Chapitre 6

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 Le groupe déboucha sur un tunnel dont les murs et le plafond étaient entièrement recouverts de cette matière si caractéristique de la Gueule. De petits cristaux disséminés dans celle-ci permettaient d’obtenir une luminosité correcte du passage. Derrière eux, l’ouverture vers leur foyer se referma déjà dans un bruit similaire à celui d’une sangsue à l'œuvre. Guad se rapprocha de la bouche close et toucha la paroi. Il eut l’impression d’avoir apposé sa main directement sur de la chair, il s’en dégageait une certaine chaleur, elle se soulevait subtilement à intervalles réguliers. Il ressentit de légers courants d’air entre les fibres, comme si la Gueule respirait.

 — Guad, nous devons y aller, l’interpela Kareth.

 Le jeune homme hésita un instant, gardant sa paume collée dans un vain espoir de communiquer une dernière fois avec Dalga. Il se détourna et rejoignit ses compagnons de voyage. Ils se mirent aussitôt en route.




 Le golem, être de métal sombre animé par un cœur de feu, avait pris la tête du cortège. D'une hauteur d'homme, il marchait à une allure correcte en émettant des grincements réguliers. Ses yeux de lumières fixaient le tunnel devant lui. Guad se demanda comment pouvait bien fonctionner une telle entité.

 — Je commence à avoir faim, lança Locro avec entrain.

 Guad sourit en entendant le glouton ambulant débuter ses jérémiades. Locro avait un corps musclé, aussi solide que la roche qu’il avait travaillée depuis qu’il était gamin, et pour l’entretenir, il dévorait à longueur de temps.

 — Tu attendras que l’on prenne une pause, rétorqua Kareth.

 — Elle est bien bonne celle-là ! dit-il dans un grand rire, en tapotant le cuir chevelu de la jeune femme.

 Elle se mit à grogner tout en repoussant sa main.

 — Je ne suis pas un animal Locro… Et je ne rigolais pas pour la pause !

 — Dis, golem, comment t’appelles-tu ? demanda le colosse, déjà passé à autre chose.

 Kareth fulmina, mais ne poursuivit pas.

 — Les messagers n’ont pas de noms, maitre Locro. La Gueule n’a pas trouvé d’utilité à nous en accorder.

 — Il faut t’en donner un alors ! Ce sera bien plus pratique pour discuter. (Il se tourna vers ses compagnons.) Des idées ?

 Kareth détourna la tête en refus de réponse, tandis que Guad se mit à réfléchir en se passant une main distraite dans le cuir chevelu.

 — Je sais ! On va t’appeler Métalbrun !

 — C’est nul, répliqua la jeune femme à Locro. C’est comme l’appeler Golem, ça n’a aucun sens.

 — C’est vrai que Golem c’est sympa aussi

 — Tu le fais exprès là ?

 Les yeux pleins de malice, Locro afficha un grand sourire à Kareth.

 — Je te fais marcher voyons, on ne va pas le nommer Golem, ce serait idiot. Tu es vraiment crédule parfois, Kareth.

 Cette dernière s’accroupit, se munit d’un caillou et le lança dans la direction du farceur. Ce qui eut pour effet de simplement le faire pouffer de rire tandis qu’il évitait le projectile. Elle se baissa pour en prendre un second.

 — Dux ? proposa Guad.

 — Dux ? répétèrent en cœur ses compagnons.

 — Si je me souviens bien, cela veut dire Guide dans l’ancienne langue.

 — Ce n’est pas trop mal, avoua Kareth tout en laissant tomber au sol la pierre qu’elle s’apprêtait à lancer.

 — Alors c’est décidé, dit Locro en s’adressant au golem, tu t’appelles Dux dorénavant.

 L’intéressé pencha légèrement la tête sans répondre, son visage d’acier ne permettant en rien de deviner le fil de ses pensées.

 — Entendu maitres.

 — Dux le golem, Dux le golem, se mit à chantonner en boucle Locro, fier de savoir que leur compagnon avait désormais un nom.

 — Pitié non… implora Kareth, une main sur la figure.

 Guad ne dit mot, mais ne put s’empêcher de tapoter distraitement du doigt en rythme. Ils continuèrent ainsi leur chemin dans le tunnel mal éclairé, avançant à la mesure de la « chanson » du colosse.




