Chapitre 15

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 Guad n’avait passé qu’une seule nuit dans ces cachots qu’il les détestait déjà — logique pour un tel endroit se dit-il. Son dos le lançait et il n’était pas vraiment plus reposé que la veille. Ses yeux s’étaient accoutumés à la pénombre, il arrivait désormais à voir Locro et Aenan en train de dormir, chacun dans leurs coins. De l’autre côté du couloir, Kareth était à genoux, et priait les yeux fermés.

 Le jeune homme se mit contre le mur et observa son amie. La foi… Kareth était une des plus ferventes croyantes qu’il ait pu connaitre. Elle avait toujours été là pour toutes les cérémonies et célébrations en la gloire de la Gueule. Encore aujourd’hui, dans cette situation désastreuse, elle passait une bonne partie de son temps à prier. L’élue espérait probablement que sa divinité réponde à son appel et leur permette de sortir, d’une manière ou d’une autre.

 — Tu comptes me regarder longtemps comme ça ? lança Kareth, les yeux fermés.

 — Je ne voulais pas déranger, s’excusa Guad. J’étais dans mes pensées.

 — Prie avec moi au lieu de rêver, ça ne nous fera pas de mal.

 — Pas de mal ? dit une voix dans le dos de l’élu. Je n’en suis pas si sûr pour ma part.

 Aenan rejoignit son compagnon de cellule et s’assit à côté de lui. Son regard si brillant qui dénotait complètement de son visage épuisé surprit de nouveau Guad.

 — Les habitants de Cadarnle n’apprécient guère votre religion.

 — Pourquoi ? demanda Kareth. Nous adressons notre foi à la Gueule, car, sans elle, nous ne serions même pas en vie.

 — Mais n’est-ce pas aussi elle qui est la raison de la mort ?

 — C’est un cycle. La vie et la mort n’existent pas l’une sans l’autre. La Gueule nous donne la vie puis nous accueille dans la mort.

 Aenan se gratta la barbe en réfléchissant à l’argument.

 — Et imaginons que demain, les trois quarts de la population d’où vous venez se font décimer par une maladie sans précédent dont personne ne trouve le remède. Cela fait partie du cycle d’après vous ?

 Kareth marqua une pause et ouvrit les yeux pour les fixer sur son interlocuteur. Elle s’assit plus confortable tout en se positionnant pour pouvoir lui faire face.

 — Si la Gueule en a décidé ainsi, alors c’était nécessaire. Nous ne sommes que de simples êtres humains, il ne nous est pas toujours possible de comprendre pourquoi elle agit de la sorte.

 — Mais ne trouvez-vous pas cela injuste ? continua le prisonnier d’une voix qui avait recouvré de l’énergie. Si la Gueule représente la vie aussi bien que la mort, pourquoi massacrer tant de ses enfants alors qu’ils lui vouent un amour sans égal ?

 La question ne sembla pas plaire à Kareth qui grogna légèrement. Guad, de son côté, ne savait pas trop quoi penser de cette idée.

 — Chez nous, dit-il en réfléchissant, les maladies sont rares. Alors j’ai du mal à imaginer que cette situation puisse arriver.

 Aenan le regarda de ses yeux bleus plus aiguisés qu’une lame. Sa bouche se déforma dans un pli de mépris un instant, avant qu’il enfouisse la tête entre ses bras.

 — Nous nous disions la même chose mon garçon, nous nous disions la même chose.

 Sa voix était empreinte de tristesse. L’homme poussa un soupir et continua :

 — Pendant longtemps, les habitants d’ici étaient comme vous, mademoiselle. Pieux, croyant. Toute la société était construite autour de cette religion qui rendait hommage à la Gueule. Tous priaient et tous travaillaient dans l’espoir qu’elle leur rende un tant soit peu d’amour et de bonheur. Ce qui nous semblait être le cas. Mais il y a de cela douze ans, une catastrophe survint. Une sorte de maladie d’après le médecin Zinlar Iachawr. Elle transforma tout humain infecté en monstre blafard assoiffé du sang de son voisin…

 — Blafard vous dites ? coupa Guad. Nous en avons rencontré et combattu en dehors de cette ville. Vous voulez dire qu’ils s’agissaient d’humains auparavant ? Comme vous et moi ?

 L’ancien capitaine hocha la tête gravement. Son dos se courba et ses mains se crispèrent.

 — Tout à fait, poursuivit-il, nous les avons appelés des goules. Une partie de la population a été touchée. Et comme vous avez dû le remarquer, ce ne sont pas des créatures sans cervelles. Bien au contraire, elles sont rusées en plus d’être puissantes. Lorsque nous, les militaires, avons compris que des gens se transformaient après avoir contracté cette maladie, il était déjà trop tard. Elles se trouvaient en trop grand nombre pour nos soldats. (Il poussa un long soupir et son front se plissa.) Cette ville représente le dernier bastion de notre peuple, le seul endroit que nous avons réussi à sécuriser. Pour ceux qui ne purent rejoindre la cité à temps, ce fut un véritable massacre. Des milliers de gens ont connu une mort terrible… aux mains de leurs compagnons, de leurs amis ou même de leurs propres familles. (Il tourna de nouveau la tête vers Kareth.) Et maintenant mademoiselle, comprenez-vous ? Pensez-vous qu’il est facile de croire qu’une divinité ait trouvé juste de laisser se propager une telle horreur ?

