Chapitre 10

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 Le chemin du retour se déroula en silence. Kareth s’était réveillée et chevauchait sur la monture restante de ses ravisseurs. Ils avaient fait demi-tour vers le village. Ander avançait en tête, le corps de sa fille entre ses bras, les mains crispées sur les rênes.

 Lorsqu’ils arrivèrent à destination, il n’y avait personne dans les rues. Pas un animal, pas un mouvement. Le bruit des sabots retentit sur les parois des habitations aux volets fermés. Ander s’arrêta une dizaine de mètres avant sa maison. Il descendit de son cheval, Maruti toujours dans ses bras, puis se retourna vers les élus.

 — Attendez-moi ici, ordonna-t-il d’un ton froid. Je ne serais pas long.

 Il pénétra dans la bâtisse. Un cri de lamentation résonna, celui d’une mère au cœur brisé par la perte de son enfant. Guad sentit une boule dans son ventre se former. Même s’il l’avait souhaité, il aurait été incapable de prononcer le moindre mot à l’instant présent. Locro avait une main accrochée à la poignée de son épée et il observait avec mélancolie dans la direction de la maison. Kareth, le dos droit et le regard durcit par la colère, semblait sur le point d’exploser.

 Ander sortit la minute suivante alors que les sanglots avaient pris la place des cris. Sa chemise blanche était tachée du sang de sa propre fille. Dans ses yeux brûlait un feu inextinguible. Il portait dans ses bras des sacoches remplies de nourriture qu’il jeta au trio.

 — Vous trois, asséna-t-il d’un ton sec. Vous devez partir immédiatement. Vous n’imaginez pas ce que nous avons déclenché.

 — Mais Ander, s’insurgea Locro, nous ne pouvons pas te laisser seul !

 — Jeune homme, écoute-moi bien. Ce village, comme tous ceux de la région, vit sous l’autorité du duc de Freux. Un enfoiré qui ne pense qu’à sa propre personne et reste caché dans son château à l’ouest d’ici. Ce qui s’est passé n’est pas une première, loin de là. Depuis des années maintenant, ses hommes viennent dans les villages et capturent nos filles pour satisfaire leur seigneur. Sans doute les utilisent-ils comme de vulgaires jouets, avant de les jeter une fois qu’il est lassé. Vu le nombre de jeunes femmes enlevées, ce ne serait pas étonnant.

 — C’est horrible, souffla Guad.

 — Pourquoi personne n’intervient ? s’offusqua Locro.

 Ander détourna le regard avec un rictus agacé.

 — Le duc n’est pas vraiment le problème ni ses hommes d’ailleurs. Mais ce sont les entités qu’il commande qui sont le vrai danger. (Il leva une main pour couper toute objection.) De par son statut, il possède une relique qui permet d’invoquer des créatures d’un autre monde. On les appelle les Varnas. Deux hommes sans visage qui chevauchent des espèces de corbeaux géants. Lorsqu’ils attrapent leurs proies, ces monstres vous drainent votre âme. Croyez-moi, je les ai vu faire une fois dans ma vie, j’espérais ne plus jamais le revoir. Mais c’est ainsi, nous nous sommes rebellés contre le pouvoir du duc, nous allons devoir en payer le prix.

 Voilà qui n’annonçait rien de bon. Guad aurait préféré que ce genre de monstres restent dans les histoires pour faire peur aux enfants plutôt qu’ils soient réels.

 — Vous devez fuir maintenant. Si vous faites vite, ces démons ne chercheront peut-être pas à vous retrouver.

 — Ne pouvons-nous pas nous battre ? demanda Locro. Nous savons qu’ils vont venir alors nous pouvons leur tendre un piège.

 — Ce ne sont pas des humains, l’arrêta Ander, nous n’avons aucune chance. À l’arrivée au pouvoir du duc, un groupe d’une soixantaine d’hommes s’était formé pour s’opposer à lui. Les varnas les ont massacrés en une dizaine de minutes. Ce sont des créatures d’un autre monde, nous ne pouvons rien faire.