 Le tunnel avait changé à mesure de leur progression. On pouvait voir ça et là des racines passer au travers des parois de la Gueule, des champignons pousser aux pieds des murs. Des rochers tirant sur le bleu ou le rouge piquèrent la curiosité des voyageurs. Dux les informa qu’il s’agissait de « cosses minérales » que la Gueule engendrait dans les souterrains.

 Les premières étaient bleues et recelaient de l’eau sous cette pellicule de pierre. Locro tenta d’en briser une pour vérifier, mais il ne parvint qu’à l’égratigner. Dux réussit à créer quelques fissures en serrant quelques secondes le minerai entre ses poignes métalliques. Il enfonça ensuite d’un coup sec un de ses doigts crochus pour y percer un trou, ce qui permit ainsi au groupe de boire le contenu. L’eau était fraîche et exempte de tout résidu de pierre.

 Les cosses rouges étaient différentes. Plus petites que les autres, le golem expliqua qu’il fallait les briser, puis les asperger d’un peu d’eau. Comme un effet éponge, les morceaux se ramollissaient ensuite et devenaient comestibles. La consistance était caoutchouteuse en bouche, mais le goût n’était pas mauvais : un mélange acide et terreux. Curieux, mais pas désagréable. Et surtout pratique. Ils auraient donc des vivres à portée de main sur le chemin.

 Le groupe parcourut une quarantaine de kilomètres avant que les pierres de lumière commencent à perdre en intensité. La température aussi avait baissé. Ils s’accordèrent pour faire une pause pour la nuit.

 — Je vais chercher de quoi préparer un feu, annonça Dux alors que ses trois compagnons installaient leurs affaires.

 Il repartit dans la direction d’où ils venaient de son pas grinçant jusqu’à disparaitre dans l’obscurité au bout d’une dizaine de mètres. Il revint cinq minutes plus tard avec les bras chargés de racines ainsi que quelques morceaux de charbon.

 — Ah, parfait ! s’exclama Locro en remarquant que le golem approchait.

 Il sortit quelques outils de ses affaires et s’avança vers le foyer que préparait Dux. Ce dernier en le voyant approcher, leva la paume pour le stopper.

 — Ce ne sera pas nécessaire.

 Il mit sa main sur les charbons posés en dessous du bois. Son cœur brilla plus fort quelques instants, illuminant brièvement, mais vivement les alentours. Les fragments de minerai virèrent à l’orange et émirent quelques crépitements, les racines s’enflammèrent quelques secondes plus tard. Le feu de camp était prêt. Locro considéra tour à tour ses outils et les flammes devant lui.

 — Pratique.

 Il reposa ses affaires et se rapprocha du foyer pour s’assoir. Guad et Kareth firent de même, profitant autant que possible de la chaleur prodiguée. Locro sortit quelques tranches de viande séchée d’une sacoche et en proposa à ses compagnons. Guad accepta volontiers, tandis que Kareth refusa poliment. Le colosse posa ensuite son regard sur le golem qui restait plus en retrait dans la pénombre du tunnel. Il haussa les épaules, se leva et lui tendit un morceau.

 — C’est de la viande séchée, du mouton. Tu en veux Dux ?

L’intéressé leva son visage d’acier et le fixa un instant en silence.

 — Je suis un golem, maitre Locro, répondit-il. Je ne mange pas.

 Locro fit la moue, insatisfait par l’explication. Il haussa finalement les épaules et se rassit près du feu. Le repas demeura simple : viande séchée accompagnée de morceaux de rubitre — Locro avait décidé que la nourriture issue des cosses rouges s’appellerait ainsi — et quelques champignons. Ils se sustentèrent en silence, perdus dans leurs réflexions.

 — Locro, tu nous racontes une de tes histoires à dormir debout ? demanda Guad.

 Le jeune homme préférait penser à autre chose que son foyer qu’il venait de quitter. Heureusement, son ami était un excellent conteur quand il s’agissait de parler de ses « aventures ». Toutes exagérées, mais toutes basées sur de vrais évènements.

 Le grand gaillard chauve se frotta le menton un instant en hochant la tête.

 — J’en ai une bonne pour vous alors, s’égaya-t-il. C’était il y a de ça quoi… cinq ans ?

 Un des points forts de Locro en conteur était son habitude de ponctuer chacune de ses phrases par de larges gestes représentatifs des images qu’il décrivait. Il maitrisait le ton et le rythme, et savait utiliser les mots avec habilité. Même les anecdotes ridicules pouvaient prendre des proportions gargantuesques avec lui.

