Chapitre 9

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Quatre jours passèrent sans évènements notables. Locro, Guad et Kareth s’attelèrent à aider leurs hôtes dans les tâches de la ferme autant que possible. Labourage des champs, traites des vaches, nettoyage, récoltes de légumes… Une période de travail intensif pour obtenir de quoi continuer le voyage. Chez eux, ils avaient tous un peu touché à ce genre d’activités, ce qui leur permit de s’acquitter de leurs besognes avec efficacité. La régénération de Dux se terminait aujourd'hui et de ce fait, ils se préparaient déjà à quitter la famille Vecaku qui les avait accueilli si chaleureusement. Ander et sa femme ne les avaient pas plus interrogés pour savoir d'où ils venaient ou le but de leur voyage. Pourtant, les autres villageois se méfiaient d’eux et ne les approchaient pas. Ici, personne ne connaissait la Gueule, ses élus ou le golem. Ils n’étaient que des étrangers qui n’étaient pas les bienvenus.

 Locro et Guad prenaient leur pause pour le déjeuner après avoir changé le troupeau de moutons de champs de pâturage. La conversation était légère et tournait autour du repas qui les attendait. Jella leur avait promis une spécialité dont elle n’avait rien voulu révéler. Ander en avait vanté les mérites, allant même jusqu’à dire que le village tout entier se serait battu pour en avoir. De quoi donner aux deux hommes de l’entrain pour terminer le travail rapidement.

 Ils arrivèrent à la maison, entrèrent et trouvèrent Jella, la tête entre les mains, tremblant de tout son corps. Elle avait les yeux grands ouverts et chuchotait des mots à voix basse.

 — Jella ? s’enquit Locro. Que se passe-t-il ?

 La paysanne tourna la tête, les regarda sans vraiment les voir, et reprit ses murmures initiaux. Le duo se rapprocha, inquiet.

 — Elle est partie… Elle est partie… Maruti…

 Des larmes coulèrent sur le visage de cette femme anéantie.

 — Où sont Ander et les filles ? demanda Locro, un mélange d’angoisse et de méfiance dans la voix.

 La fermière se retourna vivement et saisit Guad par les épaules.

 — Arrêtez-le ! supplia-t-elle. Ander est parti chercher de quoi s’équiper dans la grange. Empêchez-le d’y aller, je vous en conjure !

 Locro se précipita dehors. Guad se dégagea doucement de l’emprise de Jella, puis lui emboita le pas. Ils arrivèrent au moment où le paysan, armé d’une épée, d’un arc et d’un carquois, ressortit de la bâtisse. Son regard était chargé de haine et de colère.

 — Que se passe-t-il ? demanda Guad. Jella est dévastée dans la cuisine et tu es équipé comme si tu partais chasser le sanglier.

 — Exactement, je pars chasser, rétorqua Ander. Je vais chasser ces fils de trainées qui ont kidnappé Maruti et Kareth. Personne ne touche à ma fille.

 Guad n’en crut pas ses oreilles. Deux heures à peine auparavant, tout allait bien dans ce petit village paisible, et maintenant, un enlèvement avait eu lieu !

 — On te suit, annonça Locro.

 — Je ne peux pas accepter, répondit Ander. Vous ne devez pas vous mêler de cette histoire.

 — Ce n’est pas une question, nous venons avec toi. On ne va pas te…

 — Pourquoi Jella nous a-t-elle demandé de t’arrêter ? coupa Guad.

 Ander détourna le regard, le poing serré sur son arc.

 — Si j’interviens pour sauver les filles, ce village sera condamné à mort, asséna-t-il. Vous êtes des étrangers ici, ne vous en mêlez pas. Je me débrouillerai pour récupérer Kareth en même temps que Maruti, vous pourrez vous enfuir après en toute impunité.

 — Tu as des armes pour nous ? insista Locro qui s’engagea sans attendre dans la grange. Je sais me battre à l’épée aussi, mais si tu n’en as pas d’autres je peux prendre une fourche.

 Ander le regarda chercher un instant. Il dévisagea ensuite Guad, comme s’il lisait en lui.

 — Nous ne te laisserons pas seul Ander. Nous allons sauver Kareth et ta fille.

 Il resta là, immobile, fixant ses yeux embrasés par la colère sur le jeune homme. Il rentra finalement dans la grange, demanda à Locro de dégager de son chemin, avant de sortir une vingtaine de secondes plus tard avec deux épées supplémentaires. Il leur lança l’équipement et fonça directement dans la direction du village.

 — Il nous faudra des montures pour les rattraper, alors en route.

 Ils rejoignirent en courant la place centrale où se trouvait une écurie. Devant, une bonne partie des habitants étaient attroupés autour de leur chef.

 — Dégagez de mon passage ! hurla Ander qui fondait sur eux.

 Il dégaina son épée et tous firent place pour ne pas se retrouver sur son chemin. Le fermier arriva devant son chef et s’arrêta.

 — Comment ont-ils su ? souffla-t-il entre ses dents

 — Écoute Ander, je ne sais p…

 — Comment. Ont-ils. Su ?

 Il pointa sa lame sous le menton de son interlocuteur et attendit ainsi une réponse.

 — Je… Ils m’ont forcé à avouer ! Je leur ai dit que des étrangers se trouvaient chez toi, mais je ne pensais pas qu’ils emmèneraient ta fille en même temps ! Je le jure !

 — Je te crois.

 D’un grand geste, il trancha la gorge du chef. L’homme tenta de mettre ses mains sur sa plaie pour retenir le flot de sang, mais il s’effondra l’instant d’après, mort. Les autres villageois, pris de panique, hurlèrent de terreur en se dispersant pour fuir le fou qui venait d’assassiner leur chef.

