Chapitre 19

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 Les hurlements s’estompèrent en même temps que la paroi se referma. Guad se laissa tomber au sol. Après cette journée, son physique comme son mental atteignaient leurs limites et il en allait de même pour son amie. Ils s’accordèrent pour se reposer au début du tunnel afin de pouvoir souffler. Le puits de vie leur avait permis de regagner en énergie, mais ils n’étaient pas complètement rétablis de leur séjour passé aux cachots. Dux leur prépara un camp de fortune et récupéra des cosses minérales pour boire et se nourrir. Près du feu, Kareth énonça une prière pour Aenan, puis une autre pour Locro, avant de se murer dans le silence.

 Guad se saisit du pendentif qu’il avait pris sur la goule et le leva à la lueur de la lumière des flammes. Alors c’était bien ce qu’il pensait…

 — De quoi s’agit-il, maitre Guad ? demanda Dux qui s’était assis entre les deux élus.

 Kareth regarda dans sa direction, visiblement intéressée par la réponse.

 — C’est un médaillon. Celui de ma mère…

 — Tu plaisantes ? lança la jeune femme, les sourcils froncés. Qu’est-ce qu’il aurait fait sur ce monstre ?

 — Quand nous avons vu cet originel, tu n’as rien remarqué de spécial ? (Kareth fit non de la tête.) Moi si. J’avais l’impression qu’elle attendait devant l’entrée du tunnel.

 Kareth se passa les mains sur le visage, comme pour chercher à se réveiller. Elle n’en pouvait plus.

 — Je ne comprends pas, dit le golem. Où voulez-vous en venir ?

 — Cette goule, je pense que c’était ma mère Dux. Elle attendait le retour mon père.

 — Qu’est-ce que tu racontes Guad, intervint Kareth. D’où sors-tu cette idée saugrenue ?

 Le jeune homme se laissa aller sur le dos et regarda au-dessus de lui les champignons phosphorescents qui parsemaient le plafond. Leur lueur bleutée se répercutait partout, Guad n’aurait pas pu lui échapper pour s’enfoncer dans les ténèbres, même s’il l’avait voulu.

 — Si tu te souviens bien, Zinlar a donné une précision sur l’origine du virus qui a infecté Locro.

 — Le fait qu’il aurait été blessé ?

 — Je ne m’en rappelais pas sur le moment, mais ça m’est venu d’un coup en observant Locro. Lorsqu’il m’a sauvé du javelot des démons volants, les varnas, il a été légèrement touché au flanc. Exactement là où il possédait la trace noire.

 — Tu veux dire qu’une simple coupure aurait eu de telles conséquences ? gémit Kareth. Ce n’est pas possible…

 Guad se força à desserrer la mâchoire, c’était sa faute si Locro avait été blessé.

 — Ce n’est hélas pas tout, continua Guad, las. De ce que nous a expliqué ce médecin, il faut être infecté par un originel pour se transformer. Et pour devenir un originel, nous savons maintenant qu’il suffit d’une simple coupure par une arme de varnas. D’après ce que nous a dit Aenan, ce fameux virus qui transforme en goule est apparu il y a douze ans. Or, je pense que tu te souviens ce qu’il s’est passé il y a douze ans exactement.

 Guad, allongé par terre, ne pouvait pas voir son amie, mais il devina à son silence qu’elle avait compris la suite.

 — Le départ de nos prédécesseurs… murmura-t-elle avant de continuer. Tu veux donc dire que l’un d’eux a aussi été touché par les monstres ailés ?

 — Tout à fait. Un ou plusieurs. Ils ont ensuite rejoint la ville de Cadarnle où leur guide s’est régénéré. Pendant ce temps, le ou les infectés ont dû voir leur état empirer. Ne pouvant pas terminer le périple, les autres élus sont partis sans eux et se sont rendus directement au passage, escortés par le père d’Aenan notamment. Pour ce qui est de ceux qui n’ont pas pu suivre, les gens d’ici ont dû tenter de les soigner comme ils pouvaient… jusqu’à la transformation.

 Guad se sentait vidé de toute énergie, mais il continua.

 — Les élus sont les uniques humains qui peuvent voyager entre les bulles grâce au golem qui les guide, ce qui confirme mon hypothèse. (Il brandit le médaillon au-dessus de sa tête.) Maintenant que nous avons compris cette histoire, le fait que cet originel possédait ce pendentif ne peut signifier qu’une chose. Il s’agissait de toute évidence de ma mère. La femme qui m'a donné la vie, mais également celle qui déclencha l’arrivée de ce virus dans la bulle de Trafod.

 Les larmes vinrent toutes seules. Alors qu’il s’était résolu depuis son plus jeune âge à ne jamais retrouver ses parents, voilà qu’il venait de voir sa mère mourir sous ses yeux, sans se douter un instant qu'il s'agissait d'elle. Il aurait même pu être celui qui lui avait pris la vie si elle s’était retournée de l’autre côté.

