Chapitre 14 : Le chant du corbeau enroué

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Désolé du petit retard, week-end chargé :D Bonne lecture !


LE CHANT DE L'OISEAU SOLITAIRE

Chapitre 14 : Le chant du corbeau enroué


Le premier village que nous atteignîmes, Mornepierre, était fort différent de tout ce que j’avais pu voir auparavant : des bâtiments de pierre qui s’élevaient plus en hauteur qu’en largeur, des rues pavées et propres, des bâtiments à l’édification originales… Partout où je posais mon regard, il y avait de la roche. Lorette me tenait la main tandis que nous avancions dans une ruelle coincée entre une cathédrale et les remparts d’un fort. Il y faisait noir comme en pleine nuit et une forte odeur de pourri me brûlait les narines. Pourtant, c’était très fréquenté. Nous devions sans cesse nous rabattre contre le mur pour éviter les charrettes qui forçaient le passage et les habitants pressés qui nous insultaient copieusement dès que nous marchions trop lentement à leur goût.

Cela faisait maintenant deux jours que nous errions à la recherche de nourriture et la fatigue accumulée suite à notre fuite dans la forêt commençait à sérieusement se faire sentir. Lorette se plaignait toutes les deux minutes de ses maux d’estomac tandis que ma tête me tournait. Aux yeux des paysans, nous n’étions que deux jeunes gens suspects et toutes leurs tentatives de marchandage s’étaient soldées par des échecs. Les hommes n’étaient pas aussi accueillants que les elfes, et cela ne ferait que se confirmer dans les années à venir. Ma couleur de peau particulière attirait les regards méfiants et je repérais sans mal ces marchands qui cachaient leurs marchandises à mon passage.

Jusqu’à présent, je ne m’étais jamais posé la question quant à cette petite différence que je considérais jusqu’alors comme un atout pour me faufiler dans l’ombre. Leurs regards inquisiteurs m’attristaient, mais je n’osais pas les provoquer de face, de peur de nous attirer des problèmes. Lorette, elle, s’en fichait, malgré les clichés apposés à son espèce. Il n’était pas rare que de vieilles dames nous arrêtent pour demander à mon amie des conseils d’herboristerie, avant de partir en nous insultant dès qu’ils s’apercevait qu’elle n’y connaissait rien. Plusieurs personnes, plus insistantes, manifestèrent également leur envie d’assouvir leurs fantasmes sexuels sur “cette créature exotique”, comme ils l’appelaient. Aucun d’eux n’avait pour l’instant tenté de lui faire de mal, ce qui me rassurait grandement : je n’étais pas sûr d’avoir assez de cran pour leur tenir tête.


Malgré l’obscurité ambiante, nous n’étions qu’en début d’après-midi. Un grand marché se tenait dans un grand parc au coeur de la ville. Nous pouvions l’apercevoir de loin : de grands chênes se dressaient sur sa surface, probablement arrachés à la forêt de Querod, comme le remarqua Lorette. Ils ressemblaient à ces arbres immenses que nous avions croisé pendant des jours et des jours dans la jungle. Leur présence familière me rassura quelque peu : tout n’était pas étranger dans cette ville. Au pied des troncs, divers stands étaient alignés couverts de produits colorés. Une douce odeur de viande grillée flottait dans l’air, mais un regard noir de Lorette m’interdit d’y penser. Notre attention se reporta plutôt sur des fruits juteux sur une table à l’écart : pommes et poires brillantes attendaient leur heure, leur chaire juteuse exposée au peuple affamé. Malheureusement, la marchande avait le regard du faucon et elle me fit bien comprendre d’un regard que si j’avais le malheur de poser un doigt sur ses enfants sans payer, elle me réduirait à l’état de compote.

Désespéré, l’estomac toujours vide, je finis par rebrousser chemin dans la foule pour rejoindre Lorette. Fascinée, elle regardait des ménestrels chanter sur des airs de luth joyeux. Des villageois déposaient une pièce à leurs pieds de temps à autre, qu’un des chanteurs s’empressait de ranger dans ses poches avant de pousser la chansonnette de plus belle. Je jalousai de suite leur talent.


“Tu ne trouves pas ça magnifique ? me demanda soudain Lorette.”


Je tournai la tête vers elle. Son visage était inondé de larmes. Confus, je restai un moment à la dévisager, bouche bée. Je ne comprenais pas ce qu’il lui prenait. Certes, les elfes étaient plus sensibles que nous, je l’avais bien compris, mais au point de pleurer devant des ménestrels quelconques lors d’une foire de village ? J’avais décidément encore beaucoup à apprendre du peuple des forêts.


“Mon peuple pense que la musique est le chant des morts, continua t-elle à mi-voix. Dans l’au-delà, ils n’ont aucun moyen de contacter leurs proches, alors ils chantent pour se faire entendre. Et les musiciens se font le relai de leurs paroles. Leur sensibilité est telle qu’ils peuvent ressentir la tristesse des morts, ils chantent pour les aider à se calmer et à passer dans l’autre monde.”


Et sans prévenir, elle se mit à chanter d’une voix aiguë. Les musiciens furent aussi surpris que moi. Certains disent que les elfes ont une voix angélique, mais je m’en vais rétablir la vérité de suite : elle chantait terriblement faux. Rouge de honte, je l’abandonnai lâchement pour me cacher derrière un arbre, alors que des murmures outrés s’élevaient peu à peu dans la foule. Sa voix ressemblait à celle d’un corbeau enroué, les notes étaient tranchées en plein envol avant de reprendre de plus belle. Ce spectacle était tout simplement abominable. En voyant des gardes se frayer un chemin dans la foule pour cesser le massacre, je pris peur pour la sécurité de mon amie. Sans ménagement, je lui saisis le bras et la poussai derrière la scène, à l’abri des regards.

L’acte la vexa, mais plus important, lui coupa le sifflet. Elle rétorqua même que ces bourgeois n’avait aucun goût, puisque son père disait qu’elle avait la plus jolie voix qu’il n’avait jamais entendu. A n’en point douter, ou son père mentait, ou il était sourd. Bien sûr, je n’osai pas lui dire ouvertement, de peur que son regard me foudroie sur place. J’avais beau être idiot, je n’étais pas suicidaire. Quoiqu’il en fut, cet accident n’arrangea point notre affaire : les gardes avaient désormais notre identification et ils refusèrent catégoriquement de nous laisser retourner au marché. Tant pis pour la tentative de subtilisation de nourriture… Tout le reste de la journée, Lorette chercha à se faire pardonner. Elle sentait ma frustration.

Le ventre vide, nous tentâmes de rôder près des auberges, mais le résultat fut le même : comme nous étions un jour de fête, les poubelles étaient vides. Affamés, nous finîmes par errer comme des malheureux sous la pleine lune, main dans la main, à la recherche d’un abri pour la nuit. Nous l’avions appris la veille : le gérant de la cité n’aimait pas les vagabonds. Les sans-abris étaient arrêtés et emmenés les dieux savent seuls où. Nous n’avions pas envie de tenter l’expérience. Cette nuit-là, la ville était même particulièrement bien gardée : des hommes patrouillaient même sous les ponts, ce qui vint à compliquer nos déplacements.


Nos pas finirent par nous ramener au marché, désormais désert. Le parc, désert, nous paraissait une bonne option. Nous nous installâmes entre les grosses racines d’un tronc creux qui nous offrait une bonne couverture. Au loin, les lumières de la ville et la musique nous rassurâmes. Lorette se coucha près de moi et enfouit son visage dans mon cou. Toujours aussi mal à l’aise avec les contacts rapprochés, je me tendis et n’osai plus esquisser le moindre mouvement. Elle s’endormit assez vite, contrairement à moi.

En effet, regard levé vers la cime de l’arbre, je regardai sans bruit les mouvement des branches au gré du vent, pensif. Où cette aventure allait-elle nous mener ? Quitter Méaaras était-il vraiment un choix judicieux ? Et où se trouvait Iphranir désormais ? La crainte que le père de Lorette nous rattrape me pesait toujours, à chaque instant. Chaque ombre, chaque bruit de pas trop insistant me terrifiait. Je me sentais responsable de la fuite de Lorette. En fait, je me sentais responsable d’elle tout court. Plus le temps passait, plus je m’attachais à elle, et même si le sens de notre relation m’échappait totalement, je m’y plaisais bien. J’avais enfin trouvé un fragile sens à ma vie qui risquait de s’effacer à chaque minute au détour d’une rue. Iphranir serait-il capable de me tuer ? Je n’en doutais pas une seconde. Il aurait tout à y gagner : ma mort m’éloignerait de sa fille et il deviendrait le bras sur lequel elle pourrait pleurer et se reconstruire. Ou alors le repousserait-elle définitivement ? Pourquoi même étais-je aussi obsédé par ces pensées ?

Le visage tourné vers le ciel, je remarquai à peine ce mouvement étrange dans les branches au dessus de moi. C’était fin, mais c’était là. En plissant les yeux, je remarquai quelque chose qui descendait peu à peu entre les branches : d’immenses pattes velues, un dard aussi gros que mon bras, plusieurs yeux. Je tentai de me redresser pour y voir mieux, mais quelque chose me piqua dans le coup : une aiguille aussi fine que celle des pins. Je secouai Lorette pour la réveiller, mais cela n’eut aucun effet. Elle ne bougeait plus. Sa gorge gonflait, comme un ballon de baudruche. Quand j’ouvris la bouche pour crier, je remarquai que je ne le pouvais plus. Mon cou avait triplé de volume. Et peu à peu, l’air vint à manquer. L’araignée, désormais à terre, me regardait de ses yeux curieux, moqueurs. Elle patientait.

Je mis une main au sol, saisit une pierre et la lançait pitoyablement vers elle. L’arme ne toucha pas la cible. Je hoquetai, puis, n’en pouvant plus, me couchait au sol pour chercher de l’air frais. Une patte poilue se posa sur mon dos et me retourna lentement. Je vis à peine le dard se planter dans mon ventre, je ne pus même pas hurler.

Et puis, l’araignée disparut brutalement. Cela avait été rapide. Un morceau de bois taillé l’avait décollé violemment de ma poitrine. Il ne restait que le dard. La bête, une flèche dans la poitrine, se débattait au sol en poussant des cris. Alors que mes yeux se fermaient, j’eus le temps de voir la silhouette d’un elfe s’approcher lentement de moi, le regard dur.


Iphranir.


Ma main serra celle de Lorette avec force et je sombrai dans l’inconscience, une nouvelle fois.

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