Chapitre 2 - 9 milliards de nuisibles

8 minutes de lecture

Ian était encore stupéfait. Cela faisait deux bonnes années qu’il n’avait pas vu son supérieur militaire. Car même si il avait été remercié, il faisait toujours partie – en théorie du moins - du corps militaire.

Le général-en-chef rompit le silence :

"Puis-je entrer ?" demanda-t’il.
- Je vous en prie, général" répondit Ian.

Bien qu’il vivait seul, Ian profitait d’un appartement de fonction à vie même si ses fonctions au sein de l’Union étaient suspendues. Celui-ci était spacieux et confortable, sans être luxueux. C’est alors qu’un miaulement troubla le silence pesant, lorsque Derpy, un petit chat gris aux yeux jaunes, vint à la rencontre des deux hommes. Celui-ci n’était apparemment pas content qu’on le réveille en pleine nuit. Ian sourit, puis prit le petit chat dans ses bras, tandis que celui-ci tentait de s’installer tant bien que mal, de façon à ce que les bras de son maître soient confortables. Manque de pot, le répit ne dura pas longtemps puisque Ian le déposa quelques secondes plus tard sur le sofa. Derpy émit un miaulement plaintif, puis tâta de ses pattes avant l’endroit où il comptait reprendre sa sieste. Les deux hommes s’assirent alors à la table du salon.

"Café ? Thé ? Whisky ?" proposa Ian.
- Non merci, je suis en service. Mais un café ne serait pas de refus" répondit Meyers.

Ian se rendit donc dans la cuisine pour préparer un café, ainsi qu’une tisane pour lui-même, puis revint dans le salon.

"J’imagine que cette mission doit être importante pour que vous veniez à 23h30 chez un ancien de l’U.A.S, général", fit Ian en prenant une gorgée de sa tisane.

Le général-en-chef acquiesça, puis dit :

"Avez-vous entendu parler du Greenleaf, Walker ?"

Le Greenleaf. Une source d’énergie propre et autonome. Toutes les centrales, groupes électrogènes, et depuis peu, certains modèles de voitures l’utilisaient. Le gouvernement en avait même fait son fer de lance lors de la dernière campagne présidentielle. Le hic, dans tout ça, c’est que l’un de ses composants est répertorié comme étant l’un des 10 produits chimiques les plus dangereux de la planète. Un beau paradoxe en soi.

"Bien sûr, ce truc fait la une en ce moment. Les écolos disent que c’est le diable de la nature, parce qu’un de ses composants est extrêmement toxique, ou je ne sais quoi..."

"Effectivement. Ils ont de bonnes raisons de s’inquiéter, parce que même une infime fuite de ce produit peut avoir de belles conséquences."

"Laissez-moi deviner, continua Ian, c’est ce qui s’est passé ?"

Le général-en chef fronça les sourcils.

"Il y a un mois, près de Denver, aux Amériques Unies, un convoi transportant ce composant perdit un tiers de son chargement en faisant une sortie de route. 98% des barils retrouvés étaient indemnes. Les autres fuyaient un peu, mais le mal était fait."

Suite à ça, le général-en-chef fit apparaître sur la table interactive deux clichés, l’une prise juste après l’accident, l’autre prise aujourd’hui. Ian ne sut quoi dire devant ces photos, stupéfait des ravages de ce produit toxique sur la nature.

"Plus puissant que n’importe quel désherbant trouvable dans le commerce. Parait qu’il s’infiltre dans les nappes phréatiques en plus. Une vraie saloperie ce truc."

Ian reprit une gorgée de sa tisane, puis continua :

"Donc, si je comprends bien, ce n’est pas un cas isolé, et il y a déjà eu des fuites partout dans le monde ?"

Le général-en-chef acquiesça.

"La situation empire de jour en jour, Walker. C’est pourquoi l’on a besoin de vous. En tant qu’explorateur."
- Général, avec tout le respect que je vous dois, vous pensez sérieusement qu’il existe quelque part dans cet univers une planète capable d’accueillir 9 milliards de nuisibles ?" fit Ian.

"Vous êtes perspicace. Je comprends pourquoi on vous appelait le surdoué à l’école de formation." rajouta le général-en-chef.

