Chapitre 5

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 La porte du salut était déserte à cette heure-là, les autres membres de l’expédition n’étaient pas encore arrivés. Les lieux étaient plongés dans la pénombre, les cristaux n’émettaient qu’une faible lumière tout juste suffisante pour voir autour de soi. Une petite brise traversa la place, créant de multiples tourbillons à la robe poussiéreuse sur son chemin.

 Le jour du départ était arrivé bien trop vite au goût de Guad. Locro et Kareth trépignaient probablement d’impatience, mais ce n’était pas le cas du jeune homme, loin de là. Pourquoi ce voyage lui était-il imposé de la sorte ? Ses parents n’en étaient jamais revenus, leurs prédécesseurs non plus. Cela voulait donc dire qu’il verrait Dalga pour la dernière fois aujourd’hui. Guad passa une main dans ses cheveux, comme s’il cherchait à y retirer quelque chose de gênant.

 Il leva doucement les yeux vers la grande arche de pierre que l’on appelait porte du salut. Elle dépassait les dix mètres de hauteur pour une largeur de sept mètres environ et revêtait un aspect inquiétant en ce jour. L’ombre lui faisait corps, le passage s’apprêtait à engloutir quiconque franchirait son seuil. Guad allait être emporté par la Gueule et ne reviendrait pas, ce qui n’était pas si différent que d’être dévoré.

 — Bonjour Guad, lança une voix de femme dans son dos.

 Il se retourna pour faire face à Kareth. Elle portait des vêtements de voyage gris et marron, ainsi que plusieurs sacoches bien remplis. Elle sourit à Guad, mais il y remarqua sans difficulté la compassion qui s’y trouvait. Il s'agissait d’une bonne intention, mais cela irrita Guad, qui ne put s’empêcher de serrer les mâchoires. C’était immature de sa part de le prendre comme ça, tout ce qui arrivait n'était aucunement la faute de son amie. Pourtant, la colère et le désespoir ne désenflaient pas en lui.

 — Bonjour, Kareth, dit-il finalement. Comment te sens-tu ? Prête ?

 — Pas vraiment, avoua la disciple, mais il le faut, pas vrai ? La Gueule et les gens d’ici comptent sur nous après tout.

 Cette réponse surprit Guad. Kareth était, de ce qu’il avait toujours connu, une femme de caractère dont la foi n’était plus à prouver. Il s’était attendu à ce qu’elle soit plus déterminée.

 — Tu n’es pas heureuse d’avoir été choisie ?

 — Bien sûr que si, rétorqua-t-elle en le foudroyant du regard, mais ce n’est pas ça. Simplement… Je ne reverrais plus ma famille. Je leur ai fait mes adieux hier soir déjà.

 Kareth se frotta le bras, gênée par ses propres propos. Dans sa bêtise, Guad s’était imaginé qu’elle serait heureuse et confiante de partir pour ce voyage. Elle aussi ne savait pas ce qui l’attendait, s'était rendu compte de ce qu'elle perdait et quittait des proches pour s’engager dans ce pèlerinage. Guad baissa légèrement la tête.

 — Désolé, c’était idiot.

 — C’est normal, tu es idiot, lança-t-elle avec un sourire en coin. Et toi, comment te sens-tu ?

 — Difficile à dire, j’aurais aimé avoir plus de temps devant moi. Mais si c’est notre devoir, alors je suppose que je devrais être honoré que ce soit enfin l’heure.

 Kareth ne répondit pas, mais planta ses yeux marron sur lui, comme pour percer la carapace dont il se revêtait depuis des jours. Il détourna le regard, ne voulant pas se prêter au jeu de son amie.

 Un cortège s’approchait d’eux : Locro, le prélat Duralle, le golem, ainsi que quatre prêtres haut placés du temple. Une fois arrivé, Locro se précipita sur Guad et l’attrapa par le cou comme s’il cherchait à l’étrangler. Il accompagna sa saisie en ébouriffant sans pitié les cheveux de sa victime, qui ne réussit pas à se défendre.

 — Salut l’idiot ! s’exclama le géant avec fougue. Alors ça y est, c’est le grand jour ! On va emprunter le chemin sacré que la Gueule nous a réservé ! (Il lâcha prise et se lança sur sa proie suivante.) Pas vraie Kareth ? On est des élus, on va pouvoir rendre nos ancêtres fiers !

 — Hmpfr hmpfr…

 Locro l’avait attrapé à bras le corps et la souleva sans difficulté pour la serrer contre lui. De son mètre soixante, la pauvre Kareth se retrouva étouffée, les pieds gigotant dans le vide dans une veine tentative pour sortir de l’étreinte. Il finit par la lâcher, lui permettant enfin de respirer. Elle le considéra avec un mélange de colère et de frustration qui déclencha un grand rire au concerné.

 — Mes enfants… interpela le prélat.

 Ils se tournèrent vers lui en reprenant un semblant de calme, sauf pour Locro qui ne pouvait s’empêcher de pouffer de rire. Le regard que lui jeta le vieil homme suffit cependant à le rappeler à l’ordre.

 — Locro. Kareth. Guad. Je voudrais que vous sachiez que je suis extrêmement fier de vous. Ce que vous allez réaliser est crucial. Pour nous, mais aussi pour vous. Vous êtes très certainement inquiets, anxieux et tristes. La peur est née dans votre cœur et vous aimeriez peut-être même que toute cette histoire n’ait jamais existé. (Il leva une main, comme pour apaiser une situation délicate.) C’est normal mes enfants, l’avenir est terrifiant lorsqu’il est incertain. Mais n’oubliez pas que votre chemin n’est pas véritablement inconnu. C’est celui que vous a offert la Gueule. Vous ferez moult découvertes, vous vivrez des évènements que les habitants de Fatum ne sont même pas capables d’imaginer. Alors il faudra vous armer de courage, de patience et de volonté. N’oubliez jamais que peu importe les difficultés, peu importe, à quel point tout cela vous semblera long et futile, tout ceci n’est qu’une étape pour vous avant d’atteindre la vérité. Gardez la foi, restez fort dans vos corps, dans vos cœurs et dans vos esprits. Ne flanchez pas, continuez. La Gueule saura vous récompenser lorsque vous serez auprès d’elle.