 — Venez avec nous dans ce cas-là, supplia le colosse. Nous ne pouvons pas vous laisser là.

 — Ma femme ne voudra pas partir. Je ne peux pas l’abandonner. Je suis désolé, jeunes gens, mais nos chemins se séparent. Vous dev…

 Un cri strident perça le ciel. Les chevaux commencèrent à s’agiter et à piailler de peur. Guad n’avait jamais rien entendu de tel de sa vie, mais il craignait surtout d’en comprendre la signification.

 — Vous n’avez plus le temps ! asséna le fermier. Ils arrivent déjà, alors partez !

 — Mais… voulurent intervenir les deux hommes.

 — Pas de mais, allez-vous-en !

 — Guad, Locro, les interpela Kareth. Il a raison. Nous devons fuir maintenant. N’oubliez pas pourquoi nous sommes ici. Nous ne pouvons pas nous permettre de mourir.

 Son regard transperça chacun d’eux avec une telle force que Guad eut l’impression qu’il venait de se faire empaler.

Dalga…

 — Je suis profondément désolé, continua la jeune femme à l’intention d’Ander, que la Gueule entende votre voix et protège votre cœur.

 Elle fit voleter son cheval et partit à pleine vitesse vers le sud. Ses deux compagnons s’excusèrent à leurs tours et lancèrent leurs montures au galop pour la rejoindre.

 Quelques minutes après leur départ, Guad, qui ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d’œil dans son dos, remarqua deux taches qui surplombaient le village. Un cri similaire à celui qu’ils avaient entendu plus tôt retentit, puis les silhouettes fondirent sur les habitations.

 Ils progressèrent à vive allure grâce aux chevaux, mais arrivés à l’orée de la forêt, ils durent les laisser là. Les racines tortueuses se révélaient bien trop dangereuses pour les équidés. Le groupe se mit en route au pas de course vers le puits de vie.

 Ils n’eurent pas le temps de rejoindre la clairière aux fleurs blanches qu’une grande ombre se profila devant eux. C’était Dux qui s’avançait dans leur direction.

 — Salutation, maitres, dit-il de sa voix monocorde. Mon processus de récupération étant terminé, je…

 — Pas le temps, coupa Guad. Dux, des monstres volants peuvent fondre sur nous à tout moment, nous devons partir de cette région.

 — Très bien, mais je ne connais pas la direct…

 — Plein sud, on fonce !

 Guad continua sa route en courant sans attendre de réponse. Il sut cependant que Dux les suivait au bruit de ses pas lourds et métalliques.

 Un nouveau cri strident perça le silence des bois. D’après la carte qu’il avait vue, Guad estima qu’il devait en avoir encore pour une dizaine de minutes pour arriver à destination. Restait à prier pour qu’il s’agisse du bon endroit… Ils coururent ainsi sur toute la distance en essayant de faire attention aux racines, mais cela ne leur permit pas d’éviter de chuter : la panique les avait saisis.

 — Là, regardez ! indiqua Locro.

En face de lui, les arbres s’ouvraient sur la paroi de la Gueule, de nombreux symboles et écritures l’ornaient à cet endroit précis. Mais le moment n’était aucunement propice à leur étude.

 — Dux, interpela Kareth. Tu confirmes que c’est le bon endroit ?

 — Affirmatif, il s’a…

 — Dans ce cas-là, ouvre-le tout de suite ! On n’a pas une seconde à perdre !

 Un nouveau cri, trop proche cette fois. Guad se retourna et vit au-dessus de leurs têtes les monstres corbeaux. Locro le sauva in extremis d’un javelot en lui fonçant dessus. Le projectile entailla légèrement le flanc du colosse avant de se planter dans le sol. Un autre javelot partit, mais les manqua et transperça l’arbre derrière eux.

 — C’est bon, vite ! cria Kareth qui avait sauté dans l’ouverture.

 Un trait noir fusa sur elle, mais Dux s’interposa et le dévia de son épaule de métal. Locro et Guad se précipitèrent dans le passage que le golem referma immédiatement derrière eux.

 Ils étaient saufs.

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