Chapitre 21

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 Guad sortit de la tente qui lui avait été assignée, habillé d’un simple pagne. Après l’avoir aidé à se nettoyer grâce à une jarre remplie d’eau, le guerrier qui l’accompagnait l’avait sommé de ne pas remettre ses vêtements de voyage. Prétextant qu’il s’agissait là de la tenue de leur peuple, il allait devoir s’y accoutumer et faire comme les autres hommes pour cette soirée. Heureusement pour lui, les températures demeuraient douces dans ce désert.

 — Où est Dux ? demanda Guad au sath à ses côtés.

 — Le messager divin discute avec notre chef, répondit-il d’une voix de ténor, elle souhaitait s’entretenir avec lui.

 — Elle ne participera pas aux festivités ?

 — Non, son rôle le lui interdit.

 Cette idée étonna l’élu. Elle avait le droit de se balader en simple pagne, mais pas d’assister à un banquet à l’honneur avec les siens ? Étrange. À la pensée de l’allure de Fara, dont la tenue ne cachait aucunement sa poitrine, Guad sentit le rouge lui monter à la tête. Toutes les femmes qu’il avait vues depuis son arrivée ici portaient ce type d’habits, donc son visage n’allait probablement pas changer de couleur de sitôt.

Attends deux secondes…

 Guad se mit à réfléchir en se grattant la barbe qui avait bien poussé depuis le début de son voyage. Si tout le monde revêtait la même tenue et qu’on l’avait forcé à respecter ce principe, alors Kareth…

 Malgré le bruit ambiant des hôtes qui commençaient la soirée, il entendit des bruits de pas dans le sable et pivota la tête. Il aperçut justement son amie, seulement habillé du pagne des Saths, la poitrine non couverte. Guad détourna son regard, mais Kareth le vit et ne put s’empêcher de se tourner en se cachant de ses mains.

 — Pas de commentaires, asséna-t-elle d’un ton sec.

 — Aucun, assura son compagnon aussitôt.

 Akara, qui la suivait, se mit à rire à gorge déployée.

 — Ne te couvre pas, élue ! lança-t-elle à Kareth en la prenant par la main. Sois fière de ton corps et de qui tu es. Ici, personne ne te jugera, tu es aussi belle que toutes nos sœurs. Sous le regard de la Gueule, tous ses enfants sont magnifiques.

 Kareth hocha légèrement la tête, mais ne put s’empêcher de se rétracter sur elle-même. Elle fit signe à Guad de la main pour lui faire comprendre de partir devant, elle ne souhaitait sans doute pas avancer ainsi vêtue sous ses yeux.

 — Au fait Akara, hésita le voyageur en commençant à marcher, votre chef a dit que nous allions fêter la Shaeira aussi ce soir. Qu’est-ce que c’est ?

 — Il s’agit d’un rite de passage de notre clan. Tous les ans, à la même période, les jeunes qui atteignent leurs quinzièmes années doivent quitter le village pour accomplir une tâche en honneur de la Gueule. Leur départ a lieu demain, alors nous leur offrons un grand banquet.

 Les cris de joie fusaient à travers le village. Devant la tente principale se trouvaient de longues tables de bois débordant de nourritures et boissons. Guad ne reconnut aucun mets, cependant la faim le tiraillait assez pour qu’il veuille engloutir une bonne partie de ce qui se profilait sous ses yeux.

 Il n’arrivait toujours pas à se faire à l’idée que son champ de vision actuel se résumait à une abondance de nourriture et de personnes presque nues. Le fait qu’il devait y avoir une centaine d’hommes et de femmes ne l’aidait pas à passer outre.

 Kareth et lui furent assis côte à côte à une table où se trouvait également une dizaine de jeunes gens. Guad supposa qu’il s’agissait de ceux qui allaient participer à la fameuse Shaeira.

 — Je ne suis pas sûr que ce fut un bon choix de venir finalement, chuchota Kareth à son compagnon.

 — Nous aventurer dans le désert sans provisions aurait été du suicide, lui répondit-il, tu nous l'as fait remarqué toi-même. Mais je comprends pourquoi tu dis ça.

 Bien que côte à côte, ils se tournaient légèrement le dos. Ils ne pouvaient se résoudre à se voir habillés de la sorte.

 — Souhaitez-vous quelque chose, élu ? demanda une voix suave près de l’oreille de Guad.

 Il se retourna et fit face à la femme qui lui parlait. Elle avait un joli visage et des cheveux très courts. Mais le regard de Guad s’attarda un instant sur la petite poitrine de son interlocutrice avant de revenir à ses yeux noisette. Son esprit enregistra ce qu’il venait de faire la seconde suivante. Si la honte aurait pu tuer, il ne serait plus que poussière à cet instant.