 Personne ne répondit au prélat. Ces mots étaient tombés sur les épaules de Guad comme s’ils étaient de plomb. Chaque phrase le rapprochait du départ… et l’éloignait de Dalga. À jamais.

 — Que la Gueule entende vos voix et protège vos cœurs, psalmodia le vieil homme. Maitre Golem, je vous laisse la parole pour leur expliquer un peu plus le voyage qu’ils vont entreprendre.

 L’entité s’approcha, ses yeux de lumière dorée passèrent sur les trois disciples.

 — Maitres élus. Comme l’a dit le prélat Durasse, le chemin qui nous attend vers la vérité sera long. (Il pointa du doigt la paroi dans la porte du salut.) Je nous ouvrirais d’abord un passage dans la Gueule afin que nous puissions rejoindre un tunnel qui nous permettra de progresser vers notre destination. Si vous avez des questions ou des souhaits auxquels je peux répondre, n’hésitez pas à me les formuler. Je suis votre guide, mais aussi votre protecteur.

 — Notre protecteur ? s’étonna Locro. Eh bien, nous n’avons pas à nous inquiéter de quelconques problèmes sur le chemin alors. J’aurais quelques questions du coup, pour ce qui est…

 Guad aperçut une autre silhouette dans le dos du prélat, ce qui lui fit complètement perdre le fil de la discussion. Dalga l’attendait, elle l’attendait pour leurs derniers instants ensemble.

 — Veuillez m’excuser, dit-il sans chercher de réponse.

 Il rejoignit d’un pas lourd sa compagne, son cœur battant la chamade à une vitesse bien trop élevée. Sa bouche était sèche comme s’il s’était nourri exclusivement de sable depuis des jours. Il arriva devant elle et son rythme cardiaque s’accéléra encore.

 — Je suis désolé, marmonna-t-il en baissant les yeux, incapable de croiser son regard.

 — Ne sois pas ridicule !

 Guad releva instinctivement la tête pour dévisager Dalga. Il s’était attendu à la trouver en pleurs, mais au lieu de ça, elle le transperçait de ses yeux noisette, les sourcils froncés.

 — Que…

 — Calme-toi Guad, l’interrompit-elle en croisant les bras. Tu pars dans une quête pour permettre à tous de continuer à vivre, alors tu n’as pas à t’excuser de quoi que ce soit. Nous avons passé ces derniers jours à crier, hurler, pleurer… et surtout à nous aimer. Je ne veux pas que notre séparation en larmes soit le dernier souvenir que tu aies de nous.

 Le jeune homme ne put s’empêcher de se mordre la lèvre inférieure pour contenir ce qu’il ressentait. Ils s’étaient tout dit cette semaine, encore et encore, pendant des heures durant. Il n’était plus temps aux mots et aux excuses. Il s’approcha d’elle et la prit dans ses bras. Elle lui rendit l’étreinte aussi fort qu’elle put. Ils restèrent comme ça un long moment, appréciant la simplicité de ce contact.

 — Guad Deoredei, tu es et resteras mon unique.

Les vœux de mariage…

 Sa voix avait un peu tremblé lorsqu’elle les avait prononcés. Ses émotions reprenaient le dessus.

 — Dalga Mulierfortis, tu es et resteras mon unique.

 Ils s’embrassèrent une dernière fois, puis rejoignirent le groupe qui les attendait sous l’arche. Remarquant le retour de Guad, le prélat tapa dans ses mains.

 — Bien, avant que vous partiez, je vous demanderais de me remettre vos tablettes, déclara-t-il.

 Chacun fouilla dans ses affaires pour sortir de petites tablettes d’argiles où ils avaient écrit quelques mots. Leur héritage pour les prochaines générations d’élus. Ils les confièrent aux prêtres puis se placèrent près du golem qui patientait devant de la paroi. Il était l’heure. Guad n’était toujours pas prêt, mais la Gueule n’attendrait pas qu’il le soit. Il se tourna une ultime fois vers le comité de départ, et surtout vers elle. Il se saoula de cette dernière image et se félicita d’avoir aimé une telle femme. Elle avait raison, comme très souvent. En son esprit, il la verrait fidèle à elle-même, forte et le sourire aux lèvres, encaissant avec bravoure leur séparation. Guad du se retenir de nouveau en se mordant l’intérieur de la joue. Il devait suivre son exemple.

 — Que la Gueule bénisse vos pas et vous accorde sa protection, encouragea le prélat.

 Les prêtres répétèrent la prière à leur tour, d’une voix plus forte et cérémonieuse. Locro et Kareth saluèrent leur départ de grands gestes tout en criant ce qu’ils avaient sur le cœur. Guad put lire les derniers mots que lui adressa sa compagne sur ses lèvres.

« Je ne t’oublierai pas. »

 Il ne put retenir un sourire. Derrière lui, le golem posa sa paume sur la paroi de la Gueule. Celle-ci, dans un bruit de succion, se retira pour libérer un passage à peine assez grand pour lui. Il s’y engouffra et invita ses compagnons de voyage à le suivre. Tous trois pénétrèrent un à un dans le tunnel.

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