Chapitre 17

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 Le petit groupe suivit Dux en direction du puits de vie. Ils croisèrent plusieurs hommes au sol, assommés sans ménagement. Le golem n’y avait pas été de main morte.

 Arrivés dans la salle, les trois prisonniers se ruèrent vers l’étendue d’eau. Ils burent jusqu’à ce que leurs soifs soient complètement étanchées. Le liquide se déversa dans la gorge de Guad, se faufilant dans son corps et lui redonnant l’énergie qui lui manquait. Cette sensation fut si intense qu’il eut l’impression d’être vivant pour la première fois de son existence. Une fois rassasié, Guad s’assit lentement pour se laisser le temps de s’en remettre. Il s’était abreuvé trop vite, son estomac gargouillait si bien que l’élu se demandait s’il n’allait pas tarder à ressortir ce qu’il venait juste de boire.

 L’effet du puits de vie se fit sentir rapidement. D’abord comme une chaleur douce qui se propage dans tout le corps, puis en une série de petits crépitements dans tous les membres. En quelques minutes seulement, Guad se sut en pleine forme, prêt à foncer à la recherche de son ami. Il constata que Kareth et Aenan allaient bien mieux, ce qui était un euphémisme dans le cas de l’ancien capitaine. Le vieillard fatigué aux traits tirés s’était métamorphosé en homme adulte au visage marqué par la détermination. Il restait toujours extrêmement maigre, mais il était prêt pour s’évader.

 — Dépêchons-nous, pressa Guad. Dux, guide-nous vers Locro.

 Sur le chemin pour sortir du sous-sol, ils rencontrèrent quelques gardes. Le golem, rapide et puissant, les neutralisa les uns après les autres. Aenan en profita pour récupérer de l’équipement et se revêtir d’une tenue de soldat. Le capitaine avait opéré une véritable résurrection. Aenan leur indiqua qu’il n’était pas nécessaire de cacher les hommes assommés, il y avait peu de passage dans les souterrains. Il valait mieux faire au plus vite et ne pas perdre de temps. Guad en profita pour ramasser une épée par mesure de précaution.

 Arrivés au sommet de l'escalier, ils se dirigèrent vers la partie ouest du palais. Cette fois, ce fut le capitaine qui guida le groupe pour éviter qu’ils se fassent repérer. Il leur expliqua qu’il était facile de passer inaperçu, car la maladie et les goules avaient emporté tellement de monde que ce bâtiment se révélait désormais bien trop grand pour pouvoir être protégé efficacement. La surveillance des couloirs ne valait plus grand-chose.

 Après une avancée rapide et discrète dans le palais, ils arrivèrent enfin au premier étage, leur destination. Vue de l’extérieur, la pièce ne semblait pas différente des autres : une porte marron avec de nombreuses dorures et un anneau en argent qui servait de poignée. Aenan assura cependant qu’il s’agissait bien de la chambre du médecin, et Dux confirma qu’il ressentait davantage la présence de Locro. Le golem enfonça l’entrée d’une charge de l’épaule, et ils pénétrèrent dans la salle.

 — Qu’est-ce que…

 — Bonjour, Zinlar Iachawr, lança Guad, désolé pour l’irruption, mais nous sommes pressés. Où est Locro ? Et comment va-t-il ?

 Le médecin se mit à se frotter le menton en penchant la tête. Il se trouvait devant une table haute qui devait lui servir de plan de travail. Il y avait de nombreuses fioles en verre, des pots bourrés d’herbes ainsi que quelques livres ouverts, remplis de marque-pages. Une légère odeur vint irriter le nez de l’élu, sans doute émis par une des expériences de Zinlar.

 — Je vois, le golem s’est réveillé et vous a permis de vous enfuir. Voilà qui est formidable.

 — Où. Est. Locro ? articula le jeune homme.

 Son regard se détourna un instant. Il se racla la gorge et releva la tête.

 — Hum. Eh bien, vous devriez retirer le drap juste à votre gauche, dit-il d’une voix hésitante.

