Chapitre 3

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 Guad s’était assis sur un muret de pierre aux abords de la bâtisse religieuse. La Gueule s’assombrissait rapidement, la lumière des cristaux s’estompait, cédant la place à une pénombre de plus en plus oppressante. À cette heure-ci les habitants affluaient vers le temple, prêts pour la prière commune avant de rentrer chez eux pour la nuit.

 Finalement, Guad n’avait pas eu le temps de se reposer un peu chez lui. Il avait sauté dans des habits propres et était reparti aussitôt. En plus de sa fatigue physique, il se sentait mal à l’aise, sans trop savoir pourquoi.

 — Salut beau brun. Tu attends quelqu’un ? demanda une voix féminine dans son dos.

 — J’attends une jolie blonde qui va m’accompagner à la prière, répliqua-t-il un sourire aux lèvres sans se tourner.

 Sa plaisanterie fut accueillie par un pincement à l’épaule. Dalga le foudroya du regard, puis continua sa route vers le temple, un air boudeur au visage. Vêtue d’une robe beige somme toute classique, elle ne manquait pas pour autant de charme. Ses longs cheveux de la couleur du feu ondulaient le long de sa nuque et descendaient jusqu’au milieu de son dos. Guad ressortit de sa contemplation, la rattrapa et lui chuchota à l’oreille :

 — Après, il est vrai qu’une jolie rousse aux courbes exquises pourrait être un bien meilleur choix.

 La jeune femme se retourna vers lui, le toisa un instant du regard et reprit son chemin, d’un pas plus lent.

 — Humpf ! Tu as de la chance que je sois si gentille, plaisanta-t-elle, sans pouvoir s’empêcher d’esquisser un sourire.

 Ils rejoignirent les fidèles qui rentraient dans le bâtiment et passèrent sous l’alcôve principale. À mesure qu’ils avançaient au milieu de la foule, Guad sentait une sorte d’attraction dans le sanctuaire. Son regard se porta instinctivement vers le puits de vie. D’une largeur de dix mètres de diamètre, cette grande surface d’eau sacrée, dont la profondeur n’excédait pas les cinquante centimètres, se trouvait en plein centre du temple. Les anciens écrits attestaient même que le bâtiment avait été érigé directement dessus, si bien qu’il revêtait un caractère très sacré auprès des croyants.

 L’endroit était à peine éclairé, de simples lanternes pendaient au-dessus du puits. Une centaine de personnes, assises en tailleur, attendaient patiemment que la prière commence. Le couple prit place à un emplacement libre et se mit en position.

 Le prélat Duralle arriva quelques minutes plus tard, alors que les lieux étaient maintenant pleins à craquer de fidèles. La prière se déroula comme les fois précédentes : le vieux religieux prononça quelques mots, vantant la bonté de la Gueule et encourageant la foi des gens qui lui faisaient face. Il bénit ensuite quelques croyants, dont un couple qui allait se marier, avant de laisser place à la méditation silencieuse.

 Il s’agissait là d’un moment d’introspection sur soi-même, où le fidèle se remettait, lui et ses actions, en question. Il pouvait ainsi exposer à nu ce qu’il ressentait à la Gueule, ce qu'elle récompenserait par la suite pour la sincérité de son acte. Pourtant, Guad ne put focaliser son esprit sur quoi que ce soit. Ce lien le tiraillait et l’obnubilait au plus haut point. Le jeune homme était maintenant certain que son attrait résidait dans l’étendue d’eau, sans être capable de définir comment il le savait.

 — Que la Gueule entende nos voix et protège nos cœurs.

 Sur ces mots, le prélat leva la séance et les fidèles rentrèrent chez eux d’un pas plus léger qu’à leur arrivée. Guad, pour sa part, ne put se soustraire à l’attraction qui le tiraillait à l’intérieur de lui. C’était devenu une obsession, il ne parvenait même plus à y réfléchir de façon censée. Dalga, le front plissé d’un trait d’inquiétude, le consulta du regard.

 — Guad ? Ça va ?

 Il ne répondit pas, se leva, puis s'approcha du puits, d'un pas mesuré et alerte, son ombre se dessinant dans son sillage. Il avait le droit de rester en ces lieux après la prière, mais il ne pouvait s’empêcher d’éprouver une certaine méfiance.

 Le jeune homme arriva au bassin et s’assit à son bord. Il observa l’eau avec attention, dévisagea son reflet à peine visible à cause du manque de luminosité.

 — Pourquoi suis-je ici ? se chuchota Guad à lui-même.

 Ses traits ne lui plurent pas. Il y vit l’image qu’il s’était construite depuis tant d’années, celle d’un garçon qui avait surmonté l’épreuve d’avoir grandi sans ses parents. C’était là le visage d'un homme fort et courageux, pas celui d’un petit garçon. Pourtant, il ne put s’empêcher de regarder plus loin derrière cette façade. La solitude. La tristesse. La peur. Guad serra la mâchoire et ferma doucement les yeux. Il n’arrivait même plus à se souvenir du visage de ses parents.

 Une vague brève se propagea si subtilement qu’il faillit ne pas la voir. Puis une deuxième. Guad releva la tête, mouvement presque commandé par cette force invisible qui le possédait. C’est à ce moment qu’il remarqua que quelque chose clochait avec le puits. Son centre brillait légèrement, comme si une flamme invisible brûlait sous l’eau. Le jeune homme se releva pour mieux observer la scène. Dalga, qui l’avait rejoint, avait les yeux grands ouverts par la surprise et son front plissé par l’inquiétude. La lumière prit graduellement en puissance, jusqu’à devenir presque aveuglante. La surface s’agita de plus en plus. Le couple dut se couvrir les yeux pour ne pas être ébloui. Puis l’éclat disparu d’un seul coup, l’eau reprit sa stabilité.