 — Je ne connais rien de vos plats et coutumes, s’embrouilla le jeune homme. Je ne sais pas bien par quoi commencer.

 Elle se rapprocha de lui, attrapa un des nombreux fruits sur la table et le posa dans la main de Guad.

 — Ceci est un nashwa, dit-elle, je vous conseille de commencer par celui-ci. C’est une tradition chez nous de débuter un repas de fête avec, il suffit de le laisser fondre sur la langue.

 Guad observa un peu plus attentivement l’aliment en question. Rond et de la taille d’un œil, le fruit vert était strié de petites nervures jaunes.

 Sentant le regard insistant de la jolie sath, il enfila le nashwa dans sa bouche. Le goût était sucré et légèrement acide dans une combinaison que Guad n’avait jamais expérimentée de sa vie. Un fort arrière-goût vint gâcher la douceur première et le fit tousser de surprise. La Sath eut un rire léger, avant de lui sourire et de s’éloigner.

 Du coin de l’œil, il vit que sous l’instance d’un garçon bien bâti, Kareth était également en train de tester le drôle de fruit. Il ne put se retenir de pouffer en constatant la grimace qu’elle tira après son essai. Celle-ci le foudroya instantanément du regard, auquel il répondit d’un petit sourire narquois. Il se sentait bien et n’avait pas envie de détourner les yeux à cause d’une gêne idiote.

 — Bah alors, on n’arrive pas à manger un minuscule nashva de rien du tout ? railla-t-il.

 — On dit nashwa, espèce d’imbécile, gloussa-t-elle. Tu me lances ça, mais tu te crois capable d’en prendre un autre peut-être ?

 Guad se saisit directement d’un nouveau fruit qu’il posa sur sa langue. Il leva un sourcil en regardant Kareth, un air de défi accroché au visage. Il réussit même à conserver son air provocateur lorsque l’arrière-goût arriva.

 — Facile, ricana-t-il.

 Kareth, piquée au vif, attrapa à son tour un nashwa et le mit dans sa bouche. Elle ne parvint cependant pas à retenir une grimace de dégout, ce qui ne manqua pas de faire rire Guad. Mais au lieu de l’engueuler, l’élue l’accompagna dans son hilarité.

 Depuis combien de temps n’avaient-ils pas juste apprécié le moment, le jeune homme n’aurait su le dire. Il se sentait bien, extrêmement bien à cet instant et il ne souhaitait pas que ça change. Son regard se balada ouvertement sur le corps de Kareth, une assurance nouvelle l’habitant.

 — Idiot, lança-t-elle en souriant.

 Ils rirent de concert et se mirent à piocher sur la table les différents aliments à leur portée. Guad dévora la viande, profitant de chaque bouchée comme s’il n’avait jamais mangé de tels plats. Il s’empiffra sans retenues.

 Autour d’eux, des gens chantaient et dansaient ensemble à la lueur de torches presque aveuglantes. Il se dégageait de cette soirée un sentiment de liberté qu’il lui semblait n’avoir jamais connu jusque-là. Il n’y avait plus de limites.

 Un homme se rapprocha d’eux, et emmena Kareth danser avec lui. Puis la jeune demoiselle aux cheveux courts rejoignit Guad avec une compagne, cette dernière ayant une poitrine opulente partiellement occultée par une longue crinière longue et châtain. Il se laissa entrainer et se mit à danser de tout son saoul.

 Son cœur battait à toute allure. Il regardait avec avidité les femmes qui évoluaient sous ses yeux, sans même chercher à le cacher. Après s’être abandonné au péché de la gourmandise, celui de la luxure hantait son esprit désormais. Tant de femmes, toutes si belles. Les torches tournaient autour de lui, les chants l’emportaient sur des pas de danses qu’il ne connaissait pas, mais qu’il rejoignit tout de même. Il se donna à fond pendant ce qu’il lui sembla être des heures avant que la fatigue ne frappe enfin ses jambes. Il commença à s’éloigner, mais les deux tigresses ne lui offrirent pas l’opportunité de récupérer son souffle et le prirent en tenaille.

 — Laisse-nous te montrer ce que valent les femmes chez nous, chuchota celle aux cheveux courts d’une voix suave.

 — Tu ne le regretteras pas, poursuivit la deuxième sur la même intonation.

 Elles l’embrassèrent, l’une après l’autre, avant de le tirer par la main. Guad se mit à rire bêtement et se laissa emmener entre les tentes.

 — J’ai hâte que tu me révèles ce que tu sais faire Dalga, dit-il en regardant le déhancher de celle qui le guidait.