 Dux attrapa le tissu en question et tira dessus, révélant ainsi une cage où se trouvait, accroupi dans un coin, un homme à la peau blanche.

 — Locro ? murmura Kareth, choquée.

 Elle se rapprocha de la cage la main tendue devant elle. Mais ce n’était pas Locro dans la cage, c’était une goule. Elle se précipita vers l’élue en hurlant pour lacérer le bras qui dépassait des barreaux. Heureusement pour Kareth, Dux l’attrapa par les épaules et la projeta en arrière, la mettant ainsi hors de portée des griffes qui tailladèrent le vide avec hargne.

 — Qu’est-ce que ça veut dire ? s’exclama Guad au bord de l’explosion alors qu’il s’avançait vers le médecin.

 — Vous m’avez demandé où était votre ami, je vous ai répondu.

 — C’est une goule !

 — En effet.

 Guad dégaina son épée et pointa la lame vers la gorge de son interlocuteur. Celui-ci ne sembla pas vraiment affecté par la menace et regarda Guad droit dans les yeux.

 — Maitre Guad, intervint Dux. Cet homme dit la vérité, il s’agit bien de maitre Locro dans cette cage.

 — Je ne peux pas y croire ! s’exclama Kareth. Il était seulement malade !

 — Aidez… moi… Kareth… Guad…

 Guad écarquilla les yeux. Ce n’était pas possible !

 — Expliquez-vous Zinlar, lança le voyageur. Vous deviez le soigner, que s’est-il passé ?

 — J’ai en partie menti, je l’avoue. (Il mit ses mains devant lui pour calmer la lame qui se rapprochait un peu trop de sa gorge.) Je ne pouvais pas le sauver, la maladie de votre ami est incurable. Il est ce que j’appelle un originel.

 Il se déplaça de derrière sa table et s’avança vers la cage, l’épée de Guad toujours pointée vers lui. Apercevant quelqu’un venir vers elle, la créature se précipita pour essayer de l’entailler.

 — Regardez au niveau de ses côtes, je vous prie, dit-il en montrant la goule du doigt.

 Sur le flanc gauche se trouvait une blessure boursouflée noire qui contrastait avec la blancheur du reste de la peau. Le sang n’en coulait pas, mais la coupure n’avait pas du tout cicatrisé, au contraire, l’épiderme autour avait pourri.

 — Je ne sais pas d’où cela provient, continua le médecin, mais votre compagnon a été blessé durant votre voyage. C’est cette entaille qui l’a rendu malade. Sa transformation représente la phase finale de ce virus.

 Guad n’en crut pas ses oreilles. Il observait son ami métamorphosé avec de grands yeux écarquillés, les mains crispées sur son arme. Dans le regard du médecin transparaissait de la compassion, mais il n’arrêta pas ses explications pour autant.

 — En fait, on dirait plus une malédiction qu’une maladie. La personne touchée se transforme en l’espace de quelques semaines en une créature dégénérée qui ne pense qu’à tuer. Mais le cas ici présent est plus important qu’une simple goule.

 Guad ne se sentait plus la force d’interrompre Zinlar.

 — Pourquoi ? demanda Aenan, visiblement intéressé par la question.

 — Comme je l’ai dit, il est ce que j’appelle un originel. Pour préciser, contrairement à ce que le peuple de Cadarnle croit, les goules ne peuvent transmettre leur infection à personne. Elles ne savent que tuer, rien de plus. Il existe une exception. Les créatures qui possèdent cette marque noire sur le corps sont les seules à pouvoir transformer d’autres humains, voilà pourquoi je les nomme de la sorte.

 — Pitié… ne m’abandonnez… pas… s’apitoya Locro en se roulant en boule dans un coin. J’ai… Peur…

 — Ne vous laissez pas berner, dit l’homme en blanc, il ne s’agit plus de votre ami. Je vous ai précisé que les goules ne deviennent plus que des animaux guidés par leur instinct de meurtre, mais elles restent très rusées. Celle-ci essaie simplement de vous apitoyer pour que vous vous rapprochiez. Comme sa transformation est récente, elle arrive encore à vous reconnaître et à parler.

