Prologue

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Je me nomme Dran Deoredei, fils de Rorgran Deoredei, mari de Lia Deoredei et père de Guad. En tant que cent treizième pèlerin, élu par l’ordre de la Gueule, je pose ces mots à l’attention de ceux qui me suivront, eux aussi en quête de la vérité. La Gueule est tout. Elle nous aime plus que nous ne sommes capables d’aimer quelqu’un. Mais pour recevoir son amour, elle nous met à l’épreuve. C’est à nous, pèlerins, de prouver que notre peuple mérite ce que l’on nous offre. L’illumination est à portée de mains, elle attend les plus croyants d’entre nous. À vous, futurs élus qui me succèderez, que votre foi vous guide, vous et votre golem. Ne flanchez pas et la Gueule saura vous récompenser.




 — Enfin terminé !

 Dran se redressa, tablette à la main, et étira son corps engourdi par le temps passé à l’écriture. Il venait de travailler presque deux heures entières pour poser ces quelques mots.

 — Papa ? lança une voix d’enfant derrière lui.

 Le pèlerin se retourna et vit son jeune fils, à demi caché dans l’escalier. Il observait son paternel de ses yeux marron.

 — Depuis combien de temps attends-tu là ? demanda Dran en fronçant légèrement les sourcils.

 Guad se déroba un peu plus dans les marches, ne laissant dépasser qu’une partie de sa tête.

 — Cinq minutes, marmonna-t-il.

 — Cinq minutes ? Vraiment ?

 Il ne restait plus qu’une tignasse de cheveux bruns qui trahissait la présence de Guad maintenant. Dran poussa un soupir : au lieu de dormir, son fils avait encore veillé.

 — Allez, viens par ici.

 Le gamin ne se fit pas prier. Il fonça à toute allure vers son père et se jeta de tout son poids dans ses bras. La réception ne fut pas une franche réussite. Dran le rattrapa et se laissa tomber sur le dos, son fils allongé sur son ventre. Du haut de ses huit ans, Guad ne pesait pas encore bien lourd, mais il avait déjà de la force pour un enfant, surtout lorsqu’il chargeait à toute vitesse. Le gamin se releva, un large sourire contagieux aux lèvres.

 — Papa, papa ! C’est quoi ça ? demanda-t-il, les yeux brillants.

 Dran avait levé sa tablette au-dessus de lui instinctivement pour éviter qu’elle tombe après l’impact. Il se mit en position assise devant Guad.

 — Ceci est un message, fils. Il est pour les futures générations d’élus, les prêtres l’ajouteront aux autres.

 — Tu as écrit quoi ?

 — Rien de bien extraordinaire, Guad. Je ne suis pas très doué avec les mots, alors je suis resté sobre. J’y transmets simplement ma foi et…

 — Pourquoi tu as écrit ça ? coupa son fils.

 — Eh bien, c’est pour les pèlerins qui partiront après moi. Lorsqu’ils commencer…

 — Maman a dit que vous alliez bientôt vous en aller, l’interrompit-il de nouveau.

 Dran fut pris de court. Il avait tergiversé ces derniers jours, repoussant le moment où il annoncerait la nouvelle de son départ à son enfant. Mais il semblerait que Lia en avait eu assez d’attendre. Ou plutôt, elle avait eu le courage de lui dire ce qu’il méritait de savoir. Dran sentit sa gorge se nouer en voyant les larmes briller aux coins des yeux de son fils.

 — C’est vrai, soupira son père. Ta mère et moi avons été choisis pour être les prochains à avoir le droit de découvrir la Vérité.

 — Mais je ne veux pas que vous partiez, moi ! Pourquoi vous me laissez ? J’ai fait quelque chose de mal ?

 Dran sentit son cœur se contracter. Il se mordit la lèvre inférieure, avant de prendre Guad dans ses bras.

 — Bien sûr que non, mon fils. Ta mère et moi nous t’aimons, tu n’as rien fait de mal. (Il serra un peu plus fort.) La Gueule nous a élus, alors nous devons lui répondre.

 — La Gueule ? sanglota le gamin.

 Dran relâcha doucement son étreinte pour libérer Guad.

 — C’est normal que tu ne saches pas très bien de quoi je parle. Tu viens à peine d’avoir huit ans, tu commences seulement à suivre les enseignements du prélat. Mais je vais t’expliquer un peu, alors écoute bien, mon fils.

 Guad opina, le visage toujours empreint de tristesse. Dran s’allongea sur le dos et pointa du doigt le plafond qu’ils avaient au-dessus de la tête. Bien qu’il faisait sombre, on voyait une véritable constellation de cristaux quasiment éteints, encastrés dans la matière, plus de deux cents mètres en hauteur.

 — De quoi est fait ce plafond d’après toi ? questionna le père.

 — De terre ?

 — Pas exactement Guad. On dirait de la terre, mais c’est différent. C’est vivant pour être précis. C’est une matière qui entoure toute cette caverne où nous sommes. Les murs, le plafond, mais aussi le sol à partir d’une certaine profondeur, tout cela appartient à une seule et même entité. Ce sont les parois de la Gueule.

 Dran tourna la tête vers son fils et put constater le visage perplexe que celui-ci affichait. Les sourcils froncés, il lui demanda :

 — C’est de la terre vivante ?

 — C’est un peu plus que ça, répondit Dran en riant. Pour nous, c’est une des manifestations physiques de notre divinité. La Gueule est un ensemble. C’est elle qui nous illumine avec les cristaux que tu vois tous les jours au plafond. C’est aussi grâce à elle que nous pouvons boire et manger. Elle nous fournit une terre fertile et des cours d’eau pure. La Gueule est généreuse, elle nous donne ce dont nous avons besoin pour vivre.

 Dran posa sa tablette sur le côté et ébouriffa les cheveux de Guad, lui arrachant une plainte. Il continua :

 — Mais tu sais mon fils, l’amour n’est une belle chose que lorsqu’elle est partagée. Et la Gueule a besoin qu’on lui prouve notre amour. Alors pour cela, elle envoie un de ses serviteurs pour nous tester.

 — Le golem ? tenta le jeune garçon. J’ai entendu maman en parler.

 — Exactement. C’est un être dépourvu d’émotions dont le rôle est de guider et de protéger les élus de notre peuple durant leur périple. Avec son aide, les pèlerins comme ta mère et moi font chemin pour apprendre la Vérité et bénéficier de l’illumination de la Gueule. C’est un messager divin.

 — C’est quoi la Vérité ? Je ne comprends pas.

 — Seuls les élus qui réussiront leurs voyages le sauront. Mais ce n’est pas le plus important Guad. Nous voyageons pour la Gueule et pour permettre aux nôtres de vivre avec sa bénédiction.

 Guad observa le plafond d’une mine boudeuse. Il se leva finalement, se rapprocha de son père et le frappa au ventre. Dran surprit, n’eut pas le temps de se protéger.

 — C’est nul la Gueule, je la déteste ! cria Guad, avant de partir en courant vers les escaliers.

 Dran resta là un moment, à regarder vers la direction où son fils venait de disparaître, les mâchoires serrées.

 — C’est aussi pour toi que je le fais, petit bonhomme. Tu comprendras un jour.

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