Il ne nous fallut que quelques minutes pour arriver à destination, et pourtant, ce fut un moment très désagréable. Vive les silences tendus et meurtriers ! Et comme je me trouvais entre les deux, s’ils décidaient de se taper dessus, j'avais toutes les chances de me prendre un coup involontaire. Génial.

Le couloir où nous nous trouvions débouchait sur une très grande salle rectangulaire aux murs orange pâle. Deux femmes étaient collées à un homme au fond de la pièce, et celui-ci ne se gênait pas pour les tripoter. Elles se dandinaient et riaient comme des dindes. Visiblement, on interrompait un moment sympa.

Notre nouvel acolyte se racla la gorge pour attirer leur attention.

— Quoi ? répliqua-t-il, irrité de notre présence. Vous voulez quoi, vous ? Dégagez, vous ne voyez pas que je suis occupé ?

— A tout hasard, vous ne seriez pas un voleur ? demanda patiemment Sariel. Un abruti qui chercherait à vendre des documents volés aux koeliens.

— Ça ne te regarde pas, dégage d’ici, cracha-t-il.

Zelen sortit le croquis du voleur. Il lui ressemblait bien.

— Un tic à l’œil droit, une morsure au bras… énumérai-je. Il semblerait que ce soit bien lui.

— En effet, il lui ressemble bien, confirma le koelien en jetant un œil au bout de papier. Notre balance a bien dit la vérité.

Il jeta un regard soupçonneux au loup-garou mais ne dit rien de plus.

— Qu’est-ce que vous me voulez ? s'énerva notre cible.

— On vient vous casser la gueule ! s'enthousiasma le loup-garou avec un sourire mauvais.

— Je dois bien avouer que je suis d'accord avec lui. On vient d’Helloï, je pense que vous connaissez, n'est-ce pas ?

Le visage de l'homme devient livide mais il ne répondit pas. Les deux femmes qui l’accompagnaient commencèrent à s’inquiéter.

— Mais si, rappelez-vous, les koeliens que vous avez volés.

— Allez-vous-en ! Vous n’avez rien à faire ici ! ordonna-t-il alors qu'il commençait à paniquer.

Sans prévenir et dans un cri bestial, le loup-garou se jeta sur lui et le plaqua au sol. La vitesse à laquelle il s’était déplacé m’avait totalement pris au dépourvu. Les femmes, elles, déguerpirent dans des hurlements de peur.

Nous nous précipitâmes à ses côtés, au cas où il déciderait de le tuer. Même si je doutais que nous pourrions faire quoique ce soit pour l’en empêcher maintenant.

— Quant à moi, je viens de passer un moment déplaisant avec votre ami dans la salle de torture.

Je vis le voleur déglutir nerveusement. Il tenta de se défaire de la prise qui le retenait, mais le loup ne le laissa pas faire, il le gifla si fort que j’eus peur qu’il y perde des dents. Voire la mâchoire.

— Où sont les documents volés ? demanda Sariel, tentant de reprendre le contrôle de la situation.

— Quels documents ? demanda-t-il, feignant l'innocence. Je ne vois pas de quoi vous parlez. Vous vous trompez de personne, je n’ai rien volé moi, je suis commerçant…

— Tu es sûr de ça ? questionna le plus violent des deux hommes, sortant un couteau. J’ai pris ça dans la salle de torture. Non que j’en aie véritablement besoin pour te faire mal, mais ceux-là veulent que tu restes en vie. Et on sait toi et moi que les métamorphes peuvent se montrer très brutaux. Enfin, si tu dis que tu es innocent… tu ne nous es pas très utile vivant.

Je dois avouer que, pendant une seconde, quand il posa son couteau contre son cou, je cru vraiment qu'il allait l'égorger. Je me penchais pour l'en empêcher, mais quand il leva les yeux vers moi, je vis dans son regard qu’il ne le ferait pas. Malgré la colère qu’il exprimait, il me sembla maître de ses émotions. Je décidais de lui faire confiance et de rentrer dans son jeu en feignant la peur : le voleur devait penser que je ne l’interrompais pas parce qu’il me menaçait.