 — Dalga ? répondit la femme à forte poitrine. Tu dois te tromper, moi c’est Anya. Et elle, Asheara.

 — Hein ?

 Guad pencha la tête, confus. Pourquoi ce nom lui était-il venu instinctivement ? La fatigue peut-être. Ils approchaient de sa tente, mais son esprit ne se départit pas de ce nom. Dalga.

 Ne faisant plus attention, il trébucha et s’effondra par terre. Il avait transpiré abondamment ce soir, si bien que le sable se colla à sa peau. Il se releva gauchement avec la tête qui tournait.

 — Ça va ? demanda Asheara devant lui.

 Mais ce ne fut pas la silhouette de la Sath aux cheveux courts qu’il vit devant lui. C’était une jeune femme rousse aux yeux noisette et à la peau laiteuse. Dalga. Ce nom résonna en lui avec une telle force qu’il crut qu’on venait de le lui hurler dans les oreilles. Guad se mit à regarder autour de lui dans la panique la plus totale.

 — Élu ? Est-ce qu…

 Mais il ne lui laissa pas l’opportunité de terminer. Le voyageur se précipita à toute allure dans le sable, hors des tentes. Il courut ainsi une poignée de minutes avant de s’allonger sur une butte qui surplombait le village. Guad avait du mal à respirer et son cœur ne s’était toujours pas calmé.

 Dalga. Il se souvenait. Il ne comprenait pas comment il avait pu l’oublier au premier abord, mais maintenant, tout semblait plus clair. Il se mordit si violemment l’intérieur des joues qu’il sentit le goût du fer dans sa bouche. Alors qu’ils avaient même prononcé les vœux des mariés lors de son départ, il l’avait mis de côté à peine s’était-il retrouvé avec d’autres femmes.

 Des larmes perlèrent au coin de ses yeux. Quel homme pitoyable il faisait ! Il ne méritait pas l’amour qu’elle lui avait donné. Sur cette pensée, les regrets se déchainèrent dans son cœur, déversant des souvenirs refoulés des jours passés.

 Dalga, Ander, Maruti, Locro. Il se mit à hurler son désespoir dans le vide du désert.

 — Guad ?

 L’intéressé se releva lentement, comme si toutes ses forces avaient fui en même temps que ses larmes. Il leva la tête et vit Kareth, habillé de sa tenue de voyage, ainsi que Dux derrière elle. Elle avait le front plissé par l’inquiétude et la fatigue.

 — Guad, tu vas bien ? demanda son amie. Deux saths ont dit que tu étais parti en courant vers le désert comme un fou furieux. Je t’ai cherché pendant des heures avant que Dux ne vienne m’aider à te trouver.

 — Je… Je vais bien. Je crois que j’ai déraillé durant la fête. Je… J’ai failli commettre l’irréparable.

 Kareth le prit dans ses bras avec tendresse. Il se mit à trembler, mais résista au chagrin qui était revenu à la charge.

 — Ce n’est pas de ta faute ce qu’il s’est passé aujourd’hui, dit son amie en prenant sa tête entre ses mains, nous n’étions plus nous-même.

 — Comment ça ?

 Dux s’avança et montra dans sa paume un petit fruit vert rayé de jaune.

 — Ceci est un nashwa, dit le golem de sa voix monocorde, aussi appelé le fruit de l’amour d’après Fara. Sa consommation présente de nombreux effets comme une accélération du rythme cardiaque, un sentiment de bien-être constant et une impression de ne plus avoir de limites.

 — Tu en perds la tête, conclut l’élue.

 Guad regarda Dux, secoué par ce qu’il venait d’entendre.

 — Je… Je vois. Cela explique beaucoup de choses. Et toi Kareth, comment vas-tu ?

 — Mieux, lui dit-elle, bien mieux. La panique de ta disparition m’a fait redescendre sur terre. Enfin, j’ai tourné en rond un bon moment à ta recherche, mais Dux est venu m’aider.

 Guad lui rendit son sourire. Il se sentait un peu nauséeux maintenant, mais ce n’était pas la fin du monde. Il avait perdu le contrôle de lui-même l’espace d’une nuit, à cause de ce fruit étrange.

 — Par rapport à hier soir et mon comportement, je…

 — N’en parlons plus, coupa Kareth en rougissant, je ne suis pas vraiment fière de ce que j’ai pu accomplir non plus alors faisons comme si rien n’était arrivé. D’accord ?

 — Ça me va, soupira Guad en se laissant retomber sur le dos. Et du coup, quel est le programme maintenant ?

 — Un peu de repos nous fera le plus grand bien.

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