 — Sais-tu le comble de tout ça, Kareth ? bredouilla Guad dans son chagrin. C’est que sa transformation a sûrement été le déclencheur de toutes ces horreurs qui ont frappées les habitants de Trafod. Et même si ce n’était pas arrivé il y a douze ans, cette pandémie aurait eu lieu aujourd’hui par notre faute. Nous aurions amené le premier originel, comme l’ont fait nos prédécesseurs. Nous aurions apporté les graines de la destruction avec nous.

 La jeune femme ne lui répondit pas, mais il l’entendit retenir des sanglots elle aussi. Le poids de tout ce qui s’était passé depuis plusieurs jours écrasait leurs épaules.

 Le voyage se déroula dans un calme électrique. Guad portait désormais le médaillon de sa mère et passait son temps à fixer le vide. Il répondait par politesse aux questions de Dux, mais se murait dans le silence dès que possible. Kareth de son côté avait troqué les larmes pour la colère. Elle bouillonnait intérieurement et avait commencé un entrainement à l’épée avec le golem en guise de partenaire. Guad était persuadé qu’elle voulait lui dire quelque chose, il avait vu ses regards en coin. Mais elle se retenait, pour l’instant.

 Le tunnel avait changé, il n’y avait plus de champignons lumineux, mais de longues veines émeraude assuraient maintenant l’éclairage. Elles parcouraient les parois, le sol et le plafond, dans un entremêlement tortueux, permettant ainsi d’avoir une visibilité excellente sur le chemin.

 — Nous n’aurions pas dû laisser Locro aux mains de ce fou.

 Après avoir passé ces derniers jours à éviter la conversation, Guad fut surpris d’entendre son amie. Cela n’avait pas été compliqué cependant de comprendre les raisons de sa colère.

 — Nous n’avions pas le choix.

 — Pas le choix ? trancha-t-elle. Nous ne pouvions pas le sauver, mais nous aurions au moins pu abréger ses souffrances.

 Il la comprenait, mais ce ton sec avec lequel elle lui parlait lui tapa sur les nerfs.

 — Des centaines d’humains seront peut-être soignés grâce à notre décision, nous avons choisi ce qui était juste.

 — Peut-être, railla la jeune femme, ou peut-être pas du tout. Nous ne connaissons même pas ce Zinlar, rien ne nous dit qu’il ne se sert pas de Locro pour autre chose !

 — Il était condamné, grinça Guad en retour, nous avons permis à sa mort d’avoir un sens.

 Dux leva les mains, pour tenter d’apaiser la conversation.

 — Nous ? cria Kareth. Tu as pris cette décision ! J’étais contre, c’est toi qui as accepté qu’il finisse ainsi ! Nous aurions pu lui épargner de souffrir davantage.

 — Maitr… essaya le golem.

 — Et pourquoi rejettes-tu la faute sur moi, hein Kareth ? Pourquoi ne t’en prends-tu pas à l’investigateur de tout ça, à l’être qui écrit nos destins et choisit qui doit vivre et qui doit mourir ?

 La surprise transperça le voile de la colère sur le visage de l’élue l’espace de quelques secondes.

 — La Gueule est omnisciente pas vrai ? continua Guad presque en hurlant. Dans ce cas-là, explique-moi pourquoi Locro s’est-il transformé en un tel monstre ? Lui qui était un fervent croyant, pourquoi ? Depuis que mes parents m’ont abandonné, je doute jour après jour de la bonté de cette divinité, alors pourquoi est-ce mon ami et pas moi qui a fini dans cette situation ? (Il brandit le médaillon qu’il tenait au cou.) Pourquoi ma mère aussi s’est-elle retrouvée en goule ? Pourquoi le peuple de Trafod qui était si croyant s’est fait massacrer de la sorte ? Alors ? Tu ne sais pas me répondre ?

 Guad était essoufflé. Il venait de lâcher tout ce qu’il avait sur le cœur sur son amie sans aucune considération. Crier ainsi ne lui apporterait pas plus d’explications, il le savait, mais il n’avait pu s’en empêcher. Sa rage s’étant tassée, il se rendit compte qu’il avait été trop loin.

 — Je suis désolé. Je n’aurais pas dû m’emporter de la sorte.

Kareth, qui était restée silencieuse pendant la déclaration de son ami, prit une grande inspiration et remit son sac en place. Elle réalisa un signe de prière rapide avant de répondre, au bord des larmes :

 — C’est moi qui suis désolée. Écoute, je…

 — Laisse tomber, dit Guad en se détournant d’elle, nous sommes à bout de nerfs. Tu voulais dire quelque chose, Dux ?

 — Je pensais que vous préfèreriez faire une pause, dit le golem. Vous semblez avoir besoin de vous arrêter un moment.

 — C’est inutile, nous ferions mieux de continuer notre route. Rester dans ce tunnel ne nous apportera rien.

 Le jeune homme n’attendit pas de réponse et avança.

 Au septième jour, ils atteignirent le passage suivant. Combien d’étapes leur restait-il encore ? Guad n’en avait aucune idée, Dux n’avait pas su lui dire. Le voyageur ne put qu’espérer qu’il s’agisse de la dernière. Il était fatigué de tout cela.

 Le golem ouvrit la paroi et le trio s’avança sur cette nouvelle terre.

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