Cela dit, le regard que le loup-garou adressa à mes coéquipiers pour les empêcher de s’interposer physiquement était beaucoup plus menaçant que celui qu’il m’avait envoyé.

— Non, non, non ! Je sais ! Je sais ! Ne me tuez pas ! gémit-il. Je vais tout vous dire ! Mais vous devez me promettre de me laisser m’en aller si je vous remets les documents !

— Parle ! cria Sariel.

— Ils sont dans mon bureau, deuxième couloir à gauche, troisième porte. Me faites pas de mal s'il vous plaît… Ils sont dans le placard de droite, dans un livre sur… heu… dans un livre, quoi.

— Il dit la vérité, affirma le loup-garou.

Je me demandais si son aptitude à déterminer quand quelqu’un disait la vérité venait d’un ego surdimensionné ou de capacités remarquables. Je penchais pour la première solution. Nous avions abordés les métamorphes en cours, et rien ne laissait penser qu’ils étaient capable de ce genre de choses.

— Kaely, Zelen, allez-y. Je reste, le temps que l'autre se défoule un peu. Mieux vaut s'assurer qu'il ne le tue pas. Et si vous ne revenez pas dans dix minutes, je lui coupe un membre, histoire qu'il ne nous trompe pas en nous envoyant dans un piège.

Le prisonnier frissonna de peur et assura qu'il ne mentait pas.

— Très bien, affirmai-je.

— Prenez votre temps, nous conseilla le loup-garou, affichant un sourire sadique.

Je lui lâchai un sourire forcé et sortis de la salle, mon ami sur les talons. Nous suivîmes le chemin indiqué et entrions prudemment dans la pièce après nous être assurés qu'elle était vide et non piégée.

Prenant chacun un côté de la bibliothèque, nous commencions à parcourir les livres sur les étagères. Il aurait au moins pu dire lequel contenait les bons documents ! Il devait y avoir une cinquantaine de livres !

Je feuilletai un par un les livres, agacée, et tiquai lorsque je tombais sur un livre érotique. C’était le genre de livre remplis d’illustrations particulièrement subjectives. Je le laissai tomber instinctivement et rougis.

Zelen se tourna vers moi, surpris.

— Tout va bien ? demanda-t-il.

— Oui...

Je ramassais le livre et lui montrais. Il fronça les sourcils.

— Ce genre de choses ne devrait pas exister. C'est dégradant.

— Il faut que je regarde dedans… marmonnai-je, cherchant du courage.

J'ouvris le livre, me forçant à ne pas faire attention aux images obscènes. Au milieu de l’ouvrage se trouvaient une liasse de documents. Je n’étais pas autorisée à les consulter, alors je ne parcouru du regard que l'entête, sans vraiment lire, jusqu’à ce que je tombe sur le nom de mon père. Au moins, j’étais fixée, c’était les bons documents.

Par acquis de conscience, nous avons vérifiés tous les livres, sans trouver quoique ce soit d'autre. Je balançais le dernier livre de la bibliothèque au sol (comme si j’allais ranger) et nous pûmes rejoindre nos camarades.

J’entendis le loup-garou soupirer à notre arrivée. Il n’avait probablement pas eut assez de temps pour s’amuser... Je tendis les documents à Sariel, ignorant les suppliques de l’homme à mes pieds.

Lorsque Sariel eut authentifié les documents, il assomma d’un coup de pied le voleur. Le loup-garou, désapprouvant, se releva vivement et saisit Sariel par le col. Le koelien, tout aussi rapide, avait déjà dégainé son arme, et celle-ci se trouvait contre la gorge de son adversaire.

— Je peux savoir ce que tu fais ?

— On a pour ordre de le ramener, répondit Sariel. Trouve toi une autre victime, celui-ci est à nous.

Le loup-garou jura, mais il le lâcha. J’attachais les mains du voleur puis Sariel le mit sur son épaule, non sans mal. Zelen s'occupait de l'autre sale type. J'aurais aimé les aider, mais n'avait pas la force d'en porter un...