 — Vous saviez qu’il était infecté ! rugit Kareth. Dès la première fois aux cachots, vous vous en étiez déjà rendu compte !

 Zinlar se remit à se frotter le menton d’une main distraite.

 — J’en étais quasiment sûr en effet. Mais faute de preuves, je me suis dit que vous finiriez par me prévenir si c’était le cas. Et j’ai eu raison d’être patient, j’avais vraiment besoin d’un tel sujet d’étude. Que vous me l’ayez dit dès le début ou non n’était qu’une question de gain de temps pour moi, je n’aurais pas pu le soigner de toute façon.

 Kareth lui fonça dessus et fit voleter son poing dans la joue de Zinlar. Celui-ci fut projeté au sol, ses carreaux se brisant par terre dans la foulée. Aenan s’interposa et l’empêcha de se déchainer plus sur le médecin.

 — Je suis désolé Kareth, mais laissez-le continuer, intervint le capitaine. Ce qu’il dit est important.

 — C’est malin, geignit Zinlar, je ne vois plus grand-chose maintenant.

 Il se releva en frottant doucement sa joue endolorie.

 — Pour revenir à ce que je vous expliquais, j’avais besoin de lui. Je n’ai jamais eu la chance de pouvoir étudier un originel par le passé. Grâce à lui, j’ai pu progresser dans mes recherches pour trouver un potentiel remède.

 — Et vous avez une piste ? demanda le capitaine.

 — Pas pour le moment, mais cela avance. J’ai cependant besoin de temps.

 — Nous n’avons pas plus de temps à vous offrir, asséna Guad, épée en main, devant la cage.

 — Si vous le tuez maintenant, vous réduisez à zéro les chances de notre peuple d’être sauvé de cette épidémie.

 Mais Guad n’écoutait plus ce que disait le médecin. Il était focalisé sur la créature de l’autre côté des barreaux. En y regardant bien, il arrivait à trouver quelques traits de son ami. La goule se retourna vers lui, et il la vit sourire, dévoilant ces fossettes si caractéristiques de Locro.

 — Tu es… venu… me sauver ? articula-t-elle tant bien que mal. Je t’en… supplie…

 Guad sentit sa gorge se nouer. Il serrait son épée avec une telle force qu’il sentait la douleur le lancer dans sa main.

 — Mon… ami ?

 Le jeune homme se mordit la lèvre inférieure au sang et des larmes perlèrent au coin de ses yeux. Quel sort cruel.

 — Je suis désolé Locro, je ne peux pas te sauver.

 La goule écarquilla les yeux avant de se jeter avec sauvagerie sur les barreaux. Elle frappa de ses griffes, mais n’arriva pas à quoi que ce soit, la cage était extrêmement solide.

 — Il n’y a donc aucune chance pour qu’il soit soigné ? demanda Guad, las.

 — Cela me parait impossible de le traiter en effet, avoua le médecin. Il représente cependant de l’espoir pour les habitants de Cadarnle, je désire trouver un remède aux goules qui ne sont pas des originels grâce à lui.

 — Et nous devrions vous laisser le torturer autant que vous le souhaitez ? cracha Kareth, toujours retenue par le capitaine. Et pour quoi ? Un peuple d’hérétiques qui ont réfuté la Gueule et nous ont condamnés à mourir dans des cachots ?

 Comprenant qu’elle n’arrivait à rien, la goule s’arrêta de ruer. Elle se remit en position fœtale dans un coin et commença à marmonner en sanglotant.

 — S’il… vous… plait… Aidez… moi… Je… ferais… tout…

 — Guad, nous devons mettre un terme à ses souffrances, déclara Kareth. Je n’en peux plus de le voir ainsi…

 Aenan se plaça entre les voyageurs et la cage, arme dégainée.

 — Veuillez m’excuser jeunes gens, mais je ne peux pas vous laisser faire, asséna-t-il.

 — De quel droit vous… l’interpela Kareth avant d’être coupée.

 — Votre ami n’existe plus. Mon peuple a encore la possibilité d’être sauvé, je ne peux vraiment pas me permettre de laisser cette chance disparaitre.

