Chapitre 16 : La poudre blanche

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LE CHANT DE L'OISEAU SOLITAIRE

Chapitre 16 : La poudre blanche

L’alchimiste me réveilla au petit matin. J’avais peu dormi, hanté par les images de Lorette auxquelles je m’accrochais avec désespoir. Le vieil homme le remarqua immédiatement et me tapota gentiment l’épaule, comme si cela effaçait la peine qui me brûlait le coeur. Le scientifique me sourit et s’installa près de moi, sur le lit. Il cherchait ses mots, je le voyais à son agitation générale.


“Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? me demanda t-il finalement d’une voix mal assurée.”


Je n’en avais pas la moindre idée. Tous les projets que j’avais fait avec Lorette tombaient à l’eau. L’avenir redevenait cette brume noire, opaque et inhospitalière. Je ne me sentais pas capable de repartir seul à l’aventure pour l’instant. J’avais trop peur de tomber sur une nouvelle créature chimérique aux dents trop pointues. Contrairement à ce qu’Iphranir pensait, je n’aimais pas vraiment voyager. Je rêvais de me poser quelque part, à l’abri du danger, pour fonder une famille, me trouver un travail, et vivre normalement jusqu’à la fin de ma vie. Quel idiot j’avais fait en quittant mon village natale. A l’heure qu’il était, j’aurais pu être un forgeron honnête, ignare du monde extérieur, et avec pour seule certitude que la veille ressemblerait au lendemain et que je n’aurais jamais à me soucier de ne pas mourir de faim.

Dans quelques semaines, j’atteindrais l’âge fatidique des vingt ans, la majorité dans ce pays. Il allait bien falloir que je fasse quelque chose de ma vie. Les hommes qui atteignait cet âge étaient si rares qu’il le fallait obligatoirement. La société dictait à ma vie de faire quelque chose. Cette opportunité se présenta en réalité bien plus rapidement que tout ce que je n’aurais jamais pu espérer.


“Tu vois, dit l’alchimiste, je commence à me faire vieux et ma boutique attire toujours autant de monde. J’aurais bien besoin d’un apprenti. Je ne te promets pas de salaire pour l’instant, mais un logement et de la nourriture. Je pourrais même t’apprendre à jouer du luth si tu le désires. Est-ce que ça t’intéresserais ?”


Je clignai plusieurs fois des yeux, à la recherche d’un quelconque mensonge dans son regard. Il avait été berné tant de fois qu’il craignait que le sort ne s’acharne sur lui encore une fois pour lui rappeler qu’il n’était qu’une poussière dans ce monde trop structuré pour lui. Je repris contenance avant de me lever du lit, complètement débraillé.


“J’accepte avec plaisir, monsieur, dis-je d’un ton solennel. Je ne vous décevrais pas !”


Il me tapota la tête en riant. Mon nouveau travail débuta deux heures plus tard à peine. L’alchimiste, Clodomir Millepertuis comme il me l’apprit bientôt, me fit faire un tour de sa boutique pour commencer. Très humble, il s’agissait d’une pièce soignée aux murs de bois où flottait l’odeur de diverses plantes que je n’avais encore jamais vu auparavant. Il m’en présenta certaines, les plus utilisées par les clients : le lys gris, le brise-dos, le gingembre… Il m’expliqua que certaines plantes venaient d’autres pays, offertes par des clients fortunés qu’il avait soigné alors qu’ils étaient en voyage. Il m’expliqua ensuite en quoi consistera exactement mon travail : tenir la boutique pendant qu’il est en sortie, conseiller les clients pour qu’ils repartent avec quelque chose, être l’oreille attentive à leur maux les plus profonds, faire des livraisons sur demande… Rien qui ne paraissait hors d’atteinte pour mes piètres compétences dans le domaine.

Enfin, je le croyais jusqu’au moment où mon nouveau maître s’éclipsa en ville pour refaire les stocks et m’abandonna à mon sort.