 — Par ici, indiqua Ander à ses compagnons. Prenez un cheval chacun, nous partons immédiatement.

 Locro obéit sans tarder. Guad réagit plus lentement, choqué par la violence de la scène. Il se précipita finalement pour rejoindre son ami et récupérer une monture. Ses gestes furent mécaniques et il se retrouva en selle, des images sanglantes s'imprimant dans sa tête. Guad n’avait jamais vu de meurtre et ne s’était clairement pas attendu à en voir un de sitôt. Un tel geste de la part d’Ander, cet hôte si sympathique et chaleureux, l’avait complètement pris au dépourvu. Le trio sortit à dos de chevaux de l’écurie.

 — Écoutez les jeunes, je vais vous la faire courte, car on n’a pas le temps, dit Ander, sa voix vibrant encore de colère. Si j’ai égorgé ce porc, c’est parce que ce n’est pas la première fois qu’il dénonce quelqu’un de la sorte pour protéger sa petite personne. On n’a jamais pu le prouver avant, mais tout le monde le savait. (Il fit voleter son cheval vers la sortie du village.) Maintenant, je vous préviens, pour aller sauver Maruti et Kareth, il va falloir se battre. Et pour être précis, il faudra tous les tuer. Sinon, nous n’aurons aucune chance de nous en sortir vivant après. Je vous expliquerai plus en détail plus tard. En avant !

 Le trio partit au galop vers l’ouest. Guad avait la gorge sèche et il tenait maladroitement les rênes de sa monture. Les champs qui bordaient la route qu’ils empruntaient étaient teintés du même rouge carmin que le sang qui venait de couler. Le jeune homme sentit la nausée l’envahir, mais se retint tant bien que mal. Comme pour se rassurer, il posa une main tremblante à la poignée de l’épée qu’il portait à la ceinture.

 Après une heure en selle, ils aperçurent enfin leur cible : une caravane entourée de deux cavaliers qui avançaient à allure raisonnable. Alertés par le bruit des chevaux au galop, les gardes du corps du convoi se retournèrent et s’immobilisèrent pour attendre le trio en dégainant leurs armes.

 — Arrêtez-vous et annoncez votre identité ! cria l’un d’eux.

 Ander, toujours à pleine vitesse, prit son arc et encocha une flèche. Le projectile partit, mais loupa sa cible. Désormais à cent mètres de leurs adversaires, Guad n’était plus en capacité de réfléchir. Il sortit son épée à son tour et se mit à hurler de défi. Un autre trait vola. Une monture fut touché, elle se cabra, faisant ainsi chuter son cavalier.

 Locro, concentré tel un fauve prêt à bondir, chargea en direction du deuxième opposant. Les armes s’entrechoquèrent dans un vacarme métallique, sans qu’un coup atteigne sa cible. Ils retournèrent leurs chevaux et se donnèrent de nouveau l’assaut.

 Guad remarqua alors que le combattant au sol s’était relevé et s’apprêtait à attaquer son ami.

 — Fonce Guad, rattrape la caravane ! lui cria Ander. On s’en occupe.

 Une troisième flèche vint se ficher dans le bras de l’homme désarçonné.

 Incapable de réfléchir, l’élu suivit les ordres du paysan et lança sa monture à la poursuite de la caravane. Le cocher avait compris le danger et avait fait partir à pleine vitesse les chevaux de trait. Mais Guad réussit à le rattraper. Il se rapprocha et essaya d’atteindre le conducteur à coups de lame. Celui-ci tira alors un grand coup sur les rênes jusqu’à immobilisation. Guad fit de même et se retourna pour faire face à son adversaire. Celui-ci dégaina une épée et trancha les sangles qui maintenaient un des chevaux à la caravane. Il sauta sur son dos et le fit partir au galop vers Guad. Le jeune homme, pris au dépourvu, réussit à parer l’attaque et se prépara au prochain assaut.

 Mais son adversaire ne s’était pas retourné. Il poursuivit son chemin et fuit à toute allure le combat. Guad resta là un instant, mais n’osa pas se lancer à sa poursuite.

 — Guad ! cria une voix derrière lui. Tout va bien ?

 C’était Locro qui le rejoignait. Du sang maculait sa chemise au niveau de l’épaule, mais il ne s’agissait pas du sien.

 — Guad ?

 Les mots ne sortaient pas. Il regarda sa main, crispée sur la garde de son arme.

 — Je… Je vais bien.

 Son ami hocha la tête. Ils rejoignirent Ander qui venait d’arriver au niveau du convoi. Il se précipita à l’intérieur et s’arrêta l’espace d’un instant. Kareth, Maruti, ainsi qu’une jeune femme étaient inconscientes sur les planches. Il y avait du sang. Trop de sang. Ander détacha sa fille et la prit dans ses bras. Guad et Locro s’occupèrent des deux autres.

 Kareth était en vie, elle avait cependant reçu un sacré coup sur la tête au vu du sang qu’elle avait dans le cuir chevelu. L’autre victime n’avait pas eu cette chance, elle portait de larges entailles sur tout le corps. Locro vérifia son pouls puis signifia à Guad qu’ils ne pouvaient plus rien pour elle.

 Un cri perça le silence qui s’était installé sur la route. Ander hurlait, la douleur déformant ses traits et les larmes submergeant son visage. Dans ses bras, Maruti, la peau blafarde, ne bougeait pas. Elle avait une énorme plaie au niveau de l’abdomen. Ils étaient arrivés trop tard.

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