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La bourrasque froide souffla dans l'allée. Elle frappa ma poitrine, traversa mes habits et ma peau comme un millier d’épines. Je me ressaisis, refermai prestement mon manteau avec une main, et attrapai mon fardeau de l'autre.

Je continuai mon chemin le long de la rue désertée par les passants en ce jour d'automne. Je pouvais entendre le prochain coup de vent arriver et m'abritai rapidement sous un porche pour éviter son attaque.

Soudain, une nouvelle bourrasque s'engouffra dans l'allée, faisant s'envoler les feuilles mortes à mes pieds. Le vent les prit, les porta vers le haut ; elles dansèrent et tourbillonnèrent autour de moi, hors de la rue et hors de vue, loin au-dessus des toits de la ville. Je les regardai alors qu'elles s'éloignaient, jusqu'à ce que la dernière ait disparu. Je remarquai qu'une petite feuille rouge était restée coincée dans la fermeture de mon manteau. Je la libérai gentiment avant de la laisser s'en aller dans une énième bourrasque. Je soupirai avant de me remettre à marcher dans la longue montée qui menait à la maison.

Le phare était magnifique dans la lumière de cette fin d'après-midi. Il se dressait fièrement en haut de la falaise, au-dessus du vide. Le soleil brillait mais c'était un soleil d'hiver. En tout cas, c’était comme ça que je l’appelais. Mon père aurait plutôt dit que le soleil avait des dents…

Plus d'un an avait passé à Lor. Nous étions maintenant au début de la saison froide, ce qui sur Terre pouvait s'apparenter au mois de novembre. Comme ce jour où tout avait commencé. J'avais fêté mon anniversaire il y a peu de temps. Mais je ne savais pas vraiment lequel : avais-je vingt-six ans ou non ?

Quand le gardien de la lumière de Silda avait décidé de prendre sa retraite, Arthur n'avait pas hésité une seconde à reprendre son poste. Nous avions donc élu domicile dans cette grande demeure verticale aux murs de briques bleues et blanches. La seule contrainte était d'entretenir constamment la lampe et les miroirs pour éviter que le phare ne s'éteigne en pleine nuit. Mais c'était un moindre mal étant donné que ça nous permettait de vivre enfin ensemble sur cette lande battue par les vents. Loin de la ville d'Alma et de son nexus.

Je n'avais parlé à personne de ce qu'il s'était passé ce jour-là, sauf à Arthur. Pas que je n'en avais pas le droit, non. Mais je comprenais bien à présent pourquoi les habitants de l'île gardaient le silence sur l'existence de ce portail. Parce que la possibilité d'un retour sur Terre, si elle venait à être connue, anéantirait tous les efforts fournis pour permettre l'intégration des Terriens à Lor. Laisser croire que le voyage était sans retour restait l'unique moyen de faire respecter les règles par tous…

— Je suis rentrée ! Il y a quelqu'un à la maison ?

La pièce principale était réchauffée par un bon feu de cheminée, Arthur et Ian ne devaient pas être bien loin.

— Tu as fait bon voyage ? me demanda mon compagnon. Que nous ramènes-tu là ?

— Cool ! C'est Misty !

Le garçon se précipita pour ouvrir la porte de la cage, et libéra un gros matou roux tout ébouriffé. L'animal fit le gros dos avant d'aller se percher sur le dossier du fauteuil, défiant quiconque de l'approcher.

— Un chat, Eileen ? Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée en ce moment…

— Ne t'inquiète pas ! Je ferai attention. Brittany a accepté de garder cette pauvre bête l’hiver dernier, mais elle ne veut plus à présent.

— Je ne pense pas que notre ami reviendra de sitôt, tu sais… soupira Arthur.

— Je ne m'en fais pas trop pour ça, ris-je. Jake m'a assuré qu'il allait juste rectifier une petite erreur. Après tout, c'est un peu de notre faute : nous avons laissé le sceau intact et rien n'empêche une personne déterminée de l'utiliser. Aux dernières nouvelles, la Confrérie n'avait pas abandonné l'idée de se rendre à Lor. Même si ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus en ce moment…

Arthur garda le silence.

Mon regard se perdit dans le vide. Il me cachait quelque chose, j’en étais certaine. Et le séjour de Jake commençait réellement à s’éterniser. Pas au point de me pousser une nouvelle fois sur ses traces ; mais je ne pouvais tout de même pas m’empêcher de ressentir une certaine angoisse à l’idée qu’il ne rentrerait peut-être jamais.

— Tout va bien, Eileen ? À quoi penses-tu ?

— Je ne sais pas… Le travail me manque, je suppose.

— Ce n'est pas toi qui vas t'en plaindre ! Tu as autre chose à faire en ce moment que de traiter des dossiers…

Il me sourit et caressa mon ventre rond. Je souris aussi, une main posée sur la sienne.

— Tu as raison, dis-je. Nous vivons dans un monde où je suis fière de pouvoir amener un enfant. J'aurais eu bien plus de doutes pour son avenir sur Terre. Mais il n'empêche que j'ai peur. Tu crois que je serai à la hauteur ?

— C'est notre fille. Je suis et je resterai là. Tu peux compter sur moi. Nous l'élèverons ensemble et tout ira bien, ne t'en fais pas.

Nous restâmes un moment en silence, à admirer le coucher de soleil qui illuminait la pièce d'une douce lumière orangée. Le tapis de nuages à l'extérieur ressemblait à une mer de lave en fusion.

— Dis-moi, me demanda soudain Arthur. Et si c'était à refaire, changerais-tu quoi que ce soit à ce qui s'est passé ?

Je le fixai avec étonnement. S'il m'avait posé cette question quelques mois auparavant, j'aurais trouvé des centaines de détails à modifier, des fautes à réparer… Mais la vie n'était pas aussi simple. Chaque action, chaque erreur était importante. Elles nous permettaient de nous construire, d'avancer sur la voie qui nous était destinée. Je repensai à la fille que j'étais il y a quelques années à peine, et me rendis compte de tout le chemin parcouru.

Je regardai autour de moi. Si c'était à refaire…

— Je recommencerais exactement de la même façon. Sans hésiter.

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