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Je ne t'en veux pas d'être partie. J'aurais fait pareil si j'avais été toi. C'est de ma faute, je n'aurais pas dû te laisser dans l'ignorance. Le sceau est toujours sur le parking abandonné, si tu sais comment l'utiliser, retrouve-moi à Lor…

— Alors, où allons-nous ?

Je levai les yeux de la lettre de Jake. Arthur me tendait un plan de la ville. Je pointai une zone en banlieue, ce n'était pas très loin. La lune n'était plus qu'à une paume de l'horizon. C'était la dernière lune de l'été. Il fallait absolument ouvrir le portail cette nuit. Je regardai ma montre : trois heures trente. Bientôt…

— Eileen ?

— Oui, Ian.

— La voiture là, elle nous suit…

Je vis deux phares dans le rétroviseur. Mais ce n'était peut-être qu'une coïncidence, il pouvait bien y avoir d'autres voitures sur la route non ? Je m'apprêtais à rassurer Ian quand je vis le regard inquiet d'Arthur.

— Combien de temps faut-il pour ouvrir ce portail ? me demanda-t-il.

— Heu… Je n'y ai jamais pensé. Cinq minutes, je crois. Il faut juste…

— Je peux nous faire gagner du temps mais il faudra faire vite, m'interrompit-il. Tu y arriveras ?

— Oui.

J'avais à peine répondu qu'il accéléra brutalement avant de prendre un tournant à toute allure, ce qui arracha un petit cri à Ian. Je regardai derrière nous : la mystérieuse voiture nous suivait toujours ! Un nouveau tournant et elle fut hors de vue. Nous roulions toujours trop vite à mon goût. Je reconnus un grand bâtiment au coin de la rue.

— A gauche, puis la deuxième à droite !

Nous arrivâmes sur le parking désert bordé d'arbres. Tout était comme dans mon souvenir, comme si seulement quelques heures s'étaient écoulées depuis que j'avais quitté cet endroit. Il n'y avait aucun signe de nos poursuivants. Je regardai autour de moi. Oui, là, il y avait bien un grand cercle et des inscriptions gravées au sol. Arthur attrapa les sacs.

— Allez, ne perdons pas de temps !

— Attends, ce truc a été fait il y a plus de trois ans. Si on ne vérifie pas les signes, on risque…

— Quoi ?

— Au mieux, dis-je, les yeux sur le tracé. Au mieux, il ne se passera rien.

— Super ! Et c'est maintenant que tu le dis !

Les inscriptions m'avaient l'air d'avoir tenu bon. J'avais tracé ce sceau tellement de fois que j'aurais pu le suivre les yeux fermés. Mais je n'avais pas le droit à l'erreur cette fois-ci. Je devais être certaine que…

— Lâche-moi !

Je levai la tête pour voir Ian qui se débattait. Arthur essayait d'attacher son poignet avec une corde mais il avait du mal. Je ne pus m'empêcher de sourire.

— Tiens-toi tranquille Ian, dis-je. C'est pour éviter qu'on ne soit séparés quand on traversera le portail. Tu comprends ?

J'attachai l'autre bout de la corde à mon poignet pour lui montrer l'exemple. Arthur fit de même. Je me retrouvai au milieu.

— Prêts ? Demandai-je, le couteau en main.

Ian se raidit à la vue de l'artefact.

— Ne t'inquiète pas, lui dis-je. Tu n'auras qu'à faire comme moi.

— Ça va faire mal ?

— Seulement un peu. Mais tu es un grand garçon maintenant.

Je ne voulais pas montrer à quel point j'avais peur. J'avais tant attendu ce moment et rien ne se passait comme je l'avais imaginé. Si le sort ne fonctionnait pas, il n'y aurait pas que ma vie en jeu.

Je pris fermement le couteau et fis une entaille dans ma paume gauche.

— Une vie pour une vie, dis-je avant de poser ma main au sol sur les inscriptions.

Rien ne se passa. Je passai le couteau à Ian et l'encourageai du regard. Je savais qu'il ne comprenait pas le sens du rituel, il ne savait pas ce que j'avais dû faire pour qu'on puisse se tenir ici cette nuit.

— Une vie pour une vie, dit-il avec une grimace.

Il me rendit le couteau. Toujours rien, je commençais vraiment à m'inquiéter. Arthur ne semblait pas se soucier de ce que je pensais, cela me rassura. Je compris qu'il serait là, quoi qu'il arrive maintenant.

— Une vie pour une vie.

Un frémissement dans l'air. Rien qu'un léger mouvement, je crus un instant l'avoir imaginé. Mais cette brume bleutée n'était pas là tout à l'heure. Alors, tandis que la dernière lune de l'été lançait ses derniers rayons, le portail apparut devant nous. Et le couteau se brisa en deux.

Le bruit d'un moteur m'arracha de la contemplation des vagues mouvantes. Ils approchaient, la lune se couchait et nous devions prendre la décision la plus difficile de notre vie.

— Je ne sais pas ce que nous trouverons de l'autre côté, dis-je. Si vous avez envie de partir, c'est maintenant ou jamais.

— Je reste avec toi, dit Ian en attrapant ma main.

— Et nous irons ensemble, ajouta Arthur.

Je savais que j'avais trouvé là des amis pour la vie. Un pas en avant pour traverser l'air ondulant et je me retrouvai aspirée dans un tourbillon argenté ! Mes membres semblèrent m'abandonner et mes émotions me quitter.

Une magnifique spirale d'étoiles s'étendait devant moi. Il y en avait une infinité, toutes semblaient en tous points identiques, et pourtant elles étaient différentes. Je sentis les liens autour de mes poignets se tendre mais, quand je tournai la tête, je ne vis personne. J'eus peur. Non pas de mourir, mais de rester ici pour l'éternité. Et je tombais, tombais… Cela avait peut-être duré quelques secondes mais peut-être aussi quelques heures, je ne saurais pas le dire. Et c'est ainsi que nous quittâmes la Terre.

Je m'étais toujours promis de ne pas regarder en arrière, mais je ne pus m’en empêcher. Étonnamment, de ce côté-ci, le portail était transparent. On vit donc la voiture arriver en trombe et s'arrêter à quelques mètres seulement. Ils allaient réussir à passer !

C’était sans compter sur la lune. Une fois qu'elle eut disparu derrière l'horizon, le portail commença à se refermer. La dernière vision que j'eus de ma planète fut donc celle des hommes qui courraient sur le parking désert plongé dans la nuit. Et c'est ainsi nous arrivâmes à Lor.

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