C'est le métamorphe qui nous guida à travers les couloirs jusqu'à la sortie (ne me demandez pas comment il savait où elle se trouvait, je n'ai pas pensé à lui poser la question). Il devait en avoir assez pour la journée et avait décidé de s'en aller. Il ne chercha même pas la bagarre avec Sariel.

Une fois dehors, l'air frais de la nuit me fit beaucoup de bien.
— Enfin ! m’exclamais-je, respirant à pleins poumons.

— Vous avez intérêt à lui en faire baver, dit le métamorphe en s’éloignant.

Il fit quelques mètres, et avant qu’il ne soit hors de portée, ma curiosité l’emporta :

— Attend ! l’interrompis-je.

— Quoi ?

Il se retourna, surpris. Tout comme Zelen et Sariel qui me regardaient sans comprendre. J’hésitais une seconde, mais c’était trop tard pour reculer.

— Tu ne nous as pas dit ton nom…

Ma question sembla l'amuser, car il haussa un sourcil avant de sourire de toutes ses dents.

— Je m'appelle Eallan, ma jolie, répondit-il avec un sourire charmeur.

Et il partit sur ces mots.

Nous prîmes la route du retour directement, à mon grand damne... Le poids de la fatigue et de ma blessure se faisait ressentir. Chaque pas était une épreuve difficile et je faillis m’évanouir plusieurs fois. Mais nous n'avions pas de temps à perdre : il nous fallait quitter la ville au plus vite, au cas où d'autres voleurs voudraient sauver leurs compagnons.

Sariel en eut marre de porter notre prisonnier et le jeta au sol. Il décida alors qu'ils devraient marcher tout seul, les réveillant en versant un peu d'eau sur leurs visages, et ce fut le drame...

Celui qui nous avait enfermé avec la chimère était intenable, pire qu'un gobelin ! Il nous plongea dans un vacarme insupportable, sans cesser de se plaindre, de gémir, de nous prier de le libérer etc. Sariel manqua de l’assommer de nouveau pour le faire taire, mais Zelen l'en dissuada. Personnellement, l’assommer m'allais bien, je n'en pouvais plus ! Mais je me contentais de le bâillonner.

Cependant, il refusa de se soumettre, et me mordit la main. Je le frappais avant qu'il n'eut le temps de me blesser, et Zelen le plaqua au sol. Sariel s'approcha pour s'assurer que nous maîtrisions la situation, mais l'autre prisonnier en profita pour s'enfuir. Mais courir avec les mains attachées dans le dos n'était pas pratique, et je le rattrapais facilement. Je me positionnais devant lui, épée en main, le forçant à s'arrêter. Je devais utiliser ma main gauche et ma poigne était moins forte, mais je donnais l'illusion de maîtriser ce que je faisais, ce qui était le plus important.

— Stop ! Tu vas rester calme si tu tiens à la vie !

— Tu es une idiote si tu penses que vous suivre signifie que je resterai en vie. Je sais ce que les koeliens font à ceux qui s'en prennent à eux.

— Tu seras enfermé et p... commençai-je.

— Je serais torturé et tué. A choisir, je préfère en finir rapidement.

Sur ces mots, il saisit le tranchant de mon épée à pleine main et s’empala dessus. Estomaquée, je restais immobile jusqu'à ce que Sariel arrive et le tire en arrière, libérant mon arme. Il regarda la blessure, mais il ne pouvait rien y faire. En quelques minutes, le voleur était mort.

Je ne réalisais pas ce qu'il venait de se passer, mon comportement à la suite de cet événement devint... automatique. Je nettoyais mon sabre avant de le remettre dans son fourreau. Le tout, sans un mot, sans une expression.

Et, laissant son corps reposer dans la forêt, nous reprîmes la route du retour.

***

Sur le chemin, j’eus tout le temps dont j’avais besoin pour faire un bilan de ma première mission. Techniquement, c’était une réussite : nous avions les papiers. Bon, le voleur était mort (par ma faute) et son homme de main, un bon à rien, était notre prisonnier. Et il y avait mon bras blessé aussi, que je ne pourrais pas utiliser pendant plusieurs semaines... Super ! Tout était... super...