“C’est en se débrouillant qu’on apprend le mieux ! me cria t-il en fermant la porte.”


Pas rassuré pour un sou, je m’installai derrière le comptoir pour attendre, nerveusement, les premiers clients. Dans le silence, les yeux fermés, je cherchais à mémoriser les différentes plantes, et notamment celles qu’il m’avait demandé de ne réserver qu’aux plus offrants. Je réalisai alors qu’il ne m’avait nullement indiqué le montant de ses services et que je serais bien embêté au moment de faire payer les produits. Pour moi, toutes ces brindilles séchées se ressemblaient toutes et je n’avais aucune idée de la manière de les différencier, ni à quoi elle servait. Que diantre faisais-je ici ? Avais-je accepté juste pour la promesse d’apprendre à jouer du luth ? J’en vins même à repenser à Lorette. C’était une elfe, elle connaissait toutes les plantes et m’avait déjà empêché de m’empoisonner dans le passé.

Sitôt partie, la tristesse fit son grand retour. Plongé dans une mélancolie noire, je ne remarquai pas immédiatement la petite vieille qui s’avançait vers le comptoir. Elle me jeta un regard surpris et presque coupable. Je me relevai de suite sur ma chaise, une goutte de sueur au coin du front. C’était le moment de vérité, sa mise à l’épreuve, il ne devait pas échouer.


“Bonjour, petit. Où est le chef ?”


Ce surnom familier me tira un sourire. Je n’avais pas eu l’occasion de croiser beaucoup de personnes âgées durant mes voyages et leur douceur de caractère qui me rappelait tant ma nourrice me manquait terriblement.


“Monsieur Millepertuis est sorti faire une course, répondis-je d’un ton que je voulais convaincant.

— C’est fort embêtant, c’est fort embêtant. Dis-moi, gamin, tu sais s’il a préparé ma came ? J’ai vraiment besoin de ma drogue pour tenir jusqu’à la fin de la semaine.”


Je la regardai sans comprendre un long moment.


“Ce sont de petits sachets, dit-elle devant mon air ébahi, avec de la poudre blanche dedans. Il ne doit pas les laisser à la vue de tous, ajouta t-elle en chuchotant, à cause des gardes, tu vois.”


Dérouté par la demande, je jetai un oeil sous le comptoir, là où l’alchimiste rangeait les sachets et les tisanes. Il y en avait de toutes les couleurs, à n’en point douter, mais aucun ne contenait de la poudre blanche. Mal à l’aise, je retournai plusieurs fois le tiroir avant de m’avouer vaincu et de quitter mon siège pour me rendre dans l’arrière-boutique, en m’excusant promptement auprès de la vieille dame. Bien loin de se décourager, celle-ci me suivit. Je sentis ses yeux braqués sur mon dos alors que je voletais d’étagères en étagères, à la recherche de la fameuse poudre blanche.


Ce fut un petit vase fermé caché derrière diverses boîtes étranges qui retint finalement mon attention. Il ne payait pas de mine à vue d’oeil : d’un brun sale, il était mal équilibré, le travail de poterie avait été de mauvaise qualité. Pourtant, il s’en dégageait une odeur étrange qui me faisait un peu tourner la tête. Je récupérai le pot et me rapprochai de la vieille dame qui s’était tranquillement installée sur la grosse table en bois au centre de la pièce. Dès que j’ouvris le couvercle, je compris à son grand sourire et ses yeux brillant de mille étoiles que j’avais trouvé le gros lot.


“Il vous faut combien de sachets ? demandai-je naïvement.

— Oh, une cinquantaine fera l’affaire.”


Consterné par la demande, je retournais sur les étagères pour saisir les petits sachets de lin que j’avais vu plus tôt. Un bruit suspect attira mon attention. Je me retournai : la vieille dame avait disparu, avec le pot plein de poudre blanche. Paniqué, je descendis de l’échelle de bois à toute hâte pour me précipiter à sa suite. Bien qu’âgée d’au moins quatre-vingts ans, la vieille bique courait déjà dans la rue ! Et elle allait vite !