 — Qu’est-ce que… ?

 Guad ne comprit pas. À la place de la lumière, il put apercevoir une boule de couleur brunâtre qui perçait presque la surface de l’eau. D’un diamètre de soixante centimètres, elle était faite d’une matière que le jeune homme n’aurait su identifier. Guad resta là, son regard fixé sur cet orbe. La source de ce lien hypnotique était cet objet, il en était maintenant persuadé. Dalga tremblait, elle était désormais accrochée à son bras au point que ses ongles s’enfonçaient légèrement dans la chair.

 — Il faut prévenir le prélat, articula-t-elle. Viens, Guad.

 Il aurait voulu réagir, foncer à l’étage du temple pour appeler un supérieur et lui rapporter ce qu’il avait vu. Mais il ne trouva pas la force de le faire. Son regard était happé par cette entité qui s’éveillait. Car cette chose était vivante, il le savait.

 — Je… Va le prévenir. Je reste ici.

 Dalga observa son compagnon, un peu déboussolée, avant de se détourner et de courir. Un spasme traversa la boule, la faisant vibrer assez pour provoquer des vaguelettes sur la surface paisible du puits. Une fente apparut en son sommet, et elle s’ouvrit doucement. Des bras et des jambes métalliques, de la même couleur marron, sortirent de l’intérieur de l’objet, sans pour autant en casser l’enveloppe. La sphère se déforma un peu, jusqu’à devenir un torse. Puis, un plus petit globe sortit en haut du torse et se mit en position. Deux points lumineux dorés apparurent et une ouverture se forma en dessous. La créature était éveillée. Une voix grinçante, monocorde et pénétrante se fit entendre :

 — Analyse de l’environnement. Bulle : Negata.

 Ses yeux virèrent au rouge et sa tête effectua lentement une rotation sur elle-même. Guad, captivé par la scène, se sentit transpercé par ce regard inexpressif. D’une main tremblante, il essuya son front moite.

 — Nombre de voix enregistrée : 195. Protocole Gueule lancé.

 Le golem dépassait les deux mètres, mais sa constitution parut vraiment étrange à Guad. On aurait dit un assemblage de plaques de métal qui, par une quelconque magie, tenaient toutes ensemble et permettaient même à la créature de se mouvoir. Au cœur de son torse, une lumière nouvelle se forma, comme un brasier qui prenait vie avec force. L’être de métal se redressa dans le bassin, tourna la tête d’un bruit grinçant et pointa ses yeux vers Guad. Ce dernier, incertain des intentions de l’entité qui lui faisait face, déglutit péniblement.

 — Bonjour habitant, dit-elle de sa voix si singulière. Je suis un golem envoyé par la Gueule.

Un golem ?

 Ce mot résonna au plus profond de la mémoire du jeune homme, ramenant des bribes de souvenirs mêlés à des flots de tristesse. Il ne lui fallut cependant pas longtemps pour tirer des conclusions de l’évènement auquel il venait d’assister.

 — Tu es un messager divin ? demanda-t-il d’une voix peu assurée.

 — En effet. Je suis ici pour emmener les élus de votre peuple vers la Vérité.

 Guad se souvenait pleinement maintenant. Ses parents, ainsi que ceux de Dalga avaient été élus. Mais le prélat n’avait jamais voulu expliquer en quoi consistait ce voyage ou ce qu’était cette Vérité. Il proclamait même ne pas le savoir, si bien qu’il avait toujours évité le sujet. Le jeune homme sentit sa respiration s’accélérer et son cœur battre à tout rompre. La panique s’insinuait en lui à la vitesse de la lumière. Le golem pointa alors un doigt à son encontre, ce qui provoqua chez lui un raidissement complet de tous ses muscles.

 — Et vous, Guad Deoredei, vous êtes un élu.

 Des bruits de pas résonnèrent dans son dos. Il tourna la tête et vit le prélat Duralle arriver en courant, encadrer de Dalga et d’autres fidèles du temple. Le chef religieux se posta devant le messager, réalisa une brève prière, puis s’agenouilla.

 — C’est un honneur de vous accueillir parmi nous, messager divin, dit-il d’un ton respectueux.

 — Prélat, répondit le golem, les élus ont été choisis par la Gueule. Ils entameront leur périple dans deux semaines pour recevoir l’illumination et connaitre la Vérité.

 Le vieil homme baissa encore plus la tête.

 — C’est une grande nouvelle que vous nous annoncez là. Puis-je savoir qui sont les élus en question ?

 Un bruit de craquement retentit d’abord, puis l’être de métal lui répondit.

 — Guad Deoredei. Locro Risughoul. Kareth Certafides. La Gueule les a choisis.

 — Qu’il en soit ainsi, entama le prêtre d’une voix qui, cette fois-ci, manqua quelque peu d’assurance.

 — Qu’il en soit ainsi, reprirent en chœur les fervents qui étaient eux aussi à genoux désormais.

 Dalga, déboussolée, observait tour à tour Guad et le golem. Le prélat se releva et se tourna vers le jeune couple.

 — Je pense que cela suffira pour ce soir. Dalga, Guad, rejoignez-moi demain matin au temple aux premières lueurs cristallines. Nous avons beaucoup à nous dire. (Il pivota ensuite vers les autres croyants.) Prévenez Locro et Kareth que je veux aussi les voir demain.

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