Les effets du baume diminuaient d'heures en heures, et dès que je faisais le moindre geste, des vagues de douleurs me parcouraient jusque dans l’épaule.

Sariel s’était moqué de moi en disant que c’était une bonne chose d’avoir mal, car cela signifiait qu’il guérirait. « En théorie », avait-il rajouté. Très rassurant… Lui allait très bien, cela dit. Sa blessure à la tête ne semblait être qu'un lointain souvenir.

Ce dont j'étais sûre, c'était que ma première mission avait été forte en émotions : entre la peur et l'horreur, j'avais eu mon compte d'aventures pour un moment. Tout ce que je voulais, c'était rentrer chez moi, dormir et rester cachée sous ma couette aussi longtemps que possible.

Lorsque les portes du domaine nous firent enfin face, je ne pus empêcher un soupir de soulagement de franchir mes lèvres, ce qui fit sourire Zelen. Lui aussi était bien content que nous soyons rentrés.

Nous ne croisâmes que peu de personnes dans les rues, ce qui s'expliquait par l'augmentation des attaques de vampires en ce moment. C'était de pire en pire.

— Tiens ! Mais qui voilà !? Kaely et Zelen sont enfin de retour, nous interpella Ela en nous voyant. Accompagnée de ce cher Sariel.

— Bonjour Ela ! salua celui-ci respectueusement.

— Comment s'est passé votre mission ? demanda-t-elle.

— Plutôt bien ! répondit mon partenaire, désignant fièrement le voleur, qu'il traînait derrière lui.

Il avait craqué à l'approche d'Helloï et l'avait de nouveau assommé.

Je haussais un sourcil en regardant le koelien. “Plutôt bien” ? Je ne l’aurais pas vraiment qualifié ainsi… Mais Ela ne me laissa pas le temps d’en placer une.

— C’est parfait ! Dans ce cas, je vous vois demain à l’entraînement, tous les deux ! Reposez-vous bien.

Sariel sembla trouver la scène amusante, car il rit de bon cœur. Quant à moi, j'avais la bouche grande ouverte d’indignation.

— Quoi ? Mais… je suis blessée !

— À demain ! cria-t-elle, déjà loin.

— Et mon bras ? me plaignai-je d’une voix brisée.

— Elle plaisante, tu n’as pas à retourner à l’entrainement dès demain. Repose-toi un jour ou deux, conseilla-t-il. Et profite de l’opportunité qui s’offre à toi de travailler ton bras gauche ! Une première étape pour maîtriser tes deux épées !

— Super, soupirai-je, trop fatiguée pour objecter.

Et nous reprîmes notre chemin jusqu’au bureau de monsieur Nolan, celui qui nous avait confié cette mission. Nous passâmes devant l'horrible femme, qui semblait beaucoup moins effrayante quand elle faisait les yeux doux à Sariel… Attendez ? Quoi ? Elle devait avoir le double de son âge ! Je fis une grimace de dégoût. Lui l'ignora complètement, et remonta dans mon estime. Mais juste un peu.

En nous voyant arriver, un sourire éclaircit le visage de monsieur Nolan.

— Vous voilà les jeunes ! Vous avez été rapides !

— Oui, on a eu de la chance, on a trouvé une piste pour nous mener au voleur dès qu’on est arrivé.

Sariel laissa tomber le corps inanimé au sol, dans un coin de la pièce, et déposa les documents volés sur le bureau.

— Je vois. Derega ! hurla-t-il soudainement, me faisant sursauter.

La femme apparut sur le seuil de la porte, attentive aux consignes que l'homme allait lui donner.

— Allez me chercher Pawley, qu'il s’occupe de ça, dit-il en désignant le corps.

Elle répondit par l'affirmative et s’en alla aussi vite qu’elle était arrivée, non sans lancer un regard langoureux à Sariel. Beurk !

— Bon, j'en reviens à vous, les jeunes. Sariel, tu me déposes le rapport de la mission demain, veux-tu ?

— Aucun problème.

— Faites-moi un débriefing rapide avant de vous en aller.