 Il adressa un signe à Dux, l'invitant à écouter l'histoire avec eux. Le golem s'exécuta.

 Ainsi raconta-t-il la rocambolesque péripétie de Locro et l’enfant perdue. Une histoire épique où une gamine du nom de Chloé disparut du village sans que personne ne sache où elle pouvait être. Ses parents, inquiets, suppliaient tous les passants de les aider à retrouver leur petite fille. Locro, n’écoutant que son courage, avait répondu à l’appel et s’était attelé directement à la tâche. Après des heures de recherches intensives, la persévérance avait finalement payé. La jeune Chloé s’était retrouvée avec le pied bloqué dans un trou et elle n’arrivait pas à le dégager. Malheureusement, au moment où il l’aperçut enfin, un troupeau de chèvres chargeait droit dans sa direction. Locro avait foncé et s'était servi de son corps pour faire bouclier. Intimidées par un tel homme, les bêtes s’étaient alors stoppées net devant lui, avant de repartir brouter de l’herbe plus loin. Locro avait pu alors ramener la petite fille à ses parents, saine et sauve.

 — Tu n’as pas l’impression d’avoir oublié deux ou trois détails par hasard ? insinua Kareth, amusée.

 Elle aussi appréciait les récits de leur ami, elle avait attendu patiemment la fin avant d’émettre son objection. Guad, pour sa part, ne pouvait pas s’empêcher de pouffer de rire.

 — Je ne vois pas de quoi tu parles, affirma Locro.

 Mais évidemment, son audience connaissait la véritable histoire. Ils avaient participé à la recherche de la gamine.

 — Oh, je ne sais pas, continua la jeune femme, par exemple qui a vraiment retrouvé Chloé ? Ou alors pour quelle raison les chèvres se sont-elles arrêtées ?

 — Ou pourquoi se sont-elles affolées dans un premier temps ? enchaina Guad à son tour.

 — Des détails tout ça, éluda le conteur, ça n’intéresse personne.

 — C’était un récit impressionnant maitre Locro, dit Dux, vous êtes un homme courageux.

 — Ah, vous voyez ! Voilà quelqu’un qui m’apprécie à ma juste valeur.

 Guad et Kareth ne purent s’empêcher de rire à cette idée. Le golem, lui, regarda le duo sans rien dire de plus.

 — En fait, il manque des morceaux à son histoire Dux, expliqua Guad. Par exemple, c’est moi qui avais retrouvé Chloé bloquée dans un trou. Elle était entourée de chèvres à ce moment-là, mais elles étaient calmes.

 — Je ne comprends pas, dit le guide. Maitre Locro a dit qu’un troupeau déchainé fonçait sur l’enfant.

 — Ce n’est pas entièrement faux à vrai dire. Mais c’est parce que lorsque j’ai annoncé que je l’avais trouvé, Locro s’est précipité vers elle en hurlant comme un fou furieux et en agitant les bras. Les chèvres ont paniqué et ont commencé à courir dans tous les sens.

 — Oh.

 — Notre cher héros s’est en effet interposé devant la gamine, mais elles ne se sont pas arrêtées tout de suite. D’abord, il a eu le droit à son compte de coup de crâne et de sabots.

 Locro croisa les bras et tourna la tête en tirant une grimace.

 — Et comment cela s’est-il fini ? demanda le golem.

 — Le boudeur que tu vois là a été sauvé par Kareth, termina Guad. C’était le troupeau de chèvres de son père, un simple ordre de sa part a suffi à les éparpiller.

 — Impressionnant. Vous êtes une femme pleine de ressources Kareth, complimenta Dux.

 L’intéressée se mit à rougir légèrement et s’affaissa sur elle-même.

 — Gngngn, vous êtes une femme pleine de ressources Kareth, bougonna Locro de son côté.

 Une pierre vola dans sa direction, mais le loupa de peu.

 — Si ça ne te plaît pas, tu n’as qu’à être le sauveur alors la prochaine fois, railla Kareth en retirant la terre de sa main.

 — Je n’y manquerais pas ! répliqua Locro.

 Guad s’étira de tout son long et bailla à s’en décrocher la mâchoire. La fatigue l’avait rattrapé. Quelques mots furent encore échangés entre les compagnons, puis ils finirent par se laisser happer par le sommeil.

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