Le temps que je laisse un message sur le comptoir et que je ferme la boutique à double-tour, la voleuse à la canne tournait au coin de la rue. Mais cette fois, je ne me laisserais pas démonter. A nouvelle vie, nouvelles résolutions ! J’avais décidé de ne plus me laisser marcher sur les pieds et ce n’était pas une grenouille ridée qui allait mettre à mal ce nouveau départ.

La course poursuite dura plus de vingt minutes. La vieille changeait d’intersection tous les dix mètres, mais je tenais le cap. De temps à autre, elle me lançait un regard agacé et redoublait la cadence, l’air mauvais. J’espérais la bloquer dans un cul-de-sac, mais, rusée comme une renarde, celle-ci glissait de plus en plus loin dans les ruelles de la ville. J’ignorai où mes pas me portaient, j’étais concentré sur ma mission : elle ne m’échapperait pas.

Enfin… Jusqu’à ce qu’à une intersection, je la vois tirer la manche d’un garde, au pied de l’église de Mornepierre. Elle me pointa du doigt, m’offrit un sourire hypocrite et glissa dans les ténèbres comme la vipère qu’elle était. L’homme droit qui s’avança dans ma direction avait la carrure d’un gladiateur et le regard noir de l’homme dérangé au mauvais moment dans son travail. Je ne bougeai pas, même lorsque son imposant bouclier s’arrêta à quelques centimètres de mon nez.


“Cette garce m’a volé ! m’exclamai-je. Elle a pris un vase qui ne lui appartient pas dans la boutique dans laquelle je travaille et je veux le récupér…”


Le bouclier tapa durement contre mon corps et je tombai sur les fesses, sonné par le coup. Le visage de mon interlocuteur s’était fait plus rouge, plus colérique.


“N’outrage pas ma maman, saloperie d’étranger. C’est une femme honnête qui a payé son vase comme il le faut.

— Elle l’a volé ! Je vous préviens, si je ne le récupère pas…”


Un deuxième coup de bouclier s’abattit sur ma tête. Je m’écroulai cette fois au sol, le nez en sang et la tête qui tournait. Le garde me donna un grand coup dans le ventre, qui m’arracha un cri de détresse. Tant pis pour le courage, la fuite avait toujours été la meilleure solution. Dépassé par les événements, je rampai vers la ruelle. Le garde ne fit rien pour me retenir. Il continuait à m’incendier d’insultes dans mon dos.


“On t’as vu traîné avec une saloperie d’elfe, hurla t-il. On veut pas de personnes comme toi ici. Si je te retombe dessus, tu finiras pendu à un crochet comme toutes les conneries de ton espèce.”


Choqué par ses propos, je le dévisageai un instant en me relevant. Je voulais graver son visage dans mon esprit, cela pourrait être utile pour plus tard.


“Bouge de là, je te dis !”


Il me chargea, je me retournai et courai à toute hâte vers la boutique. Je me jetai sur la porte qui s’ouvrit sur mon maître, surpris. Je me jetai dans ses bras et me mit à pleurer à chaudes larmes, les bras tremblants et le visage recouvert de mon propre sang. Le visage fermé, il me guida vers l’arrière boutique où il commença à s’occuper de mes plaies.


“Tu dois faire attention, dehors, me dit-il à voix basse. L’Eglise du Soleil gagne de plus en plus d’adeptes chaque jour et les personnes comme toi disparaissent tous les jours. Je peux garantir ta sécurité, mais je ne serais pas toujours là pour couvrir tes arrières. Il faut que tu apprennes à toujours garder un oeil derrière toi. Pour eux, c’est tuer ou être tué.”


Je ne le savais pas encore, mais ce conseil me serait d’une grande utilité dans les années qui suivirent cet accident qui ne tarderait pas à se reproduire de nouveau.

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