Chapitre 8

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 Le village comptait une vingtaine de maisons en pierres, aux couleurs multiples surmontées de toits de tuiles. Des femmes et hommes observèrent le trio d’étranger passer, méfiants malgré la présence d’Ander. Ils croisèrent un autre fermier, leur guide s’arrêta pour le saluer et engagea la conversation avec lui. La discussion semblait houleuse. Ander pointa un doigt accusateur vers son interlocuteur, tandis que ce dernier ne cessait de jeter de brefs coups d’œil aux trois voyageurs.

 — Je crois que nous ne sommes pas les bienvenues, chuchota Guad.

 — On ferait mieux de laisser Ander faire, approuva Kareth, faisons profil bas pour le moment.

 La discussion se prolongea encore quelques minutes. Le ton baissa et Ander finit par revenir vers ses invités.

 — Venez, il y a une mauvaise ambiance ici.

 Une centaine de mètres plus loin, ils arrivèrent finalement à la maison de leur hôte. Une copie conforme des autres bâtisses du village, mais placée juste un peu plus en retrait.

 — Je suis rentré, Jella ! cria-t-il. Nous avons des invités !

 — J’arrive dans deux minutes, lui répondit une voix féminine.

 Ils entrèrent dans la demeure et se retrouvèrent dans une salle à manger. Une grande table en bois capable de recevoir une quinzaine de personnes la traversait, des bougies disséminées ça et là dans la pièce diffusait une lueur blafarde. La demeure à la décoration pourtant austère, dégageait une atmosphère accueillante. Sur la droite, un escalier montait à l’étage et au fond à gauche, une ouverture débouchait sur la cuisine.

 — Asseyez-vous, invita Ander en désignant les chaises en bois. Vous souhaitez boire quelque chose ?

 Le petit groupe hésita un instant, ne sachant pas ce que buvaient les gens d’ici.

 — De l’eau s’il vous plait, demanda Kareth.

 — Pareil, enchaina Guad.

 — Vous auriez un truc un peu fort ? lança Locro de son côté.

 Le paysan étira un grand sourire.

 — Je sens que l’on va bien s’entendre toi et moi ! Tu connais l’elong ? (Locro fit non de la tête.) Eh bien, tu vas goûter alors. C’est moi qui l’ai fait, tu m’en diras des nouvelles.

 Il ouvrit une armoire et se saisit de six verres qu’il déposa sur la table. Il remplit quatre d’entre eux avec une cruche d’eau avant d’attraper une bouteille. Elle était sale et paraissait encore plus vieille que son propriétaire. Ander en versa le contenu dans les deux gobelets restants en ricanant.

 — Ce n’est pas un peu tôt pour ça tout de même ? interpela une femme qui sortait de la cuisine.

 — Il n’est jamais trop tôt, ma douce, répondit le mari en posant les verres devant ses invités. Je vous présente Jella, ma sublime compagne depuis bientôt vingt-huit ans.

 L’intéressée inclina respectueusement la tête en guise de salut. Elle était aussi petite que son homme — qui ne dépassait pas le mètre soixante — et avait des cheveux bruns attachés en chignon. Elle portait une robe ample avec par-dessus un tablier qui paraissait en avoir vu de toutes les couleurs au vu de la quantité de tâches. Jella était plutôt mince, mais avec des épaules assez larges pour sa constitution. Elle aussi ne devait pas lambiner sur le travail physique qui était le leur.

 — Et derrière elle, c’est notre fille, Maruti.

 En effet, une petite était cachée derrière les pans de la robe de sa mère. Ses yeux brillaient de curiosité alors qu’elle observait les étrangers. Voyant qu’elle était devenue le centre de l'attention, elle se réfugia dans l’ombre de sa génitrice, qui lui caressa la tête.

 Les trois voyageurs se présentèrent à leur tour. Jella vint s’asseoir avec sa fille et la discussion se lança naturellement. Locro débattit avec Ander du fameux alcool d’elong à grand renfort de tapes dans le dos. La femme du paysan se révéla être une véritable mine d’informations sur la région pour Guad. Kareth de son côté, tenta sa chance avec Maruti, tout en laissant trainer une oreille pour écouter ce que disait Jella. Sans succès au premier abord, la petite fille se réfugia une fois de plus derrière sa mère.

Sacrément timide.

 Mais l’élue ne se laissa pas démonter et, au bout de quelques minutes, réussit à approcher la gamine, puis se mirent à jouer ensemble.

 — Eh bien, elle sait y faire avec les enfants votre amie, dit Jella en regardant le duo. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu Maruti jouer avec quelqu’un d’autre que nous.

 — Il n’y a pas d’autres enfants dans votre village ? demanda Guad, étonné.

 — Il y en a encore quelques-uns, mais… Nous n’avons pas trop l’occasion de faire en sorte qu’ils se voient.

 Le jeune homme souhaita en savoir plus, mais se ravisa. Jella avait d’abord hésité, puis choisit soigneusement ses mots. Elle ne voulait pas en parler.

 — Vous mangez avec nous ce soir ? s’enquit-elle.

 — Bien sûr qu’ils mangent avec nous ! lança Ander avant que Guad puisse ouvrir la bouche.

 Locro et lui étaient maintenant bras dessus, bras dessous et enchainaient blagues et verres à un rythme assez impressionnant. Jella regarda son mari, tête appuyée sur la main, et poussa un soupir avec le sourire aux lèvres.

 — Lui aussi, ça faisait un moment que je ne l’avais pas vu s’amuser autant.

