Chapitre 16

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 Le bruit d’une pierre que l’on frotte sur les dalles de la cellule se fit entendre. Aenan comptait le nombre de jours vécus ici-bas en faisant une marque de manière quotidienne. Guad appréciait ce geste, car il n’aurait pas réussi à suivre le temps qui passait. Lorsque l’on était enfermé dans la pénombre d’un sous-sol humide où rien ne bouge ni ne change, les notions de minutes, heures et journées devenaient abstraites. L’ancien capitaine leur avait expliqué qu’il n’arrivait pas non plus à connaitre l’heure exacte, il se fiait aux venues des gardes qui leur apportaient de l’eau. Dans les cellules du palais, les détenus avaient droit à une carafe d’eau et une miche de pain rance par jour. Ainsi, Aenan savait qu’il avait passé vingt-deux jours emprisonné et que c’était le troisième du côté de ses nouveaux compagnons.

 Le ventre de Guad se mit à gargouiller pour la énième fois. La faim n’arrêtait pas de le torturer. Plus de trois semaines avec seulement un peu d’eau et de pain ? Vu l’état dans lequel l’élu se sentait après uniquement trois jours, cela lui paraissait impossible.

 Il se tourna et observa Kareth qui dormait dans sa cellule. Lorsqu’elle ne discutait pas religion avec Aenan, elle passait le plus clair de son temps à prier la Gueule de les aider. Guad l’avait accompagné quelques fois dans ses rituels, mais cela avait été de moins en moins fréquent. Non pas qu’il avait perdu foi, mais les paroles de son compagnon de geôle résonnaient encore dans sa tête.

 « La foi aveugle ne vaut pas plus qu’une foi inexistante à mes yeux. Se questionner, c’est vivre et avancer. »

 N’est-ce pas lorsque l’on se trouve au pied du mur que notre piété est réellement mise à l’épreuve ? C’est ce qu’on lui avait inculqué à Fatum, mais cette logique ne sonnait plus tout à fait juste à ses oreilles. Ce devrait plutôt être dans ces moments désespérés que nos convictions devraient être récompensées.

 Il soupira, las de ses propres réflexions.

 — Un truc qui ne va pas ? dit Locro en s’approchant.

 Bien qu’ils se trouvaient dans la pénombre, Guad voyait que le grand gaillard avait les yeux rouges et la peau plus pâle qu’avant. Même s’il disait le contraire, son ami ne se sentait pas bien et leurs conditions de vie actuelles ne l’aidaient pas à se rétablir.

 — Trois fois rien Locro, éluda-t-il, ne t’inquiète pas. Toi par contre, ton état empire de jour en jour.

 — Mais non, je vais b…

 — Arrête, le coupa Guad, je ne suis pas aveugle ni sourd. Tu es blanc et tu tousses de plus en plus souvent. Tu es malade, il faut te faire soigner. Dans la nuit, tu t’agites comme un diable jusqu’à ce que tu te réveilles en nage et en panique.

 Locro tourna la tête, penaud. Il vérifia du regard la cellule de Kareth avant de revenir vers Guad.

 — Écoute, ça va aller. N’embête pas Kareth pour ça, je suis juste fatigué.

 — Même si ce n’est que ça, nous sommes bloqués ici et nous n’avons aucune idée de comment nous enfuir. Ton état ne va faire qu’empirer si tu ne sors pas de cet enfer rapidement.

 — Ils nous ont jetés ici sans attendre. Peut-être est-ce temporaire jusqu’à ce que l’on ait droit à un procès équitable ?

 — Arrête… Tu n’y crois pas une seule seconde.

 — Tu réfléchis trop Guad, je vais aller mieux avec les jours qui passeront, conclut Locro.

 Il signifia d’un geste de la main que la conversation était terminée.

