Chapitre 13

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C’est la douleur qui me réveilla le lendemain, alors que le soleil avait a peine levé le bout de son nez. Je retrouvais ma mère dans le salon, et elle se comporta comme si on ne s’était pas vu depuis des mois. Et ce fut encore pire lorsque je lui racontais comment je m’étais blessée.

Je fini par m'esquiver habilement en prétextant devoir me préparer pour l’entraînement (c'était un prétexte avant tout, même si c'était la vérité). Le problème, c'est qu'entreprendre les activités quotidiennes était devenu une torture ! D'autant plus que par moment, j’avais l'impression que les crocs de la chimère se trouvaient encore dans mon bras. Une sensation des plus désagréable !

Une fois prête, je pris le chemin du terrain d'entraînement. Retrouver cette habitude, aussi banale soit-elle, m'apporta beaucoup plus de réconfort et de motivation que je ne l'aurais imaginé. J'arrivai en avance, comme j'avais pris l'habitude de le faire, et constatais que j'étais la première. J'allais m’asseoir sur l'une des chaises en m'étalant de ton mon long, sans aucune élégance. Je fermais les yeux et profitais de ce moment de calme.

C'est le cri d'Amali qui me ramena à la réalité, me faisant sursauter :

— Kaely !

Je me relevais en la voyant courir dans ma direction, et elle se jeta dans mes bras. Comme à leur habitude, ses cheveux virevoltaient dans tous les sens, manquant de me fouetter au passage (comme si je n'avais pas déjà assez mal !), et elle affichait un énorme sourire. J'eus juste le temps de voir Lanelle et Shann derrière elle, souriant également de me voir, avant qu'elle ne m'atteigne.

— Du calme Ali, je ne suis pas partie si longtemps !

— Tu es blessée ? demanda Shann en remarquant mon bras.

Amali s'écarta brusquement pour jeter un œil à ma blessure.

— Un léger accident, fis-je, gênée.

— Comment était ta mission ? s'intéressa Lanelle.

— Tu n'as pas trop gêné ton coéquipier quand même ? lança une voix de loin, narquoise.

— Enriel ! Quel déplaisir de t'entendre à nouveau !

— Je suis touché, ironisa-t-il. J'espère que tu as fait des progrès au moins.

— Tu me fais rire, tu es juste jaloux que j'ai été envoyée sur une vraie mission avant toi !

Il regarda mon bras avec dédain.

— Et c'était visiblement l'idée du siècle.

— Je t'emmerde !

Il se joint à nous, s'asseyant à côté de Shann. Zelen entra à son tour, et Amali lui réserva le même accueil qu'à moi.

— Bonjour tout le monde ! lança-t-il, souriant.

Voyant que j'étais arrivée, il me demanda :

— Comment vas-tu ?

— Beaucoup mieux depuis que vous êtes là !

— Pas besoin de me vouvoyer tu sais, se moqua Enriel.

Je lui frappai l’épaule mais ne répondis pas : il ne méritait pas que je gâche davantage de salive.

La porte d'entrée de la salle s'ouvrit de nouveau, et Delnan entra en silence. Il jeta un œil à notre groupe, remarqua que Zelen et moi étions de retour et nous salua. De nous tous, c'était bien lui que je connaissais le moins. J'en savais même plus sur Zelen qui ne parlait quasiment jamais. Je ne savais presque rien de lui, mais la plupart du temps, dès qu'il ouvrait la bouche, j’avais envie de la frapper.

A son arrivée, Nayru nous lança un énorme sourire en nous voyant de retour. Il se précipita pour s’asseoir avec nous. Mais alors qu'il nous demandait de lui raconter la mission en détail, Ela fit son entrée.

— Bonjour à tous ! s'exclama-t-elle. Vous êtes motivés aujourd'hui ?

— J'aurais préféré dormir un peu plus, le lendemain de ma mission, râlai-je en marmonnant.

— Tu dormira quand tu seras vieille ! Ou morte.

— Réjouissant ! commenta Nayru.