  Une lueur traversa le regard de Jella. De la tristesse ? Cela rappela à Guad le regard de Dalga lors de leur dernière semaine ensemble.

 — Elle est bien bonne celle-là ! s’exclama Locro en tapant des mains sur les genoux.

 Son rire se ponctuait de hoquets à intervalles réguliers.

 — Je vais aller préparer le diner, annonça Jella.

 Elle se leva et partit en cuisine. Rapidement, une odeur de soupe aux légumes commença à se faire sentir. Guad en eut l’eau à la bouche. Ander réussit l’exploit de donner l’ensemble des aliments qui composait le plat juste au nez. Carottes, pommes de terre, navets, courgettes et quelques légumes dont l'élu n'avait jamais entendu parlé.

 Le repas prêt, ils se mirent à table. La soupe fut un véritable régal et les ventres bien remplis, tant Jella en avait préparé. Un silence de contentement s’installa.

 — Maruti, tu pourrais aller jouer dans ta chambre s’il te plait ? demanda Ander avec un grand sourire.

 La petite fille hocha la tête et monta l'escalier. Une fois le bruit de la porte fermée entendu, Ander posa son verre et fixa ses invités. S’il avait enchainé les rasades d’alcool quelques minutes auparavant, il semblait tout à fait sobre en l’instant. Un air grave faisait fléchir son monosourcil.

 — Parlons sérieusement maintenant, que venez-vous faire ici jeunes gens ?

 Les trois voyageurs se regardèrent. Guad et Kareth hochèrent la tête, Locro de son côté avait posé la tête sur la table et luttait pour rester éveillé. Tout le monde ne possédait pas la même tolérance à l’alcool, semblait-il.

 — Comme nous vous l’avons dit, nous cherchons à nous procurer quelques provisions pour continuer notre voyage, commença Kareth. Nous ne sommes que de passage, nous ne savons pas grand-chose du coin, et en apprendre un peu plus serait vraiment une bonne chose.

 — Justement, vous n’êtes pas du coin comme vous dites. Je suis étonné que des gens si jeunes se baladent par ici. Surtout vous, mademoiselle. Alors la question logique qui suit est : d’où venez-vous ?

 — Chéri…

 — Non. C’est important, Jella.

 Kareth resta silencieuse.

 — Nous venons de la forêt, indiqua Guad. De plus loin encore même.

 — La forêt ? Vous voulez dire les bois maudits au sud d’ici ? Personne ne vit dedans.

 — C’est un peu compliqué, s’excusa le jeune homme.

 Ander, la tête posée sur ses mains jointes, observait avec attention les réactions de ses invités. Locro laissa échapper un hoquet. Jella vint à côté de son mari et passa son bras tendrement autour de ses épaules. Ils se regardèrent un instant, communiquant sans utiliser le moindre mot. Ander fut le premier à détourner les yeux.

 — Bon, reprit-il plus calmement, vous préférez ne pas en parler, je peux comprendre. Que souhaitez-vous savoir sur la région ?

 — Nous cherchons un endroit où la Gueule serait différente. Peut-être qu’il y aurait un édifice ou quelque chose comme ça.

 — La Gueule ? s’étonna Jella. Qu’est-ce que c’est ?

 — La paroi qui entoure votre région, intervint Kareth. On dirait une membrane au toucher.

 — Attendez un instant, dit le fermier.

 Il revint quelques secondes plus tard avec une carte du secteur. Il la déroula devant ses invités et appuya ses explications avec des désignations sur la carte.

 — Nous sommes ici au nord-est et les bois maudits se situent plus bas. Ils couvrent toute la partie sud-est de la région.

 Locro se mit à ronfler légèrement, la tête sur la table. Le coup de coude que Kareth lui envoya suffit à le réveiller… pour quelques secondes avant qu’il ne retombe dans le sommeil.

 — À ma connaissance, continua Ander après avoir laissé échapper un rire bref, il y a deux endroits qui correspondent à votre description. Il y aurait une zone à l’est dans la forêt, mais on la dit hantée, des esprits et des spectres déchaineraient leur colère dans ce coin-là.

Lorsque nous sommes sortis de la Gueule, nous nous sommes dirigés directement à l’ouest, donc cet endroit doit être notre point d’arrivée.

 — Le deuxième se situe dans la partie sud des bois. À ce qu’on raconte, c’est un lieu où les gens disparaissent sans laisser de traces. Pas vraiment plus recommandable que le premier.

 Guad croisa le regard de Kareth, ils avaient trouvé leur destination. Ander les observa en caressant distraitement sa moustache.

 — Je vais vous proposer un marché, jeunes gens. Vous avez besoin de provisions ? J’ai besoin de main d’œuvre ces temps-ci. Vous passez quelques jours ici, vous m’aidez avec mes cultures et mes bêtes, et je vous donnerai de quoi manger et boire pour votre voyage.

 Kareth et Guad se concertèrent du regard. L’opportunité était parfaite.

 — Nous acceptons avec grand plaisir, répondit Kareth.

 — Bien ! Demain à la première heure, j’aurai besoin de vous, alors il vaudrait mieux ne pas se coucher trop tard. Je vais vous montrer la grange.

 Il se leva et s’arrêta avant de pointer du doigt Locro, qui recommença à ronfler.

 — Un petit coup de main avec le grand gaillard peut-être ?

 — S’il vous plait, s’empressa d’accepter Guad, peu optimiste de devoir soulever un tel poids à lui tout seul.

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