 Kareth tapa du pied par terre et foudroya le capitaine du regard avec un mélange de colère et de haine.

 — Pourquoi ? Ce même peuple vous a emprisonné, alors pourquoi le défendre ?

 — C’est le roi qui a pris cette décision. Il a agi ainsi pour protéger les siens, car il voit la Gueule comme étant un ennemi, une abomination. Pour ma part, j’ai gardé la foi et je pense être récompensé aujourd’hui. La solution à ce cataclysme qui nous a touchés se trouve là. Vous l’avez dit vous-même tout à l’heure, le destin nous a fait nous rencontrer dans cette prison afin de vous accompagner jusqu’ici. Je suis convaincu que mon rôle est de vous empêcher de commettre l’irréparable, je ne vous laisserais pas condamner les derniers survivants.

 — Ne me… laissez pas… ici…

 Guad regarda encore une fois son ami, ou tout du moins, ce qu’il en restait. Il ne voulait pas l’abandonner, mais de là à accepter de sacrifier l’espoir de centaines de personnes, ce dilemme était horrible.

 — Votre périple n’est pas terminé, Guad, Kareth, ne l’oubliez pas. Je vous ai entendu discuter dans la prison, vous ne savez pas où se trouve votre prochain point de passage. Moi oui.

 — Quoi ? s’étonna Guad.

 — Mon père a fait partie de l’escorte de vos prédécesseurs, je connais l’endroit où il les a emmenés. Si vous acceptez de laisser Zinlar continuer ses recherches pour sauver les nôtres, je vous conduirai à votre destination. C’est une promesse.

 Kareth et Guad échangèrent un regard.

 — J’ai une question avant, dit Guad, les mâchoires serrées. Comment comptez-vous faire pour que l’on rejoigne le passage ?

 — Tu n’envisages pas de le laisser f… s’écria Kareth.

 Guad la coupa d’un geste impérieux qui cachait le dégout qu’il ressentait pour la décision qu’il prenait.

 — Nous n’avons pas le choix.

 — Je peux vous aider sur ce point-là, intervint le médecin. Je peux vous emmener à un souterrain qui vous conduira plus au sud. Cela vous permettra de sortir facilement de la ville tout en évitant une bonne partie des goules qui se trouvent dehors.

 — Hâtons-nous alors, nous avons dû tuer des gardes pour venir jusqu’ici, le palais ne va pas tarder à grouiller de soldats à notre recherche.

 — Comment peux-tu consentir à ça, Guad ? cria Kareth.

 Ce dernier baissa les yeux, rangea son épée et respira un grand coup.

 — Si l’on refuse sa proposition, nous devrons nous battre contre Aenan pour pouvoir libérer Locro de son sort. Même à deux, nous devrons faire face à un ancien capitaine donc un vrai bretteur, nous n’aurions aucune chance. Et quand bien même nous l’emporterions grâce à l’aide de Dux, que ferions-nous ? Est-ce qu’on parviendra seulement à s’enfuir de cette ville ? Pour aller où ? Nous n’avons aucune idée de la direction à emprunter pour le prochain point de passage. Crois-moi, je déteste prendre cette décision tout autant que toi. Mais nous devons avancer, Aenan représente notre meilleure chance de nous en sortir. Et peut-être qu’en agissant ainsi, nous permettrons à un peuple d’être sauvé.

 — Tu veux donc sacrifier Locro ? sanglota Kareth.

 — Je ne le veux pas, mais c’est la seule solution. Tu le sais aussi bien que moi.

 La jeune femme fondit en larme et s’écroula à genoux. Guad regarda une dernière fois son ami enfermé. Son cœur battait à tout rompre et son souffle se faisait court. Il se détestait déjà de tout son être de devoir agir ainsi.

 — Aenan, Zinlar, allons-y, lança-t-il à contrecœur. Dux, porte Kareth s’il le faut, nous devons partir.

 — Entendu, répondit le golem.

 Ils sortirent par une porte de l’autre côté de la pièce tandis qu’un hurlement inhumain couvrait les sanglots de Kareth.

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