Ian ne put s’empêcher de sourire à l’évocation de cette anecdote, sachant qu’elle était plus que véridique. Il fut le plus jeune haut gradé de l’U.A.S, après tout, obtenant le score maximal possible à l’examen final. Puis, posant sa tasse sur la table, il demanda :

"Vous savez, tout comme moi, que j’ai été remercié, Général. A moins que vous ayez dans votre attaché-case une boîte à miracle, c’est pas demain la veille que je reprendrai du service."

A ces mots, le général sourit. Ian fut interloqué par ce changement d’expression de sa part. Celui-ci sortit justement de son attaché-case un dossier en carton rigide. Sur le dessus, au feutre noir, était marqué "Walker".

"J’espère que vous croyez aux miracles, capitaine de vaisseau Walker."

Meyers ouvrit le dossier et y sortit un document ressemblant à un extrait de minutes de tribunal, et le tendit à Ian. Ce document provenait de la cour martiale de la Nouvelle Europe, qui prononçait le non-lieu de la décision de licenciement et de remise à la vie civile d’Ian. En d’autres termes, il était innocenté.

Ian ne sut quoi dire, tandis qu’il parcourait les pages du document. Il était maintenant libre de réintégrer l’U.A.S ! Libre de pouvoir remplir à nouveau des missions et de parcourir l’univers !

"Alors, si je comprends bien…" dit Ian.
"- Vous êtes réintégré théoriquement à l’U.A.S." répondit Meyers.
"- Théoriquement ?"

A ce mot, le général fronça les sourcils et demanda :

"Vous connaissez le Haut Conseil Aéro-Spatial ?
- Oui, ce sont huit personnes, qui d’ailleurs, sont techniquement vos supérieurs. Mais j’ai l’impression que vous ne les portez pas dans votre cœur."
- Exactement. Ces bureaucrates pètent plus haut que leur cul et adorent me mettre des bâtons dans les roues." répondit Meyers. "Ça serait dix fois plus facile de travailler si on ne me les avait pas collés aux basques".

Ian ne put s’empêcher d’esquisser un sourire.

"Et j’imagine qu’ils veulent me voir ?" demanda-t’il au général. Celui-ci acquiesça d’un rapide hochement de tête.

"Vous êtes libre demain à 10h30 ?"

Le lendemain matin, Ian se leva, le sourire aux lèvres, impatient de voir ce que ces bureaucrates avaient à lui dire. Il envoya un message à Tod, lui expliquant brièvement la situation, puis se dirigea vers les bureaux de l’Union Aéro-Spatiale, où siégait aussi le Haut Conseil Aéro-Spatial. Il s’assit dans une salle d’attente où, quelques minutes plus tard, Meyers le rejoignit.

"Pas trop stressé, Walker ?" demanda le général.

"Stressé ? Pourquoi devrais-je l’être, général ?" rétorqua Ian en souriant presque d’insouciance. "C’est la fin de presque deux ans de galère et de petits boulots minables."

"Il reste quand même un détail : même si c’est pratiquement sûr que vous soyez réintégré à l’issue de cette séance, il en reste pas moins une infime chance que ces péteux ne vous réintègrent pas." souligna Meyers. "Ces crétins sont toujours efficaces quand il s’agit de faire retarder un projet. L’Orion aurait déjà été sur pied deux ans plus tôt s’ils n’avaient pas mis leur grain de sel. Enfin, là c’est d’utilité publique, alors je pense qu’ils vous casseront pas les pieds longtemps."

Ils furent interrompus par une secrétaire qui les prévenait que le Haut Conseil était prêt à les recevoir. Elle les amena devant une porte à double battant, laquelle s’ouvrit sur une grande pièce ; le mur derrière eux était blanc, ainsi que le sol ; la pièce formait un hémicycle tourné vers une grande baie vitrée en arc de cercle, lequel donnait sur la ville, qui prenait son bain de soleil matinal.

Les huit conseillers se tenaient dans leurs sièges. Il s’agissait, pour la plupart, de quarantenaires ou de cinquantenaires, tous vêtus comme à un enterrement, pensa sur le moment Ian.

"Veuillez accueillir le commandant Meyers, et le capitaine de vaisseau Ian Walker" annonça la secrétaire.

"Très bien. Veuillez nous laisser, Mathilda".

La personne qui prononça cette phrase siégeait au bout de la longue table rectangulaire. Il était âgé, et pour cause, ses cheveux avaient presque tous blanchi. Un visage marqué par le temps, parsemé de nombreuses cicatrices, des yeux d’un bleu clair, une canne ouvragée trônant à ses côtés. On devinait une prothèse robotique qui devait remplacer l’une de ses jambes. Sur son costard, tenait tant bien que mal une croix argentée. Un médaillé de guerre.