C'est Sariel qui résuma notre aventure. Je choisis de me taire et d'écouter attentivement. Monsieur Nolan ne l’interrompit pas une seule fois, et à la fin du récit, il se mit à rire.
— Je suis désolé, s’excusa-t-il, si j'avais su qu'il y aurait une chimère dans cette histoire, je n'aurais jamais mis des aspirants sur cette mission !
— Ça va, j'ai juste perdu un bras, marmonnai-je, ironique.

Monsieur Nolan grimaça, gêné. Quand à Sariel, il leva les yeux au ciel.

— Tu exagères, Kaely ! Tu vas juste devoir le garder bandé quelques semaines, et tu n'auras aucune séquelles durables, se moqua-t-il.
Je soupirais, épuisée.

Quelqu'un frappa à la porte et entra dans la pièce. C’était un homme grand et baraqué, brun avec un visage carré. Il était terrifiant : ses yeux étaient fins et sournois, et une cicatrice de la taille d’une noix ornait sa joue gauche.

— Bonjour Pawley. Il est là, indiqua monsieur Nolan en désignant le prisonnier.

Il posa le corps sur son épaule et partit en une seconde, sans un mot ni un regard. Monsieur Nolan reprit lorsque la porte se ferma, comme si de rien n'était.

— Merci pour votre travail et pour ce résumé. Vous pouvez disposer, à moins d'avoir une question ?

— Aucune, répondis-je.

Zelen secoua la tête.

— Non plus ! Au revoir m'sieur !

— Bonne soirée les jeunes, reposez-vous bien surtout.

Nous sortîmes du bâtiment.

— Kaely, il faut que tu te rendes au centre médical pour faire soigner ton bras, me conseilla Zelen.

— Tu peux rentrer chez toi et te reposer Zelen. Je vais accompagner la petite.

— Je sais où c'est, ma mère y travaille, râlai-je, je n'ai pas besoin d'un chaperon. Et ne m'appelle pas comme ça !

— Tu es épuisée, tu pourrais très bien t'évanouir sur le chemin !

— Je vais très bien ! Je ne me suis pas encore évanouie à ce que je sache !

— Mais oui, rit-il, passant son bras autour de mes épaules. Mais tu ne te débarrasseras pas de moi aussi facilement. Et qu'est-ce que tu es râleuse quand tu as mal !

Un soupir d'exaspération passa mes lèvres, tandis qu'il riait de plus belle. Nous sous séparâmes de Zelen, qui avait l'air bien fatigué lui aussi. Le chemin vers le centre médical fut calme et rapide. Sariel insista pour rester avec moi dans la salle de soin, mais la soigneuse le mit dehors. Alors, boudant, il décida de rentrer chez lui.

Une fois seules, elle put s'occuper de mon bras avec une délicatesse et une attention que j’appréciais grandement. Le baume avait cessé d'agir, et la douleur était difficilement supportable. A plusieurs reprises, j'avais rêvé de m'arracher le bras...

Cela dit, je m'en sortais bien selon elle, et avec des soins appropriés, la douleur disparaîtrait vite.

— Tu auras quand même des cicatrices, précisa-t-elle.

— Combien de temps avant de pouvoir reprendre l'entrainement normalement ?

— Un petit mois. Il faudra reprendre doucement cela dit. Tu devras appliquer cette pommade tous les soirs avant d'aller te coucher et la garder toute la nuit.

Seulement un mois... comment était-ce possible que ce soit aussi rapide ? Enfin, "seulement"... Ela ne serait pas de l'avis de m'arrêter pendant un mois.

Je remerciais la soigneuse avant de sortir de la salle de soin. Alors que j'allais quitter le bâtiment, je reconnu la voix de la mère des jumeaux, que je connaissais un peu. Je voulu la saluer, mais alors que je m'approchais, sa conversation attira mon attention.

— Et comment tes enfants réagissent à ça ? demanda la femme avec qui elle discutait.

— Ils ne sont pas encore au courant, je ne veux pas qu'ils stressent alors que... rien n’est sûr, pour le moment.