 Mais les jours passèrent et son état ne s’améliora pas du tout. Sa toux était devenue chronique et il restait le plus clair de son temps assis, vidé de son énergie, ou allongé à dormir dans le noir. Guad ne pouvait pas laisser sa santé empirer plus. Le jeune homme avait voulu l’examiner un minimum, mais le colosse avait refusé qu’on l’approche. Il n’y avait qu’une solution.

 — Aenan, lança-t-il entre ses dents, peut-on faire confiance à cet homme, Zinlar Iachawr ?

 — C’est quelqu’un d’intègre d’après moi, répondit le prisonnier. On ne s’est pas croisé très souvent, mais sa réputation l’a toujours suivi. Il est sûrement la personne qui a le plus de chance de pouvoir s’occuper de l’état de votre ami, même si rien ne dit qu’il saura ce qu’il a.

 — Ça vaut le coup d’essayer.

 Guad se saisit d’un morceau de pierre et se mit à crier en tapant le rocher contre les barreaux dans un vacarme assourdissant. Après avoir passé deux bonnes minutes à s’égosiller, il sentit sa tête tourner et dut produire un effort considérable pour ne pas tomber. Les conditions déplorables de leur emprisonnement se faisaient ressentir.

 Des bruits de pas retentirent dans le couloir. Un homme en armure s’approcha, une torche à la main. Il observa les détenus tour à tour. Sur son visage se lisaient un mépris et un dégout non cachés.

 — Que voulez-vous ? cracha-t-il presque.

 — Nous souhaiterions voir Zinlar Iachawr. Il nous a demandé de le prévenir si nous avions un problème de maladie.

 — Ah ouais ? Je verrais ce que je peux faire.

 Les sourcils froncés du garde appuyèrent sa méfiance déjà évidente. Sa phrase à peine finie, il s’éloigna dans le couloir sans chercher à en savoir plus.

 — Faites vite s’il vous plaît ! supplia Guad.

 Il ne fut pas rapide. Le lendemain, Zinlar Iachawr arriva, seul, toujours vêtu de sa tenue blanche, comme la fois précédente.

 — Bien le bonjour, lança-t-il en remettant bien ses carreaux devant les yeux, comment allez-vous depuis notre dernière rencontre ? Cela fait quoi, trois jours ?

 — Sept, grinça Kareth.

 — Ah, excusez-moi ! Le temps passe si vite.

 — Question de point de vue.

 Le médecin se mit à rire de la réflexion qui se voulait acide. Si elle ne se trouvait pas de l’autre côté des barreaux, Guad ne doutait pas que Kareth serait déjà en train de lui tordre le cou.

 — Et donc, que puis-je faire pour vous, jeunes gens ?

 — C’est Locro… commença Guad. Il est malade…

 Zinlar se frotta le menton d’un air faussement songeur.

 — Pourtant vous m’aviez dit que tout le monde était en parfaite santé la dernière fois, je…

 — Nous n’avons pas le temps de jouer, coupa Kareth. Nous vous avons menti, car nous ne vous faisions pas confiance. Maintenant, nous n’avons pas le choix alors la bonne question est : est-ce que vous pouvez le soigner ?

 Le médecin haussa les épaules.

 — Je peux essayer, mais je ne peux rien garantir. Je reviens avec des soldats d’ici quelques minutes pour pouvoir le transporter.

 Locro haletait et transpirait abondamment. Lorsque Guad lui posa une main sur le front, il fut choqué par la chaleur qu’il dégageait. Il avait beaucoup de fièvre et son état requérait qu’on s’occupe de lui rapidement.

 Le médecin réapparut, accompagné de quatre gardes dont deux qui portaient une civière. Ils rentrèrent dans la geôle après s’être assuré que les deux hommes valides aient reculé et emmenèrent Locro sur le brancard.

 — Que la Gueule le protège, marmonna Kareth.

 — Il lui faudra sans doute plus que ça, dit Zinlar alors que le cortège s’éloignait déjà. Bien plus que ça même.

 Aenan marquait son trentième et unième jour dans la prison. Les élus avaient perdu espoir. Toujours pas de nouvelles de Locro, impossible de savoir s’il allait bien ou si la maladie l’avait emporté. Le fait qu’il n’ait pas été ramené dans sa cellule n’était sans doute pas bon signe. Kareth avait encore prié pour lui, jour après jour. Guad l’accompagna, car même si le cœur n’y était plus, il osait espérer que cela suffise à aider son ami. Il aurait voulu hurler, frapper sur les barreaux à renfort de gros cailloux, mais il n’en était plus capable. Après douze journées d’enfermements, à peine nourri, il ne lui restait plus assez d’énergie pour ça. Il passait désormais le plus clair de son temps à dormir et même ça l’épuisait.

 Le silence habituel du sous-sol se rompit dans un vacarme surprenant. Guad tendit l’oreille alors qu’Aenan s’approchait des barreaux pour essayer de voir ce qui se produisait. Le boucan ressemblait fortement à des bruits de lutte, des épées qui s’entrechoquaient. Cela dura une poignée de secondes avant de s’estomper. Puis un cliquetis familier se rapprocha. Une grande silhouette qui dégageait de la lumière se dessina.

 — Maitre Guad ? Maitresse Kareth ? dit une voix plate qui aurait pu sortir d’un tube de métal.

 — Dux ! s’exclama le jeune homme en sentant l’espoir renaître. On est ici, dans la prison !

 Le golem se rapprocha et inspecta la porte. Sa carcasse brune ne portait plus une seule trace de son combat contre les goules, elle s’était entièrement régénérée.

 — Veuillez reculer, ordonna-t-il.

 Il posa sa main d’acier sur la serrure. Celle-ci commença à émettre de la lumière en changeant de couleur. Elle passa du noir de l’obscurité, à un rouge sang, puis un orange vif, jusqu’à un blanc aveuglant. Le verrou devint mou sous l’effet de la chaleur qu’on lui imposait, jusqu’à ce qu’il tombe au sol avec la consistance d’une gelée. Dux poussa la porte avant de se retourner pour s’atteler à celle de Kareth. Ils étaient libres !

 — Nous devons partir d’ici, dit la jeune femme, nous ne sommes pas en sécurité.

 — Il faut retrouver Locro avant, intervint Guad. Il doit se trouver quelque part dans le palais.

 — Affirmatif, répondit Dux, je détecte encore sa présence dans ce bâtiment.

 Le voyageur se retourna vers la cellule qu’il venait juste de quitter.

 — Aenan, je suis désolé de vous demander cela, mais accepteriez-vous de nous aider ? En tant qu’ancien capitaine, vous connaissez ce palais non ?

 Le prisonnier sortit de l’ombre et s’approcha de la porte. Il baissa les yeux, comme si une barrière invisible l’empêchait de passer.

 — Vous nous avez dit que vous croyez en la Gueule, lui dit Kareth, que vous vous questionniez sur votre foi jour après jour. La seule réponse que vous en avez obtenue pour le moment est de vous être fait enfermer dans ce cachot. Voilà ce que prévoyait la Gueule pour vous : vous retrouver avec ses élus pour les aider à s’enfuir et poursuivre leur périple.

 Le capitaine déchu hésitait, tiraillé par nombre de conflits intérieurs.

 — Je suis trop faible, jeunes gens. Je ne serai qu’un poids pour vous.

 — Nous pouvons remédier à cela, intervint Dux. Le puits possède des effets revitalisants sur les humains. Il ne peut pas soigner de maladies ou de blessures, mais il peut au moins vous redonner l’énergie qu’il vous manque.

 Aenan releva la tête et regarda droit dans les yeux ses compagnons d’infortune. Son corps était peut-être fatigué, mais ses yeux brillants démontraient un esprit combattif qui ne s’était pas éteint.

 — Dans ce cas, ne perdons pas plus de temps.

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