 — Je… Je ne sais pas… avoua Kareth.

 Aenan haussa les épaules.

 — Nous n’y pouvons rien vous et moi. Simplement, vous connaissez désormais la raison de votre emprisonnement. Si vous êtes des menteurs, les gens vous détesteraient, car vous prétendriez être des croyants d’une religion qu’ils ont reniée. Si vous n’en êtes pas, cela impliquerait que la Gueule a voulu que ce désastre ait lieu, que le peuple meurt dans d’atroces souffrances. Ou qu’elle se fiche complètement de ses adeptes. Dans un cas comme dans l’autre, les habitants de Cadarnle n’accepteront plus d’avoir une telle divinité.

 Un silence de plomb retomba entre eux. Après un évènement si traumatisant, il était compréhensible que le peuple ne considère plus la Gueule. Que des inconnus se pointent par la suite en déclarant être des élus n’avait que ravivé des blessures encore ouvertes.

 — Mais peut-être est-ce là une épreuve que la Gueule souhaite vous imposer ? argumenta Kareth. Peut-être que votre manque de foi aujourd’hui est la raison de votre échec.

 — Excellente question. Je me la pose justement depuis longtemps. C’est d’ailleurs parce que je l’ai exposé à mon très cher roi que j’ai la chance d’être ici parmi vous.

 Kareth fronça les sourcils et commença à tirer distraitement sur ses cheveux noirs.

 — Vous êtes donc croyant ? (Il hocha légèrement la tête.) Dans ce cas-là, pourquoi toutes ces questions si vous pensez qu’il s’agit là d’un choix de la Gueule.

 — La foi aveugle ne vaut pas plus qu’une absence complète de foi à mes yeux. Se questionner, c’est vivre et avancer. Mon cœur est toujours dévasté par ce qu’il s’est passé, mais j’ai gardé espoir malgré tout. Je continue de m’interroger sur le sens de tout cela, je me demande si la Gueule me récompensera pour ma volonté et me sauvera de cette épreuve. Je n’ai pas encore trouvé de réponses à mes questions pour le moment, mais je cherche. C’est comme ça que je crois, en cherchant un sens à la vie et à la mort de mon peuple. Pour l’instant, je n’ai obtenu que ce cachot pourri en guise de réponse, conclut-il en riant à gorge déployée, à raison d’ailleurs. Un souverain qui renie sa divinité ne peut décemment pas avoir un capitaine qui lui est moralement opposé, cela poserait trop de problèmes. Et comme le roi Seciwlar n’est pas connu pour sa clémence, j’ai atterri directement ici sans plus de discussions.

 — Depuis combien de temps êtes-vous emprisonné ? demanda Guad.

 Le détenu se retourna et regarda sur le sol. Il prit un morceau de caillou un peu plus pointu et fit une marque sur une dalle.

 — Cela va faire vingt jours maintenant.

Que ? Vingt jours ! Guad n’en croyait pas ses oreilles. Voilà qui expliquait l’extrême maigreur de cet homme. L’élu avait déjà plus que détesté y passer une nuit, alors il ne pouvait s’imaginer y rester si longtemps.

 — Enfin bref, dit Aenan, je suis de nouveau fatigué après avoir autant parlé. Du coup, je vous laisserais raconter tout ce que je viens de dire à votre ami endormi. Je dois avouer ne pas trop avoir envie de me répéter.

 Locro, dans un coin de la cellule, roupillait encore, comme si de rien n’était.

 Le lendemain, Guad, Locro et Kareth se mirent en tête de vérifier l’état de leurs cellules. Ils passèrent les lieux au peigne fin. Les barreaux ? Encore solides, pas de corrosion. La porte et sa serrure ? Impossible à casser ou forcer. Ils n’avaient pas non plus de quoi tenter un crochetage. Ils examinèrent même les murs et le sol à la recherche de quelque chose qu’eux-mêmes n’auraient su définir, une trappe ou un tunnel caché peut-être. Un miracle constituait leur dernier espoir.

 — Vous vous fatiguez pour rien, leur lança Aenan de son coin. Vous vous doutez bien que s’il y avait la moindre faille, je l’aurais découverte.

 Ils l’ignorèrent. Sans doute avait-il raison, mais ils ne pouvaient se résoudre à accepter d’être enfermés à vie en ces lieux. Locro tenta de casser la serrure avec des morceaux de dalle, mais il ne parvint qu’à la rayer. Ils se trouvaient bel et bien coincés dans ce trou à rats. Guad se laissa retomber mollement au sol, les mains sur le visage. Pas d’issues possibles.

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