— Cela pourrait peut-être les décourager de devenir koeliens. Tu m'as dit qu'ils passaient la formation, non ?

— C'est exact.

Je me figeais. Ce n'était pas mon genre d’écouter aux portes, mais je ne réussis pas à m'en empêcher. Intriguée, je me cachais et écoutais.

— Crois-moi, si quelque chose pouvait les en dissuader, je le ferais sans hésiter.

Elles continuèrent sur les risques encourus à devenir koelien, sans revenir sur le sujet de départ. Elles furent interrompues par un autre soigneur, et j'en profitais pour quitter la pièce avant de me faire voir. De toute évidence, il y avait un sujet grave que Shann et Lanelle ignoraient. Mais cela ne me regardait pas.

Sur le chemin vers ma maison, je bougonnais pour moi-même. Comment allais-je faire pour l'entraînement avec un bras en moins ? Pour les combats à l’épée, je pouvais toujours m'entraîner de la main gauche, mais pour le reste…

J'arrivai chez moi, et cette vue familière m'apaisa : j'allais enfin pouvoir dormir et me reposer ! Ces derniers jours avaient été particulièrement éreintants.

J'ouvris ma porte, et découvris mon frère assis à la table du salon, travaillant probablement sur sa prochaine mission. Lorsqu'il me vit, il me sauta dessus et me prit dans ses bras tout en me faisant décoller du sol. En m’écrasant le bras au passage.

— Ma petite sœur chérie ! s'exclama-t-il.

Je lâchais un petit cri sous la douleur en le repoussant.

— Qu’est-ce qui se passe ? Qu'est-il arrivé à ton bras ? s'inquiéta-t-il.

— Une blessure de guerre. Les risques du métier, tu connais ça, répondis-je, évasive, tentant de rejoindre ma chambre.

— Il n'est pas censé y avoir de risque lors de la première mission ! m'interrompit-il. Je vais tuer Sariel !

— Hein ? Mais pourquoi ?

— Il n’a pas su te protéger, cet incapable !

Sa réaction me fit rire. Helian avait toujours été protecteur envers moi, mais il devrait se faire une raison : j'allais devenir un koelien. Ma vie serait remplie de dangers.

— Mais t'es bête ! ris-je. Ce n’est pas sa faute !

— Raconte-moi !

— Demain, Helian. Je suis crevée là...

— Va te coucher si tu veux. Moi, je vais aller tuer cette incapable.

Je lui attrapais le bras, résignée, et le forçais à se rasseoir sur la chaise du salon. Je m'assis en face de lui.

— Bon très bien, je te raconte. Mais rapidement !

A la fin de mon récit, il fronça les sourcils.

— Une chimère ? Quand même !

Il essaya de prétendre d'être impressionné, mais je vis clair dans son jeu.

— C'est sûr que comparé à tes missions suicides, ce n'est rien une chimère !

Il rit de bon cœur. Mais de mon point de vue, ce n'était pas drôle.

— Mes missions ne sont pas suicidaires, contra-t-il.

— Si pour toi combattre seul une chimère n'est pas un défi en soi, je ne veux même pas savoir quel genre de mission on te confit.

— Mais moi je suis invincible, tu le sais bien ! Personne ne peut me tuer.

— Oui, vous n’arrêtiez pas de me le répéter avec papa quand j'étais petite, soupirai-je. Mais je ne suis plus une gamine naïve : j'ai bien compris ce que ça signifie être koelien, affirmai-je en agitant doucement mon bras en l’air.

Il eut un sourire sans joie l'espace d'une seconde, avant de reprendre pied.

— Et on est toujours là tous les deux ! Donc c'est qu'on avait raison. On a toujours raison.

— Dans tes rêves !

— Allez, souris ! Tu reviens de ta première mission, et c'est un succès ! Malgré… quelques imprévus, se moqua-t-il.

— Je vais me coucher…

Il rit de plus belle, cet idiot, alors que je montai dans ma chambre. Je n'eus le temps que de me laver et de me changer avant de tomber de fatigue sur mon lit. Tant d'efforts m'avaient rendu aussi vive qu'un cadavre.