Ela annonça que le sujet de la matinée porterait sur les griffons. Les leçons se faisaient de plus en plus rares désormais, mais je les appréciais toujours autant. Et le sujet du jour promettait d’être très intéressant !
— Pour commencer, comme d’habitude, dites-moi ce que savez-vous sur les griffons !

Avant que nous ayons eut le temps de répondre, une personne entra dans la salle précipitamment.

— Ela ! appela l’homme.

— Lieghel ? s’étonna-t-elle. Que se passe-t-il ?

Essoufflé, l’homme peinait à parler. Ses cheveux étaient dégoulinants de transpiration et ses lunettes glissaient le long de son nez. Il inspira profondément et exposa le problème :

— Faylne est revenue ! Elle a des informations sur… hésita-t-il en nous jetant un œil, sur tu sais quoi.

— Comment ? Quand est-elle rentrée ?

— Hier, en fin de soirée. Elle est passée au centre médical avant d'aller parler au Drezen. C’est lui qui m'a demandé de venir te chercher.

— J'arrive tout de suite, affirma-t-elle avant de se tourner vers nous. Je suis désolée, vous allez devoir vous débrouiller sans moi aujourd'hui. Pour ce matin, vous êtes libres de vous entraîner ou d'étudier ! Je vais essayer de trouver quelqu'un pour vous entraîner cette après-midi.

Elle partit sur cette phrase, suivie par l'homme qui était venu la chercher. Nous nous regardâmes tous dans le blanc des yeux sans bouger.

— On fait quoi maintenant ? demanda Amali.

— On s'entraîne ? proposa Enriel.

— On pourrait juste rentrer chez nous et se reposer, lança nonchalamment Delnan.

— C'est dur à dire pour moi, mais je suis d'accord avec Enriel, lançai-je. Ela va gueuler si on ne fait rien.

— Elle n'en saura rien !

— Je ne prendrais pas ce risque, soupira Shann. Personnellement, je vais aller étudier à la bibliothèque.

— Je viens avec toi ! s'exclama sa sœur.

— Tu devrais les accompagner, me conseilla Zelen. C'est mieux pour toi que tu reposes encore un peu ton bras.

— J'aurais voulu en profiter pour apprendre à me battre à l'épée de la main gauche.

— Tu veux devenir ambidextre ? s’étonna Amali.

— Oui, ce serait génial ! m’exclamai-je.

— Cela dit, je suis d'accord avec Zelen. Tu devrais prendre soin de toi.

— Tu n'as qu'à passer la mâtinée à la bibliothèque et cette après-midi, si on est de nouveau livré à nous-même, je t'aiderai à combattre de la main gauche.

Zelen était gaucher, c'était une opportunité qu'il aurait été bête de refuser.

— Très bien ! capitulai-je.

— Du coup, qui reste ? demanda Enriel.

Nayru, Amali et Zelen levèrent la main. Delnan, fidèle à lui-même, préféra partir de son côté.

***

N'ayant toujours aucun signe d'Ela ou d'un quelconque remplaçant l'après-midi, nous avions décidé de nous entraîner ensemble. Comme il me l'avait promis, Zelen m'aida. Le fossé qui séparait mes compétences à l'épée de la main droite à celles de la main gauche me déprima. A plusieurs reprises, n'arrivant pas à faire ce que je voulais et faisant trop souvent tomber mon épée, je m'énervais. Et je ne parlais même pas de la douleur lancinante que me provoquait ma blessure.

Seule l'idée de pouvoir me battre avec mes deux sabres en même temps me gardait motivée.

La fatigue me rattrapa rapidement, ce qui empira tout, et après un énième échec, je balançais mon épée au sol en jurant. J'étais si mauvaise ! Mon équilibre, ma précision, mes mouvements… rien n’allait ! Je devais tout recommencer.

Pauvre Zelen, lui qui m’avait si gentiment proposé de l’aide se retrouvait à gérer mes sautes d’humeur. Heureusement, c'était l'homme le plus calme et patient que je connaissais. Contrairement à Enriel qui s’amusait à me balancer des remarques cyniques.

En parlant de lui, je l’entendis râler plusieurs fois et je me rendis compte qu’il faisait davantage office de professeur que d'adversaire.

Je décidais finalement d’arrêter le massacre, et les autres interrompirent leur entraînement également. En sortant de la salle, Amali eut une idée :

— Et si on mangeait tous ensemble ce soir, ça vous dit ? Comme ça, Kaely et Zelen nous raconterons leur première mission !

— Je rêve de savoir comment elle s'est blessée, se moqua cet enfoiré d’Enriel.

— Ouais, je suis partant ! s'écria Nayru.

— Pas d'objection alors ? Allons-y dans ce cas !

Nous nous sommes alors tous rendus dans une taverne d’Helloï. Enfin, "tous" pas tout à fait, puisque Delnan décréta qu'il préférait perdre un membre plutôt que de perdre son temps à traîner avec nous.

Je racontais la majorité de l'histoire, Zelen n'intervenant que pour faire des précisions, et cela nous prit un temps monstre. A la mention de notre combat contre la chimère, ils furent tous choqués. Et quand je parlais du loup-garou et de la torture, ce fut presque pire.

Après la fin du récit, des remarques, des questions et des railleries fusèrent, si bien que lorsque le repas se terminait, nous avions a peine fait le tour du sujet. La conversation continua bien deux heures alors que nous avions rejoint notre petit coin préféré au bord de la rivière.

La conversation fini par dériver à mesure que, un à un, chacun rentrait chez soi. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'Amali et moi.

— Tu sais, j'ai beaucoup réfléchi à ce qui nous attendait après la formation.

— A cause du sermon d'Ela de la dernière fois ?

— Oui, en partie.

Elle resta silencieuse plusieurs secondes.

— Je ne suis pas sûre d'être faite pour être un koelien, m'avoua-t-elle.

— Qu'est-ce qui te fait penser ça ?

— Je ne suis pas aussi douée que toi, Enriel ou encore Zelen ! Même Nayru est plus doué que moi !

— Ça, ça reste encore à prouver, répondis-je en riant.
Elle eut un rire sans joie.

— Tu sais, il y a toutes sortes de métiers possibles quand on est koelien. Ce n'est qu'un titre... général. Tu n'es pas obligée de faire des missions super dangereuses. Tu disais que tu voulais entraîner les prochaines générations de koeliens, non ?

— Oui, mais comme le dit Ela, je dois devenir forte pour pouvoir leur enseigner les bonnes choses et les protéger ! Et...

Elle soupira.

— Dis-moi ce qui te pose problème, l'invitai-je d'une voix douce.

— Je... je ne suis pas sûre d'être capable de faire du mal à quelqu'un.

Je ne sus quoi lui répondre. J'optais pour la vérité :

— Tu sais, je ne vous ai pas tout dit tout à l'heure.

Elle me regarda sans comprendre.

— Je vous ai dit qu'un des prisonniers avait tenté de s'échapper et qu'il était mort lorsqu’on avait essayé de le rattraper. La vérité, c'est que... c'est moi qui l'ai tué. Mais je ne le voulais pas ! Il a préféré mourir plutôt que de subir la punition du clan ! Il s'est jeté sur mon épée, je n'ai rien pu faire...

Amali me prit la main pour me réconforter.

— Je ne suis pas très différente de toi, Ali. Moi aussi, j'ai peur de blesser. L'idée de tuer quelqu'un... Mais je sais que je le fais pour une juste cause. Pour le bien de tous ! C'est le rôle des koeliens.

— Je ne pense pas que j'en serais capable. Qu’il y ait une bonne raison ou non. Ce n’est pas moi.

Je la comprenais très bien.

— Réfléchis-y sérieusement avant de prendre une décision. Imagine ta vie en koelien, les possibilités d’avenir qui s’offrent à toi. Puis imagine ce que tu ferais si tu restais un meolan. Compare les deux scénarios et choisi celui qui te rend le plus heureuse. Personne ne t’oblige à devenir koelien. Tu peux abandonner à tout moment. C’est ta décision Ali.

— Je vais essayer, je te le promets.
Je lui souris, essayant d’être rassurante, et elle me sourit en retour. Elle changea de sujet, mais mes pensées étaient obnubilées par notre conversation. Cet homme... je ne l'avais pas tué à proprement parlé, et pourtant, je me sentais coupable. Mais pire que ça, j'étais terrifiée à l'idée de recommencer.

***

Le lendemain matin, un homme attendait patiemment dans la salle d'entraînement. Il était grand, brun, et très musclé. Il ne semblait pas être beaucoup plus vieux qu'Ela, mais il était tout aussi… comment dire ? Imposant.

— Bonjour à tous. Je me nomme Haxem, je suis un vieil ami d'Ela, se présenta-t-il.

Il parlait calmement, comme s'il choisissait ses mots avec précaution. Sa voix était particulièrement grave, et je me fit la réflexion qu'il serait parfait pour incarner le méchant d'un conte pour enfants.

— J'ai cru comprendre qu'Ela était sur une mission et qu'elle ne pouvait pas s'occuper de vous. Elle sera absente aujourd'hui, et probablement demain. Sachez pour votre information que j'ai moi-même entraîné deux équipes par le passé, comme Ela le fait avec vous. Parmi la première se trouvaient Denewis et Crista, et dans la seconde, Helian, le fils du Drezen.

Trois excellents koeliens connus et reconnus pour leurs prouesses. Il avait donc entraîné mon frère, c'est pour ça qu'il me semblait familier.

Alors qu'il allait dire quelque chose, ses yeux se posèrent sur mon bras blessé. Surpris, il fronça les sourcils.

— Tu ne pourras pas suivre entrainement que je vous ai prévus ce matin avec ça, prévint-il. Je ferais attention à préparer d'autres types d'exercices à partir de cette après-midi auxquels tu pourras participer.

— Je peux utiliser mon bras gauche, s'il le faut ! me défendis-je.

Bon... c'était très ambitieux de ma part d'affirmer ça. Mais je ne voulais pas être mise de côté.

— Pour arriver plus vite, il faut parfois savoir prendre son temps. Si tu sollicites trop ton bras, tu risques d'en retarder la guérison. Voire de causer des dommages irréparables. Le programme que j'ai prévu est très intensif, tu ne pourras pas le suivre avec un bras en moins.

Au mot "intensif", j'entendis Nayru soupirer.

— Ton esprit doit être aussi vif et entraîné que ton corps. Va à la bibliothèque et étudies, ordonna-t-il.

— Quel sujet ? demandai-je, résignée.

Il réfléchis quelques secondes avant de répondre :

— La langue ancienne.

Quel sujet surprenant. Je m'attendais à devoir étudier une quelconque créature magique ou un style de magie, ou encore des stratégies de combat. Pas une langue perdue et oubliée de tous. Je cachais toutefois ma déception et hochais la tête.

Me rendant à la bibliothèque, je me demandais où je pourrais trouver des livres sur le sujet. Je connaissais bien l’organisation de la bibliothèque, mais pourtant, je ne réussis pas à trouver le moindre livre pour m'aider. Après une bonne vingtaine de minutes, j'abandonnais et me résignais à demander de l'aide.

— La langue ancienne ? s'étonna le bibliothécaire. C'est une demande qu'on me fait peu souvent ! Ne bouge pas.

Il revint après deux bonnes minutes avec quatre énormes livres dans les bras. Il les posa sur son bureau.

— Dans celui-ci, indiqua-t-il, tu vas retrouver d'anciens textes connus traduits. Ces deux-là traitent des bases de la langue, si tu souhaites l'apprendre. Le dernier est plutôt axés sur l'utilisation de la langue dans la magie originelle.

Le dernier était le plus petit. J'en déduisis que c'était dû au fait que plus personne ne pratiquait cette magie aujourd'hui.

— On m'a demandé d'étudier la langue ancienne. Par lequel tu penses que je devrais commencer ?

— Je dirais celui-là. Il va te donner les mots de base de la langue mais également quelques informations sur l'histoire des Premiers.

— Les Premiers ?

Je n'avais jamais entendu ce terme auparavant.

— Les premiers humains à être arrivés dans le Royaume, expliqua-t-il, c'est ainsi qu'ils sont nommés dans les livres de l'époque.

Je me saisis du livre en question et le remerciais. Je m'installais sur l'une des tables et commençais à lire un livre aussi ennuyant qu'inutile.

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