Chapitre 15 : La loi du père

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Un peu de drama aujourd'hui. Parce que le drama, c'est bien.

LE CHANT DE L'OISEAU SOLITAIRE

Chapitre 15 : La loi du père

Un seau d’eau froide me tira sans ménagement de mon sommeil. Je relevai immédiatement la tête, perdu, et remarquai de suite mon incapacité à pouvoir bouger mes bras. J’étais attaché à un arbre dans le parc de Mornepierre. Lorette était allongée quelques mètres plus loin sur une couchette propre, confortablement enroulée dans plusieurs couvertures. De toute évidence, je n’avais pas eu le même traitement qu’elle.

Une paire de bottes noires abîmées me faisaient face. Son propriétaire avait dû marcher longtemps pour les user à ce point. Peut-être même avait-il couru un moment après quelque chose… Timidement, je relevai la tête. Non, Iphranir n’était clairement pas content. Son visage, couvert de griffures, était peu amical. Les cernes sous ses yeux, les traits tirés indiquaient qu’il n’avait pas trouvé le sommeil depuis quelques temps. J’en connaissais déjà la raison, avant même qu’il n’ait eu à ouvrir la bouche. Ses mains sales tenaient un vieux seau, dont le fond était tapissé d’une couche noire sale d’une texture dont je ne voulais pas connaître l’origine. Malgré ses vêtements en lambeaux et sa fatigue apparente, il arborait un sourire victorieux, presque fou, comme s’il venait d’accomplir la quête de sa vie.


“Bon… Bonjour, monsieur, soufflai-je pitoyablement.

— Bien, au moins, il n’a pas oublié la politesse !”


Je baissai la tête, honteux. Je savais pertinemment que cette histoire se terminerait de cette manière, d’une façon ou d’une autre. A trop jouer avec le feu, l’enfant imprudent finit par se brûler. Cependant, je ressentais un profond sentiment d’injustice : ce n’était pas moi qui avait voulu fuir, j’avais même essayé de la retenir et de la faire culpabiliser ! Et pourtant, pendant que Lorette dormait, c’était bien moi qui me prenait les foudres de son père. Iphranir s’accroupit près de moi. Il mit une flèche sous mon menton et me força à relever la tête. Je déglutis, tétanisé. D’accord, nous avions commis une grosse erreur, mais je ne méritais pas non plus la mort ! Bien sûr, je n’eus absolument pas le cran de lui dire en face. J’avais beau faire le coq, je restais un gamin pris en flagrant délit de fuite.


“Tu n’as rien à me dire, par hasard ?”


Il appuya légèrement sur la flèche. Mes yeux s’écarquillèrent de terreur en sentant la pointe de l’arme. Elle pouvait m’arracher la vie d’une simple pression ! Ma tête oscilla entre le oui et le non. A vrai dire, je ne savais pas quelle réponse il attendait de moi, je tentai donc les deux, pour voir à laquelle il réagissait le mieux. Je ne voulais pas le brusquer, je voulais qu’il se calme et me laisse partir. De plus, ce traitement était abusif : j’étais attaché, que voulez t-il que je lui fasse ?

Il dut comprendre mon jeu puisque la pression s’accentua, plus menaçante. Paniqué, j’ouvrai et fermai la bouche comme une carpe, à la recherche des premiers mots qui me vinrent à l’esprit :


“C’est pas moi, monsieur. C’est Lorette. Elle… Elle m’a entraîné, je… Je ne voulais pas, je vous jure. Pitié, vous devez me croire. C’est pas moi, c’est elle. De… Demandez-lui.”


Iphranir resta sérieux pendant quelques instants, avant d’éclater de rire. Un rire fou, effrayant, qui ne fit qu’accentuer mon état de panique. Je tirai sur mes liens pour essayer de les défaire, désireux d’échapper à l’emprise de ce sadique. J’avais l’impression d’être redevenu ce gamin innocent, coincé sous les pattes d’un ours à attendre que la mort vienne le cueillir. Si j’en crois les dieux d’aujourd’hui et leurs histoires de destin, j’aurais sans doute déjà été accusé de magie noire. Autant de chance ne peut être le fruit du hasard.

L’elfe rit encore quelques secondes avant de se retourner brusquement vers moi. Il me saisit au col et me souleva de terre de quelques centimètres.


“Tu sais combien de temps j’ai erré dans cette forêt à votre recherche ? Douze jours ! Douze jours où je me suis demandé si tu n’avais pas tué ma fille et enterré son cadavre quelque part ! Mais non… Non ! Vous vous promeniez tranquillement en ville, main dans la main comme des tourtereaux. Mais c’est quoi votre problème ?! Pas une lettre ! Pas un mot d’excuse ! J’ai cru que j’allais devoir te tuer !”


Il me relâcha vivement.


“Je suis son père ! Son père, Adrick ! Ca ne t’est pas venu à l’esprit que je pouvais m’inquiéter pour elle ?! Il a fallu que tu l’aveugles de rêves de vagabondage et de vie en pleine nature… Tu veux que je te dises ? Elle ne serait jamais adaptée à ce lieu ! Jamais ! Elle est malade, Adrick ! Si je ne l’avais pas trouvée, d’ici cinq jours, elle serait morte !”


Sa voix se brisa.


“J’aimerais qu’elle soit normale ! J’aimerais qu’elle se promène dans les bois à sa guise ! Mais elle ne le peut tout simplement pas. Elle a la même maladie que sa mère. Elle ne survit que grâce à son traitement, elle ne peut pas… Elle a la maladie des pierres. Ses défenses psychiques ne sont pas assez efficaces. Un simple rhume pourrait la tuer. Elle a besoin de son bouclier psychique, pour empêcher la maladie de la consumer.”


Choqué par ces révélations, je ne sus quoi répondre. Les larmes me montèrent aux yeux. Je regardais Lorette, les mains tremblantes. Je connaissais bien la maladie des pierres. Plusieurs personnes de mon village natal avait succombé à son baiser mortel, des gens qui m’était cher, parfois.


“Est-ce qu’elle est au courant ? demandai-je.

— Non. Bien sûr que non. Et tu ne dois rien lui dire. Si… Si tu veux l’aider, sors de sa vie. C’est la meilleure chose que tu puisses faire pour elle. S’il te plaît. Elle doit oublier cette vie en dehors de la forêt, elle n’y survivrais pas. Les hommes sont porteurs de trop de maladies susceptibles de la contaminer. Elle sera en sécurité chez elle.”


Abasourdi par la nouvelle, je me laissai retomber contre l’arbre. Je savais que cette histoire finirait mal. Je ne savais pas qu’elle finirait de manière tragique. Je ne pouvais me résoudre à abandonner Lorette, peu importe si elle avait la peste. C’était au dessus de mes forces.


“Je l’aime, vous savez, lui dis-je. Je sais que… Je sais que sa situation est compliquée. Mais je ne veux pas la laisser partir.

— Tu ne la connais que depuis quelques jours. Tu es jeune, tu en trouveras une autre. S’il te plaît, ne m’oblige pas à te laisser attacher ici. Je ne le veux pas plus que toi. Je ne veux que son bien.

— Moi aussi ! Je… J’achèterais une maison s’il le faut ! Mais s’il vous plaît, laissez-la rester. Elle… Vous ne comprenez pas.”


Iphranir se leva. Sans un regard pour moi, il se dirigea vers Lorette. Il enroula soigneusement les couvertures autour de son corps et la souleva. Mon coeur se mit à battre la chamade alors que je réalisais que je ne la reverrai sans doute jamais. Cette femme, celle qui m’avait fait réalisé pour la première fois réalisé que je pouvais aimer, disparaissait de ma vie comme une ombre.


“Non ! Iphranir, s’il vous plaît ! suppliai-je en pleurant. Ne me l’enlevez pas ! Lorette ! hurlai-je avec l’énergie du désespoir. Lorette ! Lorette !”


Jamais il ne se retourna. J’eus beau hurler, me débattre, il disparut dans les fourrés, ne me laissant comme dernière vision que ses cheveux noirs qui pendaient dans le vide. Il me l’enlevait, et je ne pouvais rien y faire. Je ne me souviens avoir arrêté de crier après lui qu’à l’aube.

Les larmes succèdèrent aux éclats de voix. Elles coulèrent nombreuses sur mes joues. Il s’agissait de ma première déception amoureuse et elle faisait terriblement mal. Je n’en étais même pas à l’origine. Finalement, épuisé, je finis par m’endormir sur moi-même, près du cadavre de l’araignée, desséché au fur et à mesure que le soleil montait dans le ciel.

Les villageois ne se pressèrent pas pour me détacher, c’est le moins qu’on puisse dire. La moitié d’entre eux pensaient que j’étais un condamné à mort abandonné là en attendant ma sentence, les autres n’osaient pas me libérer de peur que je sois un loup-garou. Je n’avais encore aucune idée de ce qu’étaient ces créatures, mais cela m’importait peu. Chaque minute qui passait amenuisait les chances de retrouver Lorette dans la forêt. Iphranir avait gagné : je baissais les bras. Un vieil alchimiste finit par me prendre en pitié et me libéra au milieu de l’après-midi. Il m’invita à venir chez lui, ce que je fis sans opposer la moindre résistance.


“Peine de cœur ? me demanda t-il plus tard dans la nuit, en s’apercevant que je restais immobile devant le bol de soupe chaud qu’il m’avait offert.”


J’hochai la tête, le regard perdu dans le vide. Il me tapa gentiment l’épaule et se rendit dans son arrière boutique. Il en revint avec un luth, qu’il posa sur mon banc. J’observai l’instrument un instant, sans comprendre.


“Mon enfant, dit-il, le meilleur remède à l’amour, c’est la musique. Ecris-lui une chanson. Les jolies filles adorent les ménestrels.”


Mes doigts effleurèrent les cordes qui produisirent un son mélodieux.


“La musique est le chant des morts, murmurai-je d’une voix éteinte.

— C’est vrai, répondit l’alchimiste. Mais plus encore, elle les fait revivre. Un peu comme… les phénix.

— Les phénix ?

— Oh, je dois te barber avec mon jargon mythologique, s’excusa le vieil homme. Laisse tomber. Je t’offre ma chambre d’ami pour la nuit. Va donc te reposer, tu fais peine à voir.”


Songeur, je restai un instant la main sur le luth. Si Lorette devait quitter ma vie, ou cette vie, alors je la ferais vivre éternellement dans la musique. Je lui en fis la promesse silencieuse. Dépité, je traînais mon pauvre corps jusqu’au lit de l’alchimiste et m’écroulai dedans. Une nuit de sommeil m’aiderait à y voir plus clair, j’en étais certain.

Mon regard se perdit sur les étoiles dans le ciel, dehors. Lorette se réveillerait seule. Penserait-elle à lui ? Il l’espérait. Il en était sûr, lui ne pourrait pas l’oublier de sitôt.


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