la tête dans un instant de réflexion.

 — Je comprends ce que vous voulez dire messager, mais la réalité n’est pas si simple. Résister à la tentation du plaisir lorsque tous y succombent est une tâche bien plus difficile qu’il n’y parait.

 Le golem hocha la tête en approbation.

 Le reste du repas se déroula dans une ambiance agréable. Akara posa par la suite beaucoup de questions pour en apprendre plus sur les élus, d’où ils venaient, ce qu’ils avaient vu… Lorsque Guad se coucha dans le sable pour dormir, la fatigue accumulée le transporta dans le monde du sommeil à grande vitesse.

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