Chapitre 8 : Un coin de paradis

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LE CHANT DE L'OISEAU SOLITAIRE

Chapitre 8 : Un coin de paradis

Je passai une bonne semaine au lit, seul. Ma logeuse parlait peu, partait toute la journée et ne réapparaissait que le soir. Elle accordait une grande importance à ma survie et ramenait toujours avec elle des fruits et des légumes sauvages pour me nourrir. Je ne comprenais rien à sa langue, tout comme elle ne comprenait rien à la mienne. Nos communications se limitaient à des signes de main et des regards forcés.


Marcher s’avérait toujours difficile pour moi. Dès que je posai un pied à terre, la nausée me prenait et je préférais me recoucher. Ma nouvelle amie paraissait inquiète pour moi et me faisait ingurgiter quantités de plantes bouillies infectes qui amélioraient peu à peu mon état. Après sept jours, je parvins enfin à tenir debout sans avoir envie de vomir. Trois jours de repos supplémentaires me permirent de reprendre pleinement le contrôle de mes jambes.


Une fois autonome, je profitais des absences de ma nouvelle connaissance pour explorer les environs. Je ne m’étais encore jamais aventuré dans la forêt de Querod. Ma mère adoptive, comme tous les habitants de la région, la craignait. Source de légendes et d’histoires sordides, elle était réputée pour cacher les pires monstres de Tyrnformen, tapis derrière chaque buisson ou tronc d’arbre. Il s’avérait finalement qu’il ne s’agissait que d’histoires pour effrayer les enfants.


La petite cabane en bois où je me trouvais se trouvait à la lisière du champ de ronces où j’avais perdu ma monture. Quand le ciel était dégagé, je parvenais même à apercevoir les imposantes silhouettes des pics d’Aranos, bordés par les villages nains. Le climat était plus chaud et humide, mais les grands arbres exotiques nous assuraient une protection naturelle. Aucun sentier n’était visible, pour se promener, il fallait être muni d’une machette pour abattre des feuilles et branchages agressifs qui poussaient de manière désordonnée.


Au fil de mes explorations, je m’aperçus que nous étions vraiment isolé de tout. Peu importe la direction que je prenais, aucune habitation n’apparaissaient à l’horizon. Pas loin de la cabane, un petit ruisseau descendait vers une vallée plus sauvage encore que la zone où nous nous tenions. La végétation, plus dense, pouvait y cacher n’importe quoi. En revanche, la faune paraissait… absente. Je croisais parfois des lapins au pelage noir comme le charbon, un peu plus grand que ceux que l’on trouvait dans les plaines. Peu craintifs, ils me laissaient approcher avec curiosité avant de reprendre leur course vers les fourrés. Il y avait également beaucoup d’oiseaux aux plumages colorés. Un petit perroquet de couleur rose poussait une mélodie si belle qu’elle me faisait pleurait à chaque fois. Les prédateurs avaient épargné cette partie de la forêt et la vie s’y était développée de manière saine.


Mes seuls véritables ennemis étaient les moustiques. Dès que le soleil baissait dans le ciel, ils arrivaient par nuées et piquaient le moindre centimètre de peau qui dépassait de l’épaisse couverture que m’avait prêté ma logeuse. Mes bras et jambes étaient rongées par les boutons et je me grattais constamment, ce qui n’arrangeait pas ma situation. Ma logeuse avait l’avantage de pouvoir fouetter les insectes avec la longue queue équine, ce qui était loin d’être mon cas.


Plus le temps passait, plus j’appréciais cette femme. Entre nous s’était installé un respect mutuel profond et sincère. Nous apprenions toujours l’un de l’autre. Les coutumes de mon amie m’était toutes étrangères. Tous ses outils étaient faits de bois et je ne me souviens pas une seule fois l’avoir vu recourir à de l’acier. Elle refusait de chasser et j’avais fini par comprendre peu à peu qu’elle considérait chaque chose de la nature comme une âme. Elle priait à chaque fois qu’elle arrachait un fruit ou une fleur à la nature et j’acceptai volontiers d’en faire de même à chaque repas, pour ne pas la froisser. En échange, je tâchai de lui simplifier la vie. Par exemple, pour récupérer de l’eau, elle portait sur son dos deux énormes jarres en argile qui la faisait souffrir. A partir de plante creuse, j’avais astucieusement créé un système de tuyaux, depuis le ruisseau, qui rejoignait l’arrière de la cabane. Il ne restait alors plus qu’à ouvrir un robinet pour récupérer l’eau.