"Asseyez-vous, messieurs" dit-il en désignant de sa canne deux fauteuils vides. Ils s’exécutèrent.

L’ambiance était pesante, presque solennelle, ce qui irritait Ian et plus particulièrement le général.

Le grand juré prit la parole, ayant sûrement perçu l’ambiance pesante qui rendait mal à l’aise Meyers et Walker.

"Ne vous inquiétez pas", dit-il, "Ça ne prendra pas long"

Il sourit, puis reprit :

"Capitaine Walker, nous avons réétudié récemment votre affaire de destitution, en vue de votre prochaine mission, et nous avons constaté plusieurs zones d’ombre que nous nous sommes efforcés, ces derniers mois, d’éclaircir."

Une autre jurée, à la droite du grand juré, prit la parole. Fin de trentaine, un chignon très serré et des lunettes carrées. Un regard sévère et un tailleur tout aussi pointu.

"Nous nous sommes aperçus, au cours de ce réexamen, de plusieurs vices de procédures et de multiples corruptions de fonctionnaires, initié par le second de votre promotion, votre ancien second, d’ailleurs, M. Walker. Nous l’avons… remercié, et bien sûr, il ne vous approchera plus, cela va de soi. Pour tout vous dire, il purge actuellement une peine de dix ans, dans la super-prison de la Bastille."

Ian se souvint de son second, un type assez irritable, pensa-t’il, jaloux de Ian et de sa place de premier de la promotion... La probabilité pour que cette situation se produise était grande, mais de là à ce que ce soit lui le commanditaire de sa déchéance… Le grand juré le ramena, une fois de plus, à la réalité.

"Ce qui nous ramène à vous, M. Walker", reprit le grand juré. "Votre grade vous est officiellement restitué, et un dédommagement vous a été attribué."

Ian afficha alors un grand sourire. Le grand juré continua, impassible :

"Ce qui nous amène maintenant à votre mobilisation. Le général Meyers vous a briefé, il me semble ?"

C’était la jurée qui avait pris la parole. Les six autres n’osaient pas ou ne voulaient pas prendre la parole. Ian acquiesça finalement.

"Bien, je crois que nous ayons terminé, à moins que vous ayez des questions, M. Walker."

Ian prit alors la parole :

"Croyez-vous sérieusement pouvoir faire quitter la Terre à 9 milliards d’humains ?"

Les jurés se regardèrent, puis un autre juré, plus âgé que sa collègue, qui arborait une montre ouvragée à son poignet droit, et des yeux vert pomme rehaussés de lunettes carrées qui lui donnait l’air strict, prit la parole :

"C’est une bonne question, mais ça, c’est à vous de pouvoir faire en sorte de nous trouver un nouveau chez-nous. Bien sûr, nous nous heurterons sûrement à quelques résistances, c’est certain, mais…
- Je crois que peu de gens voudront partir. Ceux qui le feront seront les auteurs d’une belle prise de conscience moderne.
- Mon cher Antoine, je crois que vous êtes un peu trop pessimiste.
- Et vous, un peu trop optimiste, mon cher Mickaël. Nous ne savons même pas si ce monde est hab…
- D’après les données rapportées par la sonde Eve, il l’est !"

Le président du Haut-Conseil coupa court à la dispute entre les deux jurés, et reprit la parole :
"Comme vous avez pu en avoir l’exemple ici, le sujet est un peu… épineux, et nous ne sommes pas certains qu’assez de personnes embarqueront, lorsque nous serons certains que la planète que vous nous trouverez est viable. Faites-en sorte que ce soit le cas."

Puis il ajouta : "Cette réunion est à présent terminée. Vous recevrez vos instructions de mission chez vous, ainsi qu’un kit de briefing complet."

Pendant ce temps, à l’autre bout de la grande cité, Tod Mavrine était en train de laver des tasses lorsqu’un hologramme se déclencha sur son comptoir. Un message urgent provenait de l’Union Aéro-Spatiale.

Il parcoura rapidement le contenu, puis il sourit.
Ian ne serait pas seul dans l’immensité du grand vide spatial.

Annotations

Vous aimez lire Hauru Ichidaru ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0