Chapitre 17 : Le fou qui voulait condamner la mort

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Coucou ! Je pensais pas avoir le temps de le finir, mais faut croire que mon semi-coma médicamenteux d'hier a été inspirant :D Voici la suite des aventures d'Adrick !

LE CHANT DE L'OISEAU SOLITAIRE

Chapitre 17 : Le fou qui voulait condamner la mort

Le mois qui suivit l’accident fut douloureux. Comme je le craignais, le garde qui m’avait frappé avait fracturé mon nez. La guérison fut lente et même les plantes pour lutter contre la douleur ne me permettaient pas de trouver la paix. Clodomir fit son possible pour s’assurer qu’il se remette de lui-même de manière plus ou moins droite, mais son mutisme à chaque fois que je posais une question à ce sujet me faisait craindre le pire. Après trois semaines de soin, il avait pris une courbure un peu étrange, mais ne me faisait plus trop souffrir. Je ne m’en plaignais pas. Je n’avais jamais voulu pavaner comme les nobliaux, j’avais accepté depuis longtemps l’idée de me mêler à eux.

Et puis, ce n’était pas comme si j’avais à m’inquiéter d’une autre relation amoureuse actuellement. Lorette hantait toujours mes nuits et, même si son absence me pesait moins, je sentais toujours ce pincement au cœur à chaque fois que mes doigts effleuraient les cordes de mon luth. Pendant ma convalescence, Clodomir m’avait appris les notes de base de l’instrument et quelques mélodies que je répétais inlassablement, l’esprit perdu vers la forêt de Querod. Je maîtrisais la technique de mieux en mieux et commençait même à prendre quelques libertés pour créer de nouvelles sonorités. Ma passion pour la musique s’accroissait de plus en plus les jours venant.

On ne pouvait pas en dire autant de mon intérêt pour l’alchimie. Mon nouveau maître profita aussi de mon repos forcé pour me faire ingurgiter plusieurs livres de connaissances techniques sur les plantes. J’avais beau faire de mon mieux pour les reconnaître, tracer leur dangerosité, la manière de les utiliser pour soigner de potentiels clients, rien ne rentrait. Toutes les feuilles se ressemblaient de la fleur de Temps Joyeux aux feuilles de l’Orchidée de Snivelak. Elles étaient vertes, plates et sentaient de la même façon. L’alchimiste s’évertua aussi à me faire goûter toutes les tisanes, à m’empoisonner volontairement et à m’encourager à retrouver l’anti-poison parmi dix fleurs qui se ressemblaient toutes, et surtout, à ne plus commettre l’erreur de toucher au stock de poudre blanche. Ce fourbe avait placé des tapettes à rats tout autour et la seule fois où j’eus tenté de les outrepasser, je le regrettai amèrement.

Pour autant, je ne pouvais pas dire que tout se passait à merveille. Depuis l’accident, je ressentais une certaine crainte à sortir à l’extérieur. Les rares fois où Clodomir m’envoyait livrer des tisanes en ville, je longeais les murs et passait dans les petites ruelles perdues pour éviter les foules. Cela ne fit que s’accroître avec les changements politiques qui secouèrent les environs pendant les deux mois suivants.


Au début de l’automne, l’ambiance avait radicalement changé en ville. L’ancien dirigeant de la ville, Dorium Mornepierre, avait été assassiné la semaine précédente. Tragique, mais prévisible. Les nobles passaient leur temps à se trahir entre eux, copuler, et faire de nouvelles alliances, la nouvelle n’avait ainsi pas surpris grand monde. Son fils unique n’étant pas encore en âge de prendre la tête de la ville, une période de régence fut proposée par Rodrick Lenaïg, l’archevêque de l’Eglise du Soleil.

Pour faire court, le cadet disparut mystérieusement du jour au lendemain et, la ville se trouvant sans successeur, Lenaïg prit le contrôle sans laisser le choix au peuple. Les portes de la ville furent scellées deux jours plus tard et nos conditions de vie devinrent beaucoup plus difficiles : interdiction de sortir après le coucher du soleil, obligation de prier toutes les deux heures, obligation de se soumettre à l’impôt, obligation d’envoyer les garçons de seize ans dans les ordres, obligations d’abattre toutes les vaches et les chiens, jugés impurs… Beaucoup de lois, peu de liberté.

Je ne peux pas dire que notre quotidien fut beaucoup bousculé dans un premier temps. L'Église du Soleil graissa la patte des sangsues qui tentaient de s’attirer leur faveurs et toute une classe de nouveaux bourgeois émergea, au détriment des paysans. Si notre clientèle habituelle déclinait, les nouveaux riches s’empressaient de venir essayer nos produits. Pendant un temps, nous rencontrâmes un certain succès, et même une petite popularité en ville.

Mais les bonnes choses ne durent jamais bien longtemps. Un matin, un groupe de gardes se présenta à notre porte. Ils déclarèrent la fermeture de l’établissement sur le champ, d’après le nouveau décret publié à l’aube : l’alchimie était désormais reconnue comme de la magie noire et était interdite. Abasourdi, Clodomir ne dit rien. Je me souviens l’avoir vu rester debout longtemps devant les guerriers, le papier dans les mains et le teint livide. Il n’osait pas me regarder dans les yeux, mais j’avais compris que la situation était grave.


“Vous ne pouvez pas faire ça ! tentai-je pour le défendre. Qu’est-ce que l’on va devenir ?

— Ce n’est pas mon problème, répondit durement le garde. Vous avez quinze minutes pour évacuer les lieux avant que l’établissement ne soit brûlé.”


Clodomir posa une main sur mon épaule et me tira vers l’intérieur. Il ne servait à rien de résister. Nous récupérâmes des vivres, quelques livres, quelques plantes, le luth. Nous n’eûmes pas le temps d’en faire plus. Les gardes nous poussaient déjà vers l’extérieur. La foule silencieuse des travailleurs du matin regardèrent avec nous, impuissants, l’édifice brûler intégralement. Après deux heures, il n’en restait que des cendres. Plusieurs épiceries et cabinets de médecine connurent le même sort ce jour-là. Lenaïg, pris d’un coup de folie, avait décidé que les personnes malades étaient punies par le dieu Soleil et que tenter de les soigner était un crime. Que voulez-vous faire contre un homme qui a tous les pouvoirs entre les mains ?

Clodomir, lui, n’abandonna pas. Jusqu’à épuisement de nos stocks de plantes, nous continuâmes à soigner nos clients. Certains acceptaient de nous loger une nuit, d’autres nous offraient quelques plantes en échange. Les autres médecins et alchimistes n’eurent pas cette chance. Une semaine après les incendies, les gardes commencèrent à brûler les “hérésies”, les hommes et les femmes qui osaient encore vouloir soigner les malades. Beaucoup d’amis de Clodomir périrent de cette manière, mais lui ne voulait rien lâcher.

Un soir, alors que nous dormions à l’extérieur, il voulut me parler franchement. Depuis deux jours, il était pris de fortes fièvres et de tremblements. J’avais mis cela sur le compte de nos derniers jours passés dans la rue, mais je me trompais lourdement.


“Les choses vont bientôt changer ici, Adrick. Ce matin, j’ai vu un malade avec des cloques sur les mains. Puis un autre cet après-midi. Je crois que la peste noire est en train de se répandre.”


Je me souviens l’avoir regardé avec inquiétude. Bien que je n’avais jamais eu connaissance de cette maladie auparavant, le ton que sa voix avait pris suffisait à m’alerter sur la dangerosité de ce nouveau fléau. Sa barbe mal taillée lui donnait un air terriblement sérieux. Il passa une main fatiguée sur son front détrempé par la sueur.


“C’est une maladie contagieuse, m’expliqua t-il, transmise par les rats, les pigeons, la saleté. Elle est très contagieuse. Si un cas se développe, ce sont des centaines de morts qui suivent son sillage.

— Peut-on la soigner ? demandai-je, fébrile.

— Hélas, non. La ville est fermée, la maladie va se transmettre d’homme en homme, jusqu’à ce qu’il n’en reste aucun.”


Il me sourit tristement, et je sus de suite que quelque chose n’allait pas. Il avait cet air défaitiste des mauvais jours, lorsqu’aucun client ne voulait nous ouvrir la porte ou lorsqu’on menaçait de nous dénoncer aux gardes. Je m’étais attaché à ce vieil homme et le voir aussi triste me faisait toujours un peu mal.

Lentement, il souleva la manche de sa chemise et dévoila à mes yeux d’énormes ganglions sanguinolents autour desquels des tâches noires apparaissaient, sous sa peau. Je voulus toucher, mais il recula vivement son bras.


“Non ! cria t-il. Tu ne dois plus me toucher. Je vais mourir Adrick, je n’ai plus longtemps à vivre. Mais avant… Avant, je veux que tu fasses quelque chose pour moi. C’est ma dernière volonté.”


Il sortit un petit tube de verre qui contenait un liquide rouge.


“C’est mon sang, lâcha t-il devant sa perplexité. Il est contaminé, et je l’ai empoisonné avec des graines d’orchidée noire. Fais-le boire à Lenaïg. Elle le tuera sur le coup.

— Vous avez perdu l’esprit ? C’est un meurtre !

— Fils, dit-il d’une voix autoritaire, lorsque ta vache chie de la diarrhée, c’est à toi d’agir. Plus tu attends, et plus la merde de ta vache devient molle. Si elle devient trop liquide, la vache meurt, et la diarrhée contamine son troupeau. Si une vache a la diarrhée, c’est tout le troupeau qui risque de mourir. Descends la vache malade, sauve le troupeau.”


Cette métaphore saugrenue m’arracha un sourire. Il avait raison. La ville risquait de s’éteindre si nous ne faisions rien. Alors, l’esprit héroïque, je pris la décision d’obéir à mon maître et de sauver la ville.


“Je ne vous décevrais pas, lui dis-je.”


Oh, de l’espoir et de la bonne volonté, j’en avais, il n’y avait pas de problème. Ce fut, arrivé devant l’église du Soleil, que la vérité me revint en pleine face. Je n’étais pas un héros. Non. J’étais l’apprenti d’une “hérésie”, avec une couleur de peau particulière. Aux yeux d’une unité de gardes, à n’en point douter, j’étais une créature du mal et je devais être annihilé. Avant même d’avoir pu passer les marches du bâtiment, on me passait les menottes et me guidait vers les cachots….


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