C’était Armand qui m’avait appris à construire cette fontaine personnelle. Il me manquait énormément et pas une journée ne passait sans que je ne pense à lui. Dans les croyances de mon village, un corps sans cérémonie mortuaire reste coincé dans notre monde. J’avais maladroitement dressé une tombe à l’orée du bois, où je déposais chaque matin des offrandes. Je ne croyais pas spécialement aux dieux, mais je ne voulais pas courir le risque qu’ils vivent une éternité de malheur par ma faute. J’espérais sincèrement que les autres soient parvenus à fuir loin d’ici. A chaque fois que je me perdais dans mes pensées, l’envie de reprendre la route revenait, plus forte que jamais.


Mais elle disparaissait quand je prenais conscience que j’étais le seul lien de mon amie. Les semaines s’écoulaient et elle se rapprochait de moi, comme une mère. Elle s’inquiétait quand je tardais à rentrer et me couvait du regard avant que je ne ferme les yeux. J’avais beau ne pas comprendre un traître mot de ce qu’elle me disait, sa présence me rassurait. Elle était cette oreille attentive qu’avait pu être ma mère adoptive avant sa tragique disparition, et l’épaule sur laquelle je pouvais pleurer lorsque rien n’allait.


Deux ans s’écoulèrent dans ce fragile équilibre. J’avais maintenant dix-huit ans et j’avais finalement réussi à saisir le prénom de ma logeuse : Thrynwallyn. Je parvenais à la comprendre plus facilement ces derniers temps, et le monde du silence avait peu à peu laisser place à des conversations animées. Je ne parlais toujours pas sa langue, mais notre langue des signes s’était faite plus complexe et précise. RIen ne me manquait et une routine s’était installée, jour après jour.


Et pourtant, quelque chose clochait. J’avais l’impression de vivre dans une bulle à l’écart du monde, trop parfaite, trop vide. Les journées me paraissaient de plus en plus monotones. Je rentrais le plus tard possible, je peinais à trouver le sommeil la nuit et je souffrais de l’isolement. L’appel de la liberté me serrait le ventre à chaque fois que je voyais décroître le soleil dans le ciel. J’étais prisonnier de cette parcelle de vie utopiste et je tournais à l’intérieur comme un loup en cage.


A chaque fois que j’abordais le sujet avec Thrynwallyn, elle changeait immédiatement le sujet. Son regard s’obscurcissait à chaque fois que je me perdais dans la contemplation de l’horizon et je craignais d’avoir à passer le reste de mes jours ici. J’aimais cette vie autant que je la détestais. Et puis la tristesse prit le dessus.


Je ne souriais plus. Je ne mangeais plus beaucoup. Je pouvais passer des jours assis aux limites de ma prison végétale, à regarder le lointain, immobile. Je perdis toute notion de temps et j’espérais que quelque chose se passe. Peut-être le voulus-je un peu trop fort.


Un matin, un cri strident nous tira du sommeil. Thrynwallyn refusa catégoriquement de sortir de la cabane, contrairement à moi. Le bruit était proche et le frisson d’excitation qui parcourut mon échine était tout sauf sain. L’adrénaline guida mes pas droit vers la source du danger, à l’entrée de la forêt de ronces, malgré les supplications de mon amie, inquiète. Le son était rauque, agressif, mais plus encore, c’était un appel de détresse. Du moins, c’est ce que je croyais.


Je débouchais dans un endroit dégagé de la forêt, que je n’avais encore jamais vu. Il n’y avait rien. A première vue, en tout cas. Perplexe, je restais immobile, attentif à une nouvelle plainte. Ma plus grave erreur fut de ne regarder que le sol. La menace se trouvait plus haut, perchée sur une grosse branche. Tel un gros chat, un griffon espionnait mes mouvements. Ces créatures ne vivaient pas dans les parages, habituellement, plus habitués à chasser dans les montagnes. Celui-ci devait s’être perdu.


Les griffons avaient une faculté étonnante : celle de modifier leur voix, pour attirer des proies. Dans les montagnes, ils bêlaient comme des chèvres blessées avant de fondre sur leurs proies. J’ignore toujours quel cri il cherchait à imiter, ni comment j’avais pu tomber dans un piège aussi grossier et facile.


Un silence malsain était tombé sur la forêt. Il aurait dû m’alerter. Les oiseaux s’étaient tus et les lapins avaient regagné leurs terriers à la hâte. Confus, je m’étais abaissé au sol pour étudier les empreintes au sol. Deux pattes d’aigles, deux pattes de fauve. Je n’avais croisé ce type de créature que dans les livres. Aussi, je fus très surpris quand d’immenses serres me lacérèrent brutalement le dos. Je poussai un hurlement de douleur et cherchais à me défaire de la prise, sans succès. Le griffon me jeta contre un arbre avant de coincer ma tête entre deux de ses griffes. Il serra la prise autour de mon cou. Je ne luttai pas longtemps avant de sombrer dans l’inconscience.


La bête récupéra mon corps et s’envola, loin du refuge protecteur où j